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Parmi  les  enjeux  paysagers  récurrents  dans  la  planification  française,  celui  de  l’étalement  urbain  apparaît  systématiquement,  que  ce  soit  dans  une  lecture  identitaire,  patrimoniale,  sociologique  ou  fonctionnelle  des  zones périurbaines, depuis presque quarante ans. L’étalement urbain ou la périurbanisation sont des concepts  et des dynamiques polymorphes (Roux E. et Vanier M., 2008) de développement territorial depuis longtemps  décriés  (Chassagne  M.­E.,  1977;  Chassagne  M.­E.  et  Renard  V.,  1981;  Roux  E.  et  Vanier  M.,  2008).  Les         

analyses  effectuées  par  des  chercheurs  tels  que  Bertrand  Hervieu  et  Jean  Viard  (1996)  ou  Jean­Didier  Urbain64 (2002), montrent que certaines dynamiques d’évolution des paysages replacent ces enjeux présents  dans les documents de planification dans un contexte de conflit entre des objectifs collectifs et des velléités  individuelles.  Ces  dernières  sont  liées  au  cloisonnement  et  à  l’individualisation  de  l’espace  par  le  mode  d’habitat pavillonnaire. Ces tendances se pérennisent65 et constituent un modèle dominant enfermant tout un 

segment de marché d’une population économiquement rejetée ou insatisfaite du centre urbain (Semmoud N.,  2003).  

Le  développement  d’analyses  territoriales  et  l’introduction  d’indicateurs  dans  l’évaluation  des  politiques  ont  permis de mettre en lumière certaines évolutions. Le phénomène massif d’étalement urbain a montré que les  citoyens avaient un besoin de nature lié à un contexte particulier (Donadieu P., 1998; Luginbühl Y., 2001):  - un engorgement des centres urbains,  - une absence ou une offre de nature insuffisante (parcs, jardins…) et d’aménités dans les villes,  - une inaccessibilité des marchés immobiliers.   

Ce  phénomène  d’étalement,  inséré  dans  une  logique  de  croissance  des  unités  urbaines,  a  été  perçu  dans un premier temps comme la construction d’un espace de transition entre la ville et la campagne.  L’investissement  des  collectivités dans les politiques de paysage (chartes, plans, contrats…) a mis en  évidence l’émergence d’une fonction aménitaire et sociale des espaces agricoles (Fleury A. et Donadieu  P., 1997) et périurbains (Ribot C., 2000). Ces espaces deviennent des paysages en tant que cadre de  vie  et  reflètent  une  demande  sociale  très  forte.  Leur  multifonctionnalité  est le support d’une économie  résidentielle et de loisirs difficile à estimer, mais qui généralisée à l’espace européen, constitue l’un des  éléments d’appui de la mise en œuvre de la nouvelle Politique Agricole Commune (Fischler F., 2002).  Cette  économie  résidentielle  constitue  également  une  activité  plébiscitée  non  seulement  par  les  promoteurs,  mais  plus  tacitement  par  les  exploitants  agricoles  soumis  à  de  réelles  dualités,  partagés  entre le souhait de pérenniser leur activité, et le besoin de se constituer un capital ou une rente foncière  facilement mobilisable. Les analyses croisées d’agronomes et de géographes montrent également que  le  jeu  de  la  spéculation  foncière  des  surfaces  agricoles  répond  à  un  mécanisme  d’anticipation  du  développement urbain, dans lequel la part aménitaire des paysages constitue un facteur non négligeable  (Napoléone  C.,  2002).  Ces travaux montrent que l’on pourrait théoriquement anticiper les dynamiques  d’inflation  et  de  mutation  du  rural  à  l’urbanisable  par  une  analyse  qualitative  des  paysages  rendus  accessibles par les axes de déplacement (Gaschet F. et Pouyanne G., 2009) et par la mise en évidence  des mécanismes d’anticipation de cette mutation (Geniaux G. et Napoléone C., 2007). Ainsi, l’évolution  des paysages ne peut seulement être imputée aux documents d’urbanisme dans leur interventionnisme,  car les analyses économétriques de la rente foncière montrent clairement les interactions possibles entre  des structures du parcellaire agricole de faible taille, des proximités spatiales aux systèmes de transports  et  d’échange,  et  les  paramètres  d’attractivité  urbaine  pour  les  ménages.  Il  en  ressort  que  l’on  peut  identifier les différents leviers d’action pour limiter la mutation des terres agricoles à l’urbain en abordant  les enjeux fonciers de l’agriculture (Peres S., 2009).          64  Le regard d’anthropologue de Jean­Didier Urbain apporte une lecture pertinente des usages et des comportements qui président au désir de la maison  individuelle.  65 Le Monde, « Après l’exode rural, l’exode urbain ? », 4 juin 2006. 

