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Audition de proches d’un patient décédé

(Unité mobile de soins palliatifs de Saint-Quentin – Famille Coutant)

(Procès-verbal de la séance du 7 mai 2008)

Présidence de M. Jean Leonetti, rapporteur

M. Jean Leonetti : Nous abordons à présent les conditions de l’accompagnement de la fin de vie et des soins palliatifs. En la matière, le soulagement du malade est fondamental, mais la place faite aux proches l’est tout autant.

Lors de la première mission, nous avions auditionné des représentants des grands courants philosophiques, religieux, des sociologues, puis l’ensemble du corps médical et des juristes, et enfin les associations. Malheureusement, nous n’avions pas reçu de proches. La question s’était posée d’inviter Marie Humbert, à l’époque mise en examen. Pour ne pas perturber la procédure judiciaire en cours, nous lui avions proposé de la recevoir en dehors de la mission, ce qui ne s’est finalement pas réalisé.

Nous devons aujourd’hui recevoir des témoignages de proches d’une personne ayant bénéficié, en fin de vie, de l’intervention d’équipes de soins palliatifs.

À ce titre, nous recevons M. et Mme Coutant, ainsi que leur fille Valérie, accompagnée de M. Kamel Nezzal.

Votre mère et grand-mère a été prise en charge par l’UMSP de Saint-Quentin, jusqu’à son décès en février de cette année. Le centre hospitalier de Saint-Quentin, dans l’Aisne, tout comme le CHU de la Pitié-Salpêtrière à Paris et le Centre hospitalier d’Aix-en-Provence ont fait l’objet d’une étude de l’Association pour la Recherche et la Promotion de l’Oncologie (ARPO). Cette étude, financée par la direction générale de la santé, vise à définir les « besoins, ressources et perspectives en matière d’aide aux proches de personnes malades en soins palliatifs ».

Eu égard au caractère récent de la disparition de votre mère et grand-mère, je mesure combien il peut être encore difficile et douloureux de nous exposer votre histoire, et je vous remercie au nom de la mission d’avoir accepté de nous en faire part.

Après votre exposé, votre audition se poursuivra par un échange de questions et réponses.

Mlle Valérie Coutant : Je suis la petite-fille de Mme Mireille Coutant, qui s’est éteinte, le 18 février dernier, après avoir été accompagnée durant plusieurs mois par le personnel médical et soignant ainsi que par sa famille.

Je vais tout d’abord retracer les derniers mois de son existence, pour mettre en lumière tout ce que nous avons vécu.

En octobre 2004 a été établi le diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Dès lors, son comportement de même que le nôtre et le regard que nous portions sur elle, ont changé. Cette

maladie s’ajoutait à une santé déjà fragile, puisqu’elle souffrait d’un diabète, de problèmes circulatoires, et d’un cancer du sein.

En accord avec elle, nous avons souhaité qu’elle soit maintenue à domicile, ce qui fut possible jusqu’en juillet 2007, notamment grâce à des aides à domicile. En juillet 2007, suite à une chute, sa désorientation s’est aggravée, et elle a dû être hospitalisée. Son médecin traitant nous a alors prévenus qu’elle devrait sans doute intégrer une institution. Nous nous étions déjà préparés à cette perspective lors de l’annonce de la maladie d’Alzheimer, et nous nous étions renseignés sur les établissements qui répondaient à nos critères – un établissement médicalisé dans lequel elle pourrait rester jusqu’à la fin, où la prise en charge de la douleur et l’accompagnement des personnes en fin de vie étaient des priorités, et où nous pourrions lui rendre régulièrement visite. Nous avons ainsi pu l’inscrire précocement sur la liste d’attente d’un établissement, au sein duquel intervenait l’UMSP de Saint-Quentin, qu’elle a intégré en août 2007, après deux mois d’hospitalisation.

Cette étape ne fut pas simple, ni pour elle, ni pour nous. Elle a marqué un tournant, qui a certainement accéléré son départ, car elle a eu du mal à accepter d’entrer dans cette institution, malgré notre soutien.

En novembre 2007, son état de santé s’est à nouveau dégradé, aggravant encore sa désorientation dans le temps et dans l’espace. Elle a perdu l’usage de la marche, et a commencé à refuser de s’alimenter. Elle est restée alitée, passant de son lit au fauteuil, alors qu’elle ne souhaitait rien tant que conserver son autonomie. Pendant quelques mois, elle est demeurée dans un état de torpeur, se montrant parfois agressive à notre égard. Le personnel de l’établissement nous a aidés à comprendre la situation, et a essayé de trouver avec nous les moyens de lui donner un peu plus d’autonomie, afin qu’elle ne vieillisse pas trop vite, qu’elle ne se laisse pas partir.

