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Jean Leonetti : Nous avons le plaisir d’accueillir Alain Grimfeld, président du Comité Consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE),

professeur des universités et chef de service de pédiatrie, pneumologie et allergologie à l’hôpital Armand-Trousseau (Paris). M. Grimfeld préside par ailleurs le conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et est membre de plusieurs sociétés savantes.

Monsieur Grimfeld, votre présence aujourd’hui nous est précieuse à plusieurs titres.

Votre expérience de pédiatre peut nous éclairer sur les délicates questions éthiques posées par la néonatalogie. Par ailleurs, la position du Comité Consultatif national d’éthique sur le sujet qui nous réunit, que votre prédécesseur, M. Didier Sicard, avait eu l’occasion d’expliciter devant nous en 2003, remonte au mois de janvier 2000. Celle-ci portait en germe un certain nombre de concepts, dont celui d’exception d’euthanasie, que nous avions essayé de clarifier, mais qui revêtaient une certaine ambiguïté. Depuis, la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie est entrée en vigueur ; il sera instructif de connaître les orientations qui pourraient être celles du comité que vous présidez, au regard de ce nouveau cadre légal.

Après votre exposé, votre audition se poursuivra par un échange de questions et réponses, afin d’essayer d’avancer ensemble sur ce sujet difficile.

M. Alain Grimfeld : Permettez-moi tout d’abord de vous préciser que le Comité Consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé n’a pas, depuis 2000, réfléchi de manière institutionnelle à la problématique de la fin de vie et de l’accompagnement de la fin de vie, et n’a eu sur ce sujet que des discussions informelles.

Cependant je vais tenter, tant en temps que médecin que président du CCNE, de poser un certain nombre de bases conceptuelles à la réflexion et de répondre à vos questions.

Concernant les droits des malades et la fin de vie, on assiste actuellement dans les démocraties à l’émergence et à l’appropriation par les citoyens de droits des personnes malades et d’une démocratie sanitaire. En matière de conditions de la fin de vie, celle-ci est entendue non seulement comme la nécessité de contacter les citoyens sans démagogie pour tout ce qui concerne le diagnostic et le traitement des maladies, mais est également conçue comme devant permettre l’accession au bien-être et à l’épanouissement de l’individu. Cette dimension est souvent négligée, ce qui pose un réel problème, alors même qu’elle est conforme à la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), à laquelle je suis très attaché.

Par ailleurs, notre société est marquée par un certain déni de la mort. Parce que des progrès considérables ont été accomplis dans les sciences de la vie, notamment dans le domaine médical et concernant l’espèce humaine, l’on en arrive à se demander pourquoi l’on meurt encore aujourd’hui ! Certains travaux sont menés pour prolonger l’existence jusqu’à 100, 150 ans. Les nouveau-nés qui naissent aujourd’hui ont, pour la moitié d’entre eux, une espérance de vie de cent ans. Et ce n’est qu’une moyenne.

La capacité d’augmenter la survie de personnes malades, grâce aux progrès des sciences de la vie et de la santé, impose l’exigence d’un questionnement rigoureux sur les limites de la vie, la qualité, la finalité et le sens d’une vie prolongée. Les décisions en fin de vie chez les personnes inconscientes incapables d’autodétermination ou en situation végétative posent aujourd’hui des questions essentielles, tout comme les situations que l’on peut rencontrer en réanimation néonatale, en tout début de vie.

De surcroît, toute société démocratique doit réfléchir à une justice distributive en matière de santé, source d’équité de l’offre de soins et d’égalité d’accès aux soins palliatifs et à l’accompagnement. Se pose ici d’un point de vue éthique la question de l’offre de soins. Qui aura droit à ce que sa fin de vie soit accompagnée le plus décemment possible ? Celui qui aura un certain niveau intellectuel ou socio-économique ? Celui qui habitera dans telle région ? Il s’agit d’un réel problème d’équité sanitaire.