En ce qui concerne notre territoire d’étude, nous constatons la réalité de ce phénomène puisque ce processus  de consommation de l’espace agricole s’étend au­delà des couronnes périurbaines des agglomérations pour  se généraliser au cœur même des territoires ruraux. Les statistiques de la SAFER Aquitaine montrent que la  part des acquéreurs non agriculteurs du foncier agricole est passée de 70 à 80% des ventes de 2003 à 2006  sur  les  trois  départements  littoraux  de  l’Aquitaine  (SAFER­Aquitaine  Atlantique,  2007).  Les  valeurs  correspondantes ont augmenté de 55% et le volume des surfaces acquises de 19% durant l’intervalle de trois  ans. Ces données permettent de constater que les outils de planification actuels, sont soit inexistants, soit leurs  actions sont inefficaces. D’ailleurs, une des orientations du projet de loi Grenelle II66 est de systématiser la 

constitution  de  SCOT  (renforcés  sur  le  plan  réglementaire)  sur  tous  les  territoires  y  compris  ruraux,  et  d’intégrer  un  volet  environnemental  dans  les  conseils  économiques  et  sociaux  au  niveau  régional.  Il  est  d’ailleurs intéressant de lire les premières propositions du Comité Opérationnel « urbanisme » de ce Grenelle  pour  constater  les  propositions  initiales  très  ambitieuses  qui  donnaient  aux  documents  d’urbanisme,  et  au  SCOT en particulier, un poids très important (Alduy J­P. et Piron M., 2008). 

Cet  étalement  urbain,  est  également  pour  d’autres  chercheurs,  un  terrain  de  lecture  des  conflits  entre  les  acteurs économiques agricoles et les fronts urbains des systèmes métropolitains. Il fait figure de révélateur  des mécanismes de ségrégation spatiale et de symbole du déni de nos sociétés urbaines (Courtot R. et Perrin  C., 2006). Il est la conséquence des stratégies d’investisseurs pour accéder à la ressource foncière, tels que  promoteurs immobiliers ou industriels. Des tensions très fortes se nouent dans les espaces au sein desquels  la  proximité  de  la  ville  avec  les  bénéfices  de  la  campagne  est  convoitée.  Il  en  résulte  des  mécanismes  d’inflation  des  prix  du  foncier  et parfois une diminution des transactions avec des situations de blocage en  matière d’accès à cette ressource pour les populations locales. De fait pour pallier à cette situation, l’ouverture  à l’urbanisation se trouve encouragée. Cet exemple de Roland Courtot et Colline Perrin, tiré d’une analyse des  POS sur le territoire marseillais peut être étendu. Ce mécanisme peut être en partie modélisé en s’appuyant  sur les liens importants entre la localisation, le rythme de l’urbanisation nouvelle et les enjeux du capital foncier  qu’il soit public ou privé (Donzel A., François D. et al., 2008). Les stratégies des communes périphériques ont  un impact majeur dans ces documents de planification. Elles résultent en partie des interdépendances entre  les  villes  centres  (absence  de  politique  foncière,  offre  résidentielle  insuffisante,  éclatement  des  fonctions  productives, etc.).  Ce système de relations conflictuelles sur ces paysages périurbains est un fait instauré et sédimenté. Le conflit  devient la règle d’un fonctionnement local visant à rééquilibrer les systèmes de gouvernance et permettre une  interprétation de la règle selon une vision et des besoins locaux (Torre A., Aznar O. et al., 2005).                   66  Projet de loi « Engagement national pour l’environnement ». http://www.assemblee­nationale.fr/13/dossiers/engagement_environnement.asp.  ­ Sénat, "Projet de loi, portant engagement national pour l’environnement," 12 janvier 2009, n°155, 525 p. 

                        Figure 2 : Modèle de "cheminement" logique des conflits spatiaux selon l'axe des temps – in Paoli, J.­C. et Melot,  R.,  "Conflits  d'espace  et  dynamique  des  formes  de  gouvernance  :  essai  de  synthèse",  XLVIè  Colloque  de  l'Association des Sciences Régionales de Langue Française (ASRDLF). 

