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Expliquer l’inattendu, mettre au jour des chaînes causales du vandalisme

La dégradation du Vélib’ : la configuration d’un problème public

3.1.1. Expliquer l’inattendu, mettre au jour des chaînes causales du vandalisme

Mais parallèlement à ces mesures de prévention, commence une recherche d’explications au phénomène de vandalisme. Différents acteurs élaborent des stratégies explicatives afin d’essayer d’enrayer le problème. Il s’avérait nécessaire d’élaborer une narration, de définir la nature du problème, d’établir des contextes sociaux, des diagnostics et, dans certains cas, des solutions. Le phénomène n’est pas facile à traiter, et la détermination de l’étendue des causes sociales ou techniques du vandalisme dépend de l’observateur, de sa position, des moyens et des objectifs de son observation.

Pour Didier Couval, l’ancien chargé de mission Vélib’ à la Ville de Paris, il existe des raisons « sociologiques » à l’incivilité :

Je crois qu’il y a une espèce de sentiment de vengeance de personnes qui prennent le Vélib’ comme le symbole des gens qui ont plus de facilités sociales. J’étais il y a un temps, à Place de Clichy, la station Vélib’ et les vélos étaient particulièrement abîmés. C’est un secteur où il y a des populations très différentes, un brassage de classes populaires et cela peut jouer. (Entretien personnel avec Didier Couval, ancien chargé de mission Vélib’ à la Ville de Paris)

Les hypothèses privilégiant l’idée d’un problème « social » à l’origine des 16 000 vélos dégradés sont les plus partagées. Le même reportage du Le Monde cité précédemment signale que « ce n’est pas un cadre et deux roues qui sont volés, mais une icône urbaine,

un attribut du bourgeois bohème, le " bobo ", figure moquée mais enviée ». L’ancien

directeur de l’Atelier Parisien d’urbanisme (APUR), Jean-Baptiste Vaquin, qui a piloté le processus clé de sélection des emplacements des stations Vélib’ à la demande de la Ville de Paris, esquisse une explication similaire à celle de M. Couval des actes d’incivilité :

Je pense que ce sont des gens qui intellectuellement refusent, notamment du fait de leur position sociale, le système de mobilité que représente un Vélib’. Parce que ce sont des gens qui sont interdits de mobilité. Vous êtes déjà allé dans une cité ? Par définition, ce sont des gens qui ne bougent pas. Même quand ils font des rodéos à l’intérieur de leur cité, le rodéo est à l’intérieur de la cité. Ce sont des gens qui sont scotchés dans des espaces. Pourquoi ? Pour toutes sortes de raisons… Ils n’ont plus de perspective sociale, n’ont plus de perspective de développement. Ils sont scotchés ! Et bien, tout ce qui représente une manière

d’aller ailleurs, de se déplacer, c’est vu avec du ressentiment. Et le Vélib’ c’est comme un tapis volant. Faire du vélo dans la ville, c’est formidable, c’est superbe. On voit les immeubles et la ville différemment. On marche vite si vous voulez. C’est une approche d’homme libre !... Donc imaginez le symbole que représente le vélo, que représente le Vélib’ ! Vous avez envie d’aller quelque part, de vous déplacer autrement, vous descendez en bas de chez vous, vous l’avez et vous allez le poser où vous voulez et d’autres personnes prennent la main et ça vous coûte un euro par jour ! Vous vous rendez compte ! Donc sur le plan social, sociologique si vous voulez, ça peut être ressenti par certains comme une offense… je pense que pour certaines personnes l’existence du Vélib’ représente une blessure. Une blessure morale. Donc on peut avoir envie de casser ce symbole et de transformer le symbole ! Par exemple, si vous allez en banlieue, vous verrez des Vélib’ qui ont été arrachés. C’est-à-dire qu’on a fait en sorte que le Vélib’ ne soit plus un Vélib’. (Entretien personnel avec Jean-Baptiste Vaquin).

L’interprétation du ressentiment social comme explication au vandalisme situe le système Vélib’ aux antipodes des objectifs recherchés et fragilise profondément la mission du programme devant faire de Paris une ville durable. La durabilité sociale du Vélib’ - offrant un accès égalitaire à la mobilité des personnes - serait ainsi un facteur déterminant à l’origine du vandalisme. Selon cette interprétation, le Vélib’ serait une infrastructure de déplacement qui aurait mis en lumière une disparité sociale en termes de potentiel de mobilité des personnes. Ainsi, l’explication « sociologique » de la dégradation plaçant le dispositif de transport dans une situation d’échec moral pouvait s’avérer sans aucun doute encore plus problématique que les dommages matériels pour la Mairie de Paris et JCDecaux.

Mais d’autres interprétations du thème du vandalisme et de la dégradation du système sont avancées par les acteurs. Annick Lepetit, ancienne adjointe chargée des transports et qui a porté ce projet pour la Ville de Paris, ne partage pas les hypothèses selon lesquelles le Vélib’ serait un symbole bobo, et avant de faire du nouveau système de transport un symbole de la ségrégation parisienne, elle préfère situer le problème dans un contexte plus large : « Il ne faut pas se focaliser sur le cas du Vélib’, mais le replacer dans son contexte,

la délinquance en général » (Le Monde, 2009). C’est ainsi que la Mairie a tenté de

normaliser la situation, en situant le vandalisme subi par le Vélib’ dans un cadre plus large, lié aux dynamiques propres aux grandes villes.

ses explications publiques92 des hauts niveaux de dégradation sur les usagers occasionnels, principalement les touristes, qui, méconnaissant le mode d’emploi du dispositif, laissent les vélos mal accrochés au point d’attache ou tout simplement les abandonnent n’importe où.

La majorité des utilisateurs de Vélib’ sont des étudiants et de jeunes actifs, et si l’on assiste à un vandalisme sans précédent, il est surtout lié au phénomène particulier des « primo utilisateurs » et des touristes, pour la plupart peu familiers du système. (Sport & Vie 2009).

Pour les exploitants, c’est un manque d’adaptation de la technologie à son environnement qui fournirait les conditions rendant possible la dégradation et le vandalisme.

Or, selon les chiffre de JCDecaux publiés dans un autre article du journal Le Monde, au cours des deux dernières années de fonctionnement du Vélib’ on a assisté à un recul du vandalisme et à des réactions anti-Vélib’93. Mais de la même manière que nous l’avons constaté pour l’origine du vandalisme, il n’existe pas non plus de consensus sur les causes de cette diminution supposée. La société privée JCDecaux explique cette baisse par une meilleure incorporation et adaptation du système « dans le paysage urbain ». Le dispositif de transport aurait cessé d’être un « événement urbain » pour devenir un service de transport de plus. De son côté, la Ville de Paris interprète la diminution du vandalisme comme étant le résultat « des campagnes publicitaires mettant l’accent sur l’esprit critique

et le sens citoyen ».