En outre, l’augmentation des coûts de santé, du fait de l’allongement de la durée de vie associée à une maladie ou une perte d’autonomie, renforce le questionnement sur la signification des progrès de la médecine et les limites de la vie. Rappelons que la médicalisation des fins de vie aboutit à ce que plus de 70 % de la population meure actuellement à l’hôpital ou en institution. Certains pays ont rétabli la notion de médecin de famille, compris, au sens où on l’entendait au début du XXe siècle, comme le médecin naturel de l’accompagnement de la vie et de la fin de vie au sein des familles. Ces mêmes pays sont d’ailleurs techniquement très avancés sur le plan de la santé publique. Dans ce cadre, ils accordent un intérêt bien plus grand, y compris économique, à la santé, et ils ont transposé la fin de vie, et par conséquent l’euthanasie, à domicile.

En France, nous sommes très attachés à la médecine individuelle, mais pas assez à la médecine collective. Relier l’un à l’autre aujourd’hui ne se fera pas d’un coup de baguette magique. C’est un problème très difficile à résoudre. Or, c’est dans ce cadre que se pose la question de l’accompagnement de la fin de vie.

Paradoxalement, les progrès techniques en matière sanitaire imposent de développer de nouvelles solidarités, familiales et sociétales, particulièrement pour les plus vulnérables.

En ce domaine, le monde associatif jouera un rôle grandissant pour améliorer la qualité de vie, jusqu’à la mort.

Habitant un petit village de la Seine-et-Marne, au moment de la canicule, j’ai pu observer que les personnes âgées y faisaient l’objet d’un traitement différent de celui qu’elles recevaient dans le même temps dans les grandes villes. Je ne pense pas qu’aujourd’hui nous puissions tout résoudre en mettant derrière chaque personne un spécialiste des sciences de la vie et de la santé. Nous devrons forcément revenir, dans le cadre du suivi et de l’accompagnement de la fin de vie par le médecin traitant et le médecin de famille, à une solidarité nationale, avec un accompagnement par les proches, les voisins, en coopération

avec les spécialistes des sciences de la vie et de la santé. Nous ne pouvons nous contenter du seul accompagnement médico-technique de la fin de vie.

Selon le CCNE, l’euthanasie qualifie l’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne, dans l’intention de mettre un terme à une situation existentielle jugée insupportable. L’emploi du terme euthanasie a évolué d’une conception de l’euthanasie dite

« active » à une euthanasie dite « passive », avec ce que l’on a pu intituler un refus d’acharnement thérapeutique, passant ainsi de la conception d’une euthanasie volontaire à celle d’une euthanasie involontaire. On se trouve aujourd’hui face à un autre glissement sémantique, l’euthanasie désignant le suicide assisté et l’homicide volontaire réclamé. L’on saisit bien la difficulté de définir ce que l’on entend par euthanasie, et ce d’autant plus que l’euthanasie n’est pas approchée de la même manière selon que l’on privilégie la santé publique ou la santé individuelle. Lorsque la priorité est donnée à la santé publique, l’euthanasie résulte de la mise en place d’une procédure allant dans le sens d’une approche globale, parfois cynique et intégrant la dimension économique de la santé. Cette conception

« calibrée » est tout à fait différente d’une conception individuelle de la santé.

S’agissant de la notion de dignité, il faut lever une ambiguïté. La dignité est un caractère intrinsèque de toute personne, mais si elle est entendue en tant que sentiment de dignité bafoué par le rejet social de la vieillesse ou de la maladie, les mesures d’évitement de la perte de dignité sont possibles, par exemple par la prévention des problèmes posés en fin de vie, ou la mise en application de la loi sur les soins palliatifs.

Concernant les situations exceptionnelles de demandes réitérées d’euthanasie, la réflexion éthique est partagée entre la légitimité éventuelle d’une demande d’euthanasie et l’obligation légale d’y répondre.