 

Jean­Christophe  Paoli  et  Romain  Melot  proposent  une  traduction  de  ces  conflits  en  fonction  de  leur  intensité.  Les  documents  d’urbanisme  sont  représentés  dans le tableau de la figure 2. Leurs analyses  rendent  compte  de  l’augmentation  des  procédures  de  contentieux  en  matière  de  planification.  Ces  contentieux  ne  sont  pas  uniquement  le  fait  de  défenseurs  de  l’environnement,  ils  sont  aussi  le  fait  d’individus  réclamant  le  droit  à  la  construction.  Le  type  d’opposition  qui  les  concerne  est  le  conflit  de  gouvernance à travers lequel une somme d’enjeux et de règles est controversée (Paoli J.C. et Melot R.,  2009). Ces conflits illustrent un amalgame ancré, tendant à catégoriser les usagers au détriment d’une  réelle réflexion sur les usages et leur partage au sein d’un même espace (l’agricole avec l’aménitaire,  l’industriel  avec  le  naturel).  De  fait,  l’appréhension  des  problématiques  est  faussée  puisqu’elle  est  simplifiée  et  rarement  abordée  dans  des  procédures  comme  les  documents  d’urbanisme.  Les  SCOT  sont  dépendants  des  systèmes  de  gouvernance  locaux  et  de  leurs  capacités  à  intégrer  les  enjeux  économiques,  environnementaux  et  sociétaux  dans  un  seul  et  même  projet  (Gibert  M.  et  Sanson  H.,  2002).  Jean­Charles  Castel  précise  que  l’intervention  sur  l’habitat  individuel  nécessite  une  démarche  coordonnée entre territoires de même attractivité. Il cible les documents d’urbanisme et montre que cette  coordination  (entre  communes  périphériques)  permettrait  d’éviter  l’évasion  de  l’offre  de  logements  individuels vers des communes plus souples et organisatrices de cette offre (Castel J.­C., 2005). 

Un  nouveau  paradigme  positiviste  est  à  imaginer  selon  Christian  Peltier,  pour  réconcilier  un  positivisme  régulateur et figé à un positivisme critique, trop ouvert à la négociation sans finalement tenir les engagements  planificateurs  (Peltier  C.,  2010).  Le  projet  doit  se  concevoir  selon  une  démocratie  dialogique67  et  non 

uniquement  selon  une  négociation  empreinte  d’enjeux  et  de  conflits.  Pour  Martin  Vanier,  c’est  une relation 

        67  Ce terme de démocratie dialogique est développé par Y. Lascoumes et al. et s’oppose à la démocratie délégative. Il exprime une confrontation équitable  des discours et savoirs techniques, experts, et « profanes », dans un objectif de recherche « d’un monde commun ». Les auteurs prennent exemple  des forums hybrides et des conférences de consensus pour illustrer les formes possibles de cette démocratie dialogique.­ Callon, M.; Lascoumes, P. et  Barthe, Y., "Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique", Editions du Seuil, Série "La couleur des idées", Paris, 2001, 362 p. (pp.  174­261). 

« transactionnelle »  et  des  « combinaisons »  qui  sont  à  inventer  (Vanier  M.,  2005)  en  favorisant  les  compromis sur les territoires existants plutôt qu’en créant de nouveaux fronts urbains. C’est ce que proposent  Pierre Donadieu et Jacques Sgard sur cette question de l’étalement urbain. Le premier prône une coordination  des outils et des politiques publiques en accordant à l’agriculture une vraie place dans le projet de territoire  urbain ; le second propose un travail sur la trame verte comme espace de liaison et de médiation entre les  entités  urbaines  éclatées  (Sgard  J.,  2003;  Donadieu  P.,  2003a).  Nous  retrouvons  dans  cette  dernière  proposition  le  positionnement  conceptuel  similaire  de  l’agence  Follea&Gautier  sur  le  SD  2001,  que  nous  développerons par la suite. 

I.2 ­ Les paysages, matériaux de la planification territoriale 

Le paysage constitue un levier d’action mobilisé par les acteurs pour des fins multiples et non uniquement  liées à une intentionnalité paysagère. Nous avons explicité en début de ce mémoire, les principales évolutions  des documents d’urbanisme. Le contexte d’incertitude économique et le développement d’attentes en matière  de  cadre  de  vie  d’une  société  qui  s’urbanise,  constituent  un  terrain  nouveau  pour  la  planification.  Ces  évolutions  impliquent  une  nouvelle  gestion  de  la  ressource  qui  replace  la  question  géographique  dans  les  modèles  de  développement.  Guy  Loinger  exprime  clairement  les  mutations  des  enjeux  :  « Sur  quelques 

décennies, on passe insensiblement d’une problématique de "béton", à une problématique de modes de  vie et de lien social. Et dans la mesure où ce n'est plus "l'usine" qui structure les comportements, ou le  lieu de travail, dans une société tertiarisée et informatisée, dont les modes de vie localisés sont de plus  en plus diffus, volatils, dé spatialisés, multifonctionnels pour chaque individu, le seul véritable référent  stable, c’est le lieu, car le lieu exprime un besoin fondamental d’enracinement. C’est la relation Homme

Lieu,  qui  est  l'une  des  bases  de  l'existence  humaine  socialisée  »  (Loinger  G.,  2000).  Les  documents 

d’urbanisme,  outils  agissant  sur  l’espace,  sont  des  objets  particulièrement  ciblés  pour  répondre  à  ces  mutations68.