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L’analyse  économique  du  zonage  dans  les  documents  d’urbanisme  témoigne  de  stratégies  sous­ jacentes  destinées  à  gérer  les  finances  locales  et  à  satisfaire  le  plus  grand  nombre  des  requêtes  individuelles. Ces stratégies interviennent en opposition avec les orientations affichées des documents  d’urbanisme (vers le développement durable) et contenues dans la loi. 

Plusieurs écoles de pensées existent et placent les objectifs de zonage selon les approches suivantes.  Nous nous inspirons des travaux de Gabriel Lecat (2006, pp. 124­145) pour en illustrer le propos : 

Le zonage fiscal : qui se divise en trois classes (‘classical view’, ‘benefit view’, ‘new view’) issues de la  différenciation  des  mécanismes  de  valorisation  de  la rente foncière (inélasticité, mobilité et fixité de la  taxation,  mobilité  et  variabilité  de  la  taxation  par  juridiction),  et  des  effets  des  taxes  qui  leur  sont  assujetties.  Mais  ces  théories  prennent  corps  uniquement  dans  un  cadre  de  zonage,  qui  induit  inéluctablement une gestion quantitative du potentiel foncier (qui peut être limitative), renforçant ainsi les  tensions et les conflits sous­jacents. 

La théorie de la capitalisation foncière : elle est due au mécanisme de différenciation de la valeur 

foncière  en  fonction  de  la  nature  des  terrains  (proximité,  cadre,  pente,  sols,  etc.).  Cette  conception  « équilibrante »  permet  « au  niveau  d’utilité  des  résidents  d’être  maximisé  et  à  la  population  de 

chaque ville d’être optimale » (p. 127). Cette vision a pour inconvénient d’engendrer une politique de 

régulation de l’offre foncière selon un mécanisme de congestion. L’augmentation des prix des terrains,  en  bordure  de  paysages  valorisants,  limite  la  capacité  des  ménages  et  entraîne  des  phénomènes  de  ségrégation. Cette théorie implique une nécessaire croissance démographique, en optimisant le volume  de  population  par  rapport  aux  dépenses  publiques.  Ceci  sous­entend  que  la  dynamique  d’accueil  de  nouvelles  populations  permet  de  favoriser  l’amortissement  des  dépenses  publiques  et  de  limiter  l’augmentation  de  la  taxation.  Mais  elle  conduit  à  une  consommation  linéaire59  du  foncier  favorisant 

l’étalement urbain. La fiscalité des collectivités est donc au cœur des problématiques d’étalement urbain.  Elle  est  jugée  inadaptée  à  la  réalité  des  besoins  de  financement  de  l’aménagement.  Par  ses  mécanismes, elle peut avoir des effets inverses aux enjeux du développement durable, en encourageant  l’étalement urbain au lieu de favoriser la densification (Jegouzo Y., 2009).           reconnues comme précieuses, ou, en termes économiques, exploitables. Il s’agirait alors de lieux et de traditions dont certains individus ou  la société dans son ensemble peuvent tirer une utilité » ­ OCDE, « Cultivating rural amenities », OECD publishing, 1999, 113 p.  58

  Les  résultats  de  l’appel  à  projet  du  PUCA,  intitulé  « La  citoyenneté  urbaine :  forme  d’engagement  et  enjeux  de  solidarité »  ­  (programme  «  Le  gouvernement des villes et la fabrique du bien commun – Citoyenneté et décision urbaine » ­ décembre 2007) montrent l’impact de la fiscalité locale dans  les  modes  décisionnels  et  d’implication  des  citoyens  à  la  vie  des  institutions.  Ce  facteur,  bien  que  prépondérant,  constitue  une  voie  de  recherche  importante pour la compréhension des facteurs décisionnels des individus dans les choix de localisation résidentielle. 

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 La consommation linéaire du foncier induit un développement proportionnel de la consommation foncière vis à vis de la croissance démographique  (avec un seuil de 1/1). Ce schéma proportionnel correspond à des typologies d’étalement urbain. Une consommation non linéaire correspond à une  dynamique de densification. 