Si l’on veut retenir le droit de mourir, il ne peut s’entendre que comme droit à laisser mourir déjà prévu par la loi, avec la possibilité pour le patient de refuser les soins, ou, pour les soignants, d’arrêter ou limiter les traitements à visée de survie. Il ne peut en aucun cas s’agir pour un tiers de commettre un acte de transgression, au nom d’un droit souverain à la maîtrise de soi ou d’un droit à mourir dans la dignité. De quelle dignité s’agit-il d’ailleurs ? A-t-on interrogé véritablement la personne sur ce qu’elle ressentait en termes de dignité, de convenance de soi-même ? La personne éprouve-t-elle un sentiment de perte de dignité qui va la pousser à demander un acte d’euthanasie, parce qu’elle est trop vieille, parce qu’elle dérange dans un cadre de santé publique, parce que dans une société qui vieillit, il faut

« laisser la place aux jeunes » ? On voit très bien jusqu’où cette notion de perte de dignité peut conduire.

L’accompagnement de la fin de vie peut être entendu comme un engagement solidaire tel qu’il a été exprimé dans l’avis n° 63 du Comité Consultatif national d’éthique.

Quant à l’exception d’euthanasie, évoquée dans ce même avis, elle a été suffisamment mal comprise, avec toutes les dérives d’interprétation et les risques d’instrumentalisation possibles, pour ne plus être reconnue comme telle. À ce sujet, nous avons eu des discussions avec les membres du comité concernant la fin de vie, les soins palliatifs et l’euthanasie. La notion d’exception d’euthanasie a beaucoup évolué au sein de ce comité, notamment du fait de la perception des dérives auxquelles elle pouvait donner lieu. Il a été accepté entre nous qu’il fallait consacrer le caractère exceptionnel de cette situation, d’une part, en n’introduisant pas dans une nouvelle loi des exceptions aussi restrictives soient-elles, et, d’autre part, en conservant au juge la faculté d’évaluer au cas par cas, et loin de toute réaction impulsive ou

émotionnelle, l’absence de toute autre issue et la possibilité de retenir par conséquent l’excuse absolutoire.

L’euthanasie devrait alors apparaître davantage comme une décision d’éthique que comme un acte médical.

L’éthique doit être conçue comme l’exercice d’une morale active et non comme l’exercice d’une morale contemplative donnant lieu à des discours incantatoires. Le CCNE est ainsi très attaché à certaines dispositions de la législation actuelle, à commencer par l’article premier de la loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, qui dispose que « toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement » mais aussi la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui consacre la démocratie sanitaire, et la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, qui autorise une personne malade à refuser un traitement et interdit l’acharnement thérapeutique.

J’en viens aux recommandations que nous pourrions formuler aujourd’hui que notre cadre légal, résultant d’une politique volontariste, est clair, mais que manque une culture citoyenne sur les sujets de la fin de vie et de la mort. Les gens sont très attachés aux progrès de la science et de la santé, mais sont peu enclins à envisager le sens de leur existence, notamment en ce qui concerne leur fin de vie.

Il conviendrait tout d’abord de développer la formation des professionnels en ces domaines. Comment aborder sur un plan éthique les soins palliatifs, la fin de vie et l’accompagnement de la fin de vie si une majorité de professionnels ne connaissent pas la loi de 2005 ?

Il faudrait également mieux articuler les champs psychologiques et éthiques et, d’une manière générale, décloisonner les champs sanitaires et médico-sociaux, la ville et l’hôpital, le court et le long séjour.

Le manque de moyens en personnels est tel qu’il sera absolument nécessaire de se baser sur la solidarité. Il ne s’agit pas de transférer les responsabilités, ni de médicaliser la population, mais de restaurer la solidarité à l’égard de son voisin et d’informer les citoyens sur la réalité de la fin de vie.

Il faudra encore pallier l’absence de lieux de séjour adaptés aux soins palliatifs généraux et terminaux, et mieux accompagner les familles.

Il sera important de développer la formation à l’interdisciplinarité, à l’approche globale et donc à l’éthique. Aujourd’hui, les études médicales sont très peu axées sur l’éthique ; l’éthique médicale n’est pas enseignée, alors que les étudiants en médecine tout comme l’ensemble des personnels de soins y sont très attachés. Il conviendrait d’introduire ces notions dès la 2ème année de premier cycle, ou au plus tard dans les quatre années qui suivent, et de créer un diplôme d’études spécialisées complémentaire (DESC) en 3ème cycle.