Les rares moments où elle était consciente, et où la communication redevenait possible, elle nous faisait part de son souhait de ne pas rester grabataire. Elle a toujours été très autonome, elle a géré sa vie comme elle l’entendait. À la tête d’une exploitation agricole, elle était une battante, et malgré toutes les épreuves qu’elle a pu traverser, elle a toujours refusé de dépendre de quiconque. Il lui était devenu insupportable de dépendre, à la fin de sa vie, de tiers pour les actes de la vie courante.

À ce moment-là, elle nous a dit qu’elle voulait partir. « C’est mon tour, je veux mourir, j’espère que ça ira vite, dis-leur », m’a-t-elle déclaré un soir. À d’autres membres de la famille, elle expliquait qu’il ne servait à rien de vivre dans ces conditions. Ses discours différaient quelque peu selon les personnes à qui elle s’adressait, mais il en ressortait toujours qu’elle ne se supportait plus, et qu’elle ne voulait pas demeurer ainsi.

Nous en avons parlé à l’équipe médicale et soignante qui a voulu se donner un temps d’évaluation par rapport à ce discours, compliqué du fait de la pathologie de ma grand-mère.

Exprimait-elle réellement son souhait, ou s’agissait-il d’épisodes délirants ? Suite à l’évaluation, il s’est avéré que ma grand-mère, dans ses moments de lucidité, persistait dans sa volonté, comme en a témoigné l’apparition d’un syndrome de glissement, ma grand-mère se laissant partir.

Parce que c’était son choix, parce que sa vie lui était devenue insupportable, nous avons décidé, après en avoir parlé avec l’équipe médicale, de respecter cette décision, dans un

geste d’amour. Nous savions alors que nous allions nous engager dans un long chemin, celui de l’accompagnement vers la mort.

L’équipe médicale et soignante a été extraordinaire. Si nous pouvons aujourd’hui vous parler de notre mère et grand-mère, c’est qu’elle nous a aidés, pendant plusieurs mois, à comprendre pourquoi son état se dégradait, pourquoi elle pouvait se montrer agressive, ou indifférente. Nous avons ainsi pu accepter le cheminement vers la mort. Nous ne nous sommes jamais sentis seuls. Nous avons été écoutés, entourés, soutenus, consolés. Nous ne pourrons pas oublier toutes ces personnes qui ont joué un rôle déterminant dans notre progression vers la mort avec elle. Elle aussi nous a beaucoup aidés, par sa détermination, sa sérénité, grâce au personnel soignant et médical qui l’a soulagée. Sa douleur était évaluée quotidiennement. Ma grand-mère a arrêté progressivement de s’alimenter, et elle a été hydratée régulièrement.

L’équipe nous a également aidés à évoquer la mort avec elle, ce qui n’était pas évident au départ. Ainsi, pensant la protéger, j’évitais d’aborder ce sujet avec elle, de pleurer devant elle. Je finissais par lui parler de tout et de rien, sauf de l’essentiel, jusqu’au jour où une aide-soignante m’a dit que je pouvais pleurer avec elle, et parler avec elle de la mort et de son départ. J’aurais pu passer à côté d’un réel dialogue avec ma grand-mère. À partir de ce moment, à chaque fois qu’elle le souhaitait, nous avons pu évoquer le passé, les souvenirs, l’avenir, sa place, le rôle qu’elle a joué dans notre vie, ou simplement passer un moment à nous tenir la main et à nous regarder. Son état se dégradant, les échanges verbaux ont de plus en plus souvent laissé place aux regards, au toucher.

Même si nous étions tous réunis autour d’elle, nous n’aurions jamais pu nouer une telle relation avec elle si nous n’y avions pas été aidés par le corps médical, le personnel soignant, les psychologues. Nous pouvions venir la visiter quand nous le voulions, nous avons été écoutés avec humanité. Quand on est dans la peine, avoir quelqu’un à ses côtés qui vous pose simplement une main sur l’épaule, et vous explique pourquoi votre grand-mère vous dit ceci à ce moment-là, pourquoi elle souhaite entrer en relation avec vous à ce moment-là, c’est très important. Surtout, nous pouvons aujourd’hui penser à elle dans de jolis moments. Cela nous réconforte de songer à tous les échanges que nous avons eus avec elle. Nous pouvons mieux avancer, mieux faire le deuil, même si elle est toujours présente.

Vous avez peut-être l’impression que je ne parle que des aspects positifs. Oui, nous avons traversé des moments de profond désarroi, surtout quand elle a commencé à souffrir, avant qu’elle ne soit soulagée. Puis, elle a reçu progressivement des antalgiques et je salue la transparence de l’équipe médicale qui nous mettait, avec elle, au courant de tout. Nous n’avons pas décidé pour elle, elle participait aux conversations sur sa santé et elle donnait son avis à chaque fois qu’elle le pouvait.

L’accompagnement des personnes en fin de vie et de leur famille, le soulagement de la douleur sont essentiels. C’est vrai, nous sommes peut-être allés au-devant des médecins.