Le  zonage  de  monopole : qui  permet  soit  « d’accroître  les  prix  fonciers  par  une  raréfaction  de 

l’offre  de  lots  de  petites  tailles,  soit  d’exiger  des  nouveaux  résidents  une  contribution  fiscale 

supérieure  au  niveau  de  production  optimale  des  biens  publics  locaux ».  Il  traduit  « une pratique 

monopolistique du zonage fiscal par la réduction des quantités offertes de terrains urbanisables » 

(p. 132). Cette vision de la dynamique de zonage nous intéresse particulièrement, car dans un contexte  de  planification  (surtout  à  l’échelle  des  PLU),  il  semble  évident  que  les  enjeux  de  ce  zonage  résident  dans la réponse aux intérêts60 particuliers. Dans ce contexte, la définition des agents reste variable en 

fonction  des  caractéristiques  du  territoire.  Le  zonage,  qui  ouvre  largement  le  foncier  à  l’urbanisation,  participe  d’une  dynamique  d’ensemble  qui  va  permettre  la  satisfaction  des  propriétaires  rentiers,  des  locataires (souhaitant une baisse des loyers) et des promoteurs (souhaitant obtenir un accès facilité au  bien). Le zonage apparaît alors comme un outil de régulation qui doit être analysé non pas sur un seul  document mais sur l’évolution des versions du document d’urbanisme. C’est ainsi que l’on peut observer  quelle  est  la  relation  entre  les  prévisions  de  croissance  démographique,  l’évolution  des  surfaces  urbanisables ainsi que leur localisation. Ce mécanisme d’expansion participe également du mécanisme  de valorisation de l’investissement dans les biens publics. Il s’agit donc d’une forme de développement  qui fait consensus, lié à la notion d’électorat et de réponse aux intérêts locaux.  

Cette  théorie  utilise  les  composantes  du  zonage  fiscal  (dynamiques  de  valorisation du foncier dans le  capital) et les relations entre décideurs publics et communautés d’intérêts pour expliquer la dynamique  de  zonage.  Mais  l’observation  de  la  préférence  des  intérêts  économiques  tend  à  limiter  l’intérêt  du  zonage par « l’abandon de l’hypothèse de bienveillance des autorités locales » (p. 134). Alors que la  puissance  publique  aurait  un  rôle  essentiel  de  correction  des  échecs  du  marché,  Gabriel  Lecat  cite  Philippe  Bernard  (2000)  qui  rappelle  qu’«  elle  demeure  silencieuse  sur  un  aspect  essentiel  de  la 

collectivité  qu’elle  doit  gérer:  sa  dimension  souhaitable  »  (p.  132).  L’effet  régulateur  attendu  des 

collectivités  n’est  pas  observé  par  les  économistes  qui  attribuent  l’action  de  la  puissance  publique  en  faveur des communautés d’intérêts (en l’occurrence foncières et/ou immobilières).

L’analyse  par  le  zonage  de  monopole  semble  la  plus  appropriée  au  modèle  de  fonctionnement  de  la  planification en France. Quatre « modèles de contrôle politique » sont identifiés : 

• Le  modèle  des  groupes  de  pressions,  représenté  par  les  associations  de  défense  de  l’environnement,  les  syndicats  interprofessionnels,  etc. ;  ils  sont  insérés,  pour  certains,  dans  les  SCOT et les PLU en tant que « personnes publiques associées » (cf. l’article L. 121­4 et L. 300­2  du code de l’urbanisme). 

• Le  modèle  de  l’élu,  cherchant  à  « maximiser  une  fonction  d’intérêt  qui  lui  est  propre »  (p.  135).  Il  s’agit  essentiellement  des  recettes  fiscales,  liées  au  niveau  de  compétence  de  la  collectivité.  Cette  observation  est  à  replacer  dans  un  contexte  plus  large  où  les  fonctions  intercommunales changent les relations en complexifiant les jeux de pouvoirs et de pressions entre  les élus eux­mêmes. Les communes les plus riches, situées au cœur des agglomérations ou des  unités  urbaines,  ne disposent que de peu de potentiel foncier pour leur développement. Ce sont  donc les communes périphériques qui vont détenir les clés de leur développement en favorisant  les  dynamiques  foncières.  Au­delà  de  cette  simple  observation,  le  contexte  beaucoup  plus 

        60  L’analyse d’Alain Favre apparaît à ce titre pertinente pour introduire l’idée que les mécanismes de pression des groupes d’intérêts constituent des  systèmes de gouvernance « implicites » qui conditionnent les gouvernements locaux, voire « les gouvernent » d’une certaine façon. Cette analyse  revient à spécifier que l’intervention démocratique se résume aux pressions exercées par des individus, les « secteurs actifs de la société », disposant  d’intérêts (essentiellement fonciers) et qui les font valoir à travers des mécanismes d’influence vis à vis des élus. Cf. ­ Favre, P., "Qui gouverne quand  personne ne gouverne ?" in Être gouverné. Études en l'honneur de Jean Leca, Presses de Sciences Po « Académique », 2003, pp. 257­271. 