Il conviendrait par ailleurs de mettre à disposition une véritable offre d’accompagnement en établissement dédié et cesser de séparer le « caring », c’est-à-dire l’accompagnement, du « curing », c’est-à-dire le soin. Il conviendrait en outre de développer une information en direction du grand public, d’organiser les États Généraux de la fin de vie prévus dans le rapport remis par Mme Marie de Hennezel au ministre chargé de la santé en 2003, mais aussi de soutenir les associations de bénévoles, de mieux informer sur la journée mondiale des soins palliatifs et d’utiliser les conférences régionales de santé s’appuyant sur les plans régionaux de santé publique. Nul besoin de créer de nouveaux outils. Il faut utiliser ceux existants. Nous devrons également mener une action d’information sur la loi de 2005 à partir des collectifs associatifs et de l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF), et développer le soutien aux associations pour la formation à l’accompagnement des bénévoles et l’aide aux aidants.

S’agissant plus particulièrement de la formation et de l’information médicale en éthique, conformément aux recommandations du rapport Cordier remis au ministre de la santé en mai 2003 et à l’avis n° 84 du CCNE d’avril 2004, nous devons apprendre aux professionnels du soin ce qu’est la condition humaine et rappeler que la manière de scander et de sanctionner la mort forment les conditions d’existence du temps humain lui-même. Que signifie la vie ? Que signifie la mort ? Comment scande-t-on les différentes phases de la fin de vie ?

S’agissant du cas des maladies chroniques vers la fin de vie, la réponse médicale est toujours partielle. Le registre technico-scientifique, s’il est nécessaire, n’est pas suffisant. La question de leur impact économique n’est pas « non-éthique » ; il serait au contraire inéthique de ne pas considérer les aspects budgétaires du soutien médical à l’existence, y compris jusqu’à la fin de vie. Il est connu que la majorité des dépenses couvertes par l’assurance maladie à l’hôpital est consentie en fin de vie.

Enfin, l’article 38 du code de déontologie est formel, le médecin « n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».

Plutôt que de refondre la loi de 2005, il conviendrait de la mettre en œuvre in extenso, parallèlement à une action constante de pédagogie et de réflexion en commun tant au niveau de la population que des professionnels de santé, tant sur le plan médico-technique qu’éthique. Plutôt que de légaliser l’exception d’euthanasie, il serait souhaitable de soutenir le rôle fondamental du juge, dans une éventuelle décision d’excuse absolutoire, dans les cas où la mise en œuvre résolue des trois démarches que sont les soins palliatifs, l’accompagnement et le refus d’acharnement thérapeutique se serait révélée impuissante à offrir une fin de vie supportable.

Ce soutien pourrait prendre une forme d’une aide institutionnelle, tant médico-technique qu’éthique, dont il resterait à définir les contours et la composition. Cette aide devant être pluriforme, les parties prenantes seraient presque obligatoirement des représentants de comités d’éthique, de sociétés savantes, de la magistrature et de la population. Malheureusement, trop souvent, la population n’est pas impliquée dans ce mode de réflexion ; or, l’implication de la population est essentielle.

M. Jean Leonetti : L’opinion publique, interpellée par des faits médiatiques, semble aujourd’hui favorable à la légalisation de l’euthanasie, et la législation actuelle, outre qu’elle ne semble pas totalement comprise des professionnels, n’est pas intégrée par notre société.

Vous n’êtes pas favorable à une modification de la loi de 2005 ; mais si on ne la modifie pas, quelles mesures pédagogiques en direction tant des professionnels de santé que de la population doit-on mettre en œuvre ? Quelles critiques auriez-vous à formuler contre la loi ? Quelles sont les dispositions qui auraient dû y figurer et quelles sont celles qui n’auraient pas dû y figurer ? Comment sortir de l’émotionnel médiatique pour entrer dans une réflexion apaisée ?

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