• Aucun résultat trouvé

LE THEME DE LA REFORME DE LA JUSTICE PENALE

LA DIVERSIFICATION DES MODES DE POURSUITE

CHAPITRE 1. LES RAISONS PRAGMATIQUES DE LA DIVERSIFICATION DES MODES DE POURSUITE POURSUITE

B).- LE THEME DE LA REFORME DE LA JUSTICE PENALE

57. La permanence du thème de la réforme pénale. Le thème de la crise et son corollaire

celui de la réforme de la justice pénale font preuve d’une permanence dans le débat public au cours des quarante dernières années. Des études et rapports nombreux ce sont succédés pour décrire le mal de la justice pénale et proposer des solutions204. Le phénomène s’est accompagné, au cours de la dernière décennie, d’une inflation législative justifiée par une volonté constante de réforme de la justice pénale. Alors que la problématique des moyens alloués au fonctionnement de l’appareil judiciaire occupe une place importante dans la stigmatisation des dysfonctionnements de la justice pénale, les réformes envisagées et adoptées pour y répondre ne portent pas seulement sur cette question. Le phénomène est loin d’être achevé. Le large débat sur « la justice du XXIème siècle » est à peine achevé avec son lot de

201 Marie-Sylvie HURE, Idem

202 Hubert HAENEL, Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, Rapport d’information n° 593 