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Le vélo comme promoteur du marché publicitaire

Mettre l’ecologie en mouvement Les controverses aux origines du projet Vélib’.

1.3. De quoi Vélib’ est-il le nom ?

1.3.3. Le vélo comme promoteur du marché publicitaire

Tout en mentionnant les qualités « écologiques » de la nouvelle infrastructure, lors de la cérémonie inaugurale du Vélib’, Bertrand Delanoë a souligné un autre élément ayant fait l’objet de controverses sur la nature du système : le Vélib’ a été conçu « de telle façon que

ça ne coûte rien aux Parisiens. Et même, ça rapporte au moins trois millions d’euros par an » (NouvelObs, juillet, 2007).

Les efforts des militants des Verts ont notamment porté sur la défense de l’argument selon lequel cette nouvelle technologie ne bénéficierait pas à la population mais au pouvoir économique, et qu’il s’agissait en particulier d’une infrastructure conçue au service du développement du marché publicitaire de la ville. Contrairement aux paroles de Bertrand Delanoë, qui affirmait que l’expérimentation « ne coûte rien aux Parisiens », les détracteurs du système considèrent qu’il présente des coûts élevés, car la Ville cesse de recevoir la redevance qu’elle percevait auparavant pour les panneaux publicitaires. Les Verts ont essayé de rendre visibles et problématiques les enjeux du système : au nom de la thématique environnementale et de la pollution atmosphérique, ce que l’on favorisait était une plus grande occupation du marché privé dans l’espace public. Pour eux, cataloguer le projet de VLS comme promoteur d’une « ville durable » consistait à tomber dans le piège publicitaire de JCDecaux, puisque l’objectif principal de la société était de préserver le marché publicitaire de Paris, et non pas d’étendre l’usage du vélo. Grâce à la médiatisation de l’usage du vélo en libre-service, JCDecaux réussissait, d’après les Verts, à étendre son

marché publicitaire à Paris et dans le reste du monde, et au passage à redorer l’image de l’entreprise. Les Verts concevaient le vélo comme un moyen de transport alternatif, et par conséquent il ne pouvait pas être associé à aucun autre intérêt privé, et encore moins être lié à la publicité. Le Vélo’v, le programme de VLS de Lyon, avait fait l’objet de la même critique :

Je me souviens qu’à Lyon il y a eu une campagne de désinformation importante de la part de Verts, qui disait « si on installe un système de VLS, ça veut dire JCDecaux, et JCDecaux c’est Peugeot, et Peugeot c’est le pétrole, et le pétrole c’est la pollution ». Par conséquent le Vélo’v pollue. C’est la même chose avec le Vélib’, en suivant le même raisonnement. (Entretien avec le Directeur d’exploitation de Cyclocity France)

Pour les éco-critiques, le Vélib’ reposait sur une contradiction morale : une entreprise associée aux grands groupes automobiles (à travers la gestion de leur publicité extérieure) se transforme, du jour au lendemain, en l’un des principaux promoteurs de modes écologiques de déplacement dans la ville. Ainsi, plutôt que la finalité de la nouvelle politique de transport, ce sont les moyens utilisés pour développer cette politique de transport qui étaient rejetés. Autrement dit, la contradiction qu’ont tenté d’expliciter les éco-critiques repose sur l’acte de capitalisation33 d’un « bien public » (l’écologie) à travers l’investissement et la compétitivité privés.

33 La notion de capitalisation que nous utilisons se réfère principalement à une forme ou processus de valorisation financière que réalisent certains agents.

Figure 5 : Affiche dénonçant le montage « vélos contre publicité »

Certains membres des Verts, avec le collectif RAP (Résistance à l’Agression Publicitaire), avaient réalisé des études montrant « qu’on est à plus de 700 messages publicitaires reçus

par jour et par individu à Paris », et que, par conséquent, il fallait « générer des politiques pour combattre ce « harcèlement publicitaire » auquel sont exposées involontairement les personnes » (Entretien avec Charlotte Nenner, ancienne élue des Verts et présidente de

RAP).Dans cet état d’esprit, l’organisation RAP lance une campagne dénonçant le montage

derrière ce projet :

L’objectif n’est pas de discuter l’utilité, ni le succès du système des vélos en libre-service mais bien d’en dénoncer le mode de gestion et ses conséquences. Nous souhaitons d’une part, informer les citoyens sur le fonctionnement et les contreparties de ces vélos en libre-service (VLS) couplés à de la publicité, et d’autre part, alerter les maires sur les dangers de lier le marché des VLS avec le marché publicitaire et les inciter à mettre en place un véritable service public de VLS.

Pour la RAP, la préoccupation des collectivités locales pour la lutte contre le changement climatique serait utilisée à des fins commerciales par les multinationales lorsqu’elles proposent une technologie de transport (VLS) traditionnellement associée à la protection de l’environnement. Les multinationales auraient ainsi trouvé dans les nouvelles préoccupations environnementales un terrain fertile pour passer de l’offre de mobilier urbain à l’offre de

transport urbain « écologique », rendant plus attractifs leurs services historiquement liés à la communication extérieure. Comme l’affirme la RAP dans son manifeste, cette opération de « mobilité durable » n’aurait pas d’autre objectif que celui de capitaliser la thématique environnementale à des fins de renforcement du marché publicitaire :

À l’heure du réchauffement climatique, l’instrumentalisation d’un projet utile comme le système des vélos en libre-service (VLS) par les publicitaires est particulièrement grave pour la société et l’environnement car avant d’être un projet de développement d’un mode de transport non polluant, le système des VLS est avant tout un marché publicitaire. (RAP, 2008).

Dans ce contexte, les citoyens sont appelés à signer le manifeste et faire de la résistance face à l’intromission du marché dans un domaine (l’écologie) qui relève de l’intérêt général. Par conséquent, un service de VLS devrait être exécuté « comme un véritable service » public, et non pas en ayant pour contrepartie l’augmentation de la publicité dans la ville.

Nous demandons que la mise à disposition de vélos en libre-service ne soit jamais liée au marché publicitaire mais soit au contraire envisagée comme un véritable service public de promotion du vélo au service de la population et non comme un outil de promotion au service des publicitaires. (RAP, 2008).