complexe de gouvernance et de gestion des documents de planification, toutes échelles confondues,  tend à démultiplier les enjeux fonciers. Car, à une échelle intercommunale, les enjeux du renouvellement  urbain  induisent  des  politiques  sectorielles  qui  augmentent  la  fiscalité  des  collectivités  (transports  publics, développement des services, politique foncière, etc.). Sur notre territoire d’étude, les communes  périphériques  ont  longtemps  joué  le  jeu  du  développement  économique  en  laissant  à  la  CUB  les  investissements métropolitains structurants. 

• Le  modèle  de  l’électeur  médian,  qui  va  privilégier  une  politique  intégrant  au  mieux  les  dépenses  communales en rapport avec son revenu. Face à cet enjeu pour les élus, il faut également considérer la  demande sociale influencée par trois grands facteurs (la dynamique sociodémographique très positive  autour des agglomérations, le développement de la mobilité, la demande foncière des entreprises (Piron  O.,  2006a).  Les  communes  périphériques  vont  profiter  de  leurs  faibles  taux  des  taxes  foncières  comparativement aux communes centrales qui doivent couvrir l’investissement de services d’envergure  métropolitaine. De ce fait, la limite de la CUB est une limite fiscale motivant les ménages à s’extraire de  son périmètre. 

• Le  modèle  hiérarchique,  difficilement  applicable  dans  le  contexte  français,  car  les  collectivités  disposent d’une autonomie dans leur compétence d’urbanisme, au titre de la loi de décentralisation de  1983. Il n’y a pas de collectivité de tutelle imposant son autorité en matière d’urbanisme.    Le zonage d’exclusion : il traduit les stratégies de résidents qui refusent l’évolution de leur environnement  spatial, désireux de le conserver dans ses caractéristiques initiales (qualité des espaces et des paysages, vue  panoramique, etc.). Il faut le considérer comme un capital lié à l’investissement immobilier résidentiel (impact  économique  de  la  valeur  paysagère).  Ce  zonage  d’exclusion  peut  correspondre  également  à  l’objectif  d’écarter certaines populations qui présentent pour les riverains, une modification importante de leurs critères  de voisinage. Plus communément, le zonage par l’exclusion correspond à l’effet « Nimby » caractéristique des  stratégies de maîtrise du cadre de vie. Ces stratégies sont présentes dans le cadre des projets industriels, de  transports  à  proximité  de  lieux  de  résidence  mais  également  lors  des  débats  relatifs  aux  nouvelles  constructions  résidentielles. Il s’agit alors de s’opposer à la construction d’immeubles hauts, de règlements  autorisant  la  densité,  à  la  conception  d’entités  résidentielles  collectives  ou  sociales,  ou  de  tout  autre  projet  perçu négativement (implantations industrielles, activités potentiellement polluantes, etc.). Ce zonage par la  discrimination  apparaît  souvent  sur  les  territoires  périurbains  et  impacte  fortement  les  orientations  des  documents d’urbanisme. 

Les économistes considèrent donc le zonage d’exclusion comme une composante inhérente aux équilibres  fiscaux des communes. Elles sélectionnent les nouveaux habitants en limitant la ressource foncière à des fins  de rentabilité des équipements publics pour chercher à maîtriser leur développement. Ce type de zonage est  donc  associé  au  zonage  fiscal  qui,  par  un  pouvoir  de  monopole  de  la  puissance  publique,  sélectionne  implicitement les populations dont les revenus sont en adéquation avec les exigences de gestion des biens  publics  de  la  commune  d’accueil  (seuil  plafonné  de  développement  démographique,  hausse  du  prix  du  foncier, recettes fiscales, etc.). 

 

En conclusion de ce paragraphe, nous retenons qu’un document d’urbanisme peut contenir plusieurs types de  zonages à la fois dans l’espace et dans le temps, à travers les révisions et modifications de PLU. Le marché  de l’immobilier et foncier est un paramètre mal connu, trop peu évalué pour comprendre ses répercussions 

dans  l’action  publique.  Cependant,  ces  pressions  fiscales  traduisent  des  stratégies politiques et des règles  économiques pouvant prédominer la question paysagère.