D’autres familles n’osaient pas, car la mort fait peur, la parole du mourant fait peur. Que dire à un proche qui va mourir ? On ne peut pas mentir dans ces moments-là.

Je voulais dire aussi que ma grand-mère a conservé sa personnalité jusqu’au bout.

Elle a tenu jusqu’à la fin son rôle de grand-mère. On aurait pu penser que quelqu’un qui s’en va a besoin d’être protégé, mais nous nous sommes toujours parlé de petite-fille à grand-mère.

Nous avons ainsi pu nous dire au revoir, fêter avec elle son dernier anniversaire. L’équipe médicale a tout fait pour nous permettre de partager ce dernier événement familial avec elle.

Je retiendrai de ma grand-mère le sourire qu’elle avait le jour où elle est partie. Je l’ai vue une heure avant qu’elle ne décède. Nous avions passé tout le week-end avec elle, nous étions dans le gestuel, c’était le seul échange que nous pouvions avoir. Elle avait un visage serein face à la mort, et un sourire.

J’ajouterai enfin que l’équipe a permis qu’elle parte accompagnée dans sa foi, ce qui était très important pour elle, si croyante.

M. Patrick Coutant : Valérie, par son métier d’assistante sociale, ainsi que ma femme, qui travaille dans le même établissement, ont accompli un travail formidable, par un accompagnement de tous les jours, de tous les instants, et je les en remercie profondément.

N’étant jamais entré dans une maison de retraite avant que ma mère n’y soit, j’ai même été très choqué de voir à quel point des patients étaient abandonnés. Seuls 10 à 15 % des malades recevaient la visite de leur famille.

Enfin, à mon tour, je salue la transparence de toute l’équipe qui nous a toujours tenus informés de l’évolution de la maladie, et des soins prodigués.

Mme Françoise Coutant : Je travaille dans un service médical, en radiologie plus précisément. Toutes les semaines, je vois des personnes en fin de vie, et je ne comprends pas pourquoi l’on s’acharne parfois sur certaines d’entre elles !

Comme l’a dit Valérie, ma belle-mère nous a dit à tous qu’elle voulait partir, qu’elle ne voulait plus vivre dans ces conditions. Ce fut une période très difficile. Certaines semaines, je ne pouvais plus aller la voir. Valérie prenait alors le relais. Quand elle était à son tour épuisée, j’y retournais. Nous n’avions pas le droit de l’abandonner, mais nous avons pu expliquer au personnel nos faiblesses, et nous avons alors été pris en charge. On nous a expliqué qu’il était normal d’éprouver de tels sentiments, alors que nous avions honte de ne plus pouvoir y aller parfois, nous qui marchions pourtant sur nos deux jambes.

Si nous sommes aujourd’hui sereins, c’est que nous avons pu, grâce à l’accompagnement de l’équipe, lui dire au revoir tranquillement. Je l’ai vue une demi-heure avant son départ. Elle était très calme et détendue. Je lui ai tenu la main, elle m’a dit « Ah ! C’est vous ». Au bout d’une demi-heure, elle dormait paisiblement.

Il faut dire aussi que sa souffrance était régulièrement évaluée, et soulagée. Nous avons travaillé avec le personnel soignant, car elle nous disait certaines de ses douleurs qu’elle leur taisait. Nous avons toujours été mis au courant de tout ce qui se pratiquait. La confiance était réciproque.

C’est vrai, certains malades sont abandonnés par leur famille, mais la mort fait peur.

Nous-mêmes nous sommes retrouvés certains soirs sans savoir si nous aurions le courage de retourner la voir le lendemain. Dans ces cas, l’accompagnement et le soutien de l’équipe médicale et soignante sont primordiaux, dans les maisons de retraite comme dans les services médicaux, car les personnes âgées ne meurent pas forcément en maison de retraite. L’idéal serait qu’au sein de chaque service, une ou deux personnes servent de référent pour soutenir les familles en détresse.

Ma belle-mère, d’une certaine manière, nous a aidés à l’aider à partir, mais tous les malades ne sont pas prêts à accepter la fin de vie.

Mlle Valérie Coutant : L’entrée en institution est déjà un premier pas vers le deuil, un départ. Pour beaucoup de familles, l’accompagnement de la fin de vie démarre à ce moment-là.

Les lois de 2002 et 2005, les unités de soins palliatifs, la possibilité de soulager la souffrance en fin de vie sont des éléments essentiels, malheureusement encore méconnus ou mal appliqués. Les soins palliatifs devraient être considérés comme une autre voie thérapeutique, une alternative au traitement. À un moment, il faut savoir proposer autre chose, et accompagner autrement.

Mme Françoise Coutant : Si le personnel médical et soignant nous a beaucoup soutenus, nous les avons aussi aidés. Nous avons travaillé ensemble. C’était apparemment la première fois que se mettait en place un tel suivi, du début à la fin.

M. Patrick Coutant : L’équipe doit informer, dialoguer, et la famille regarder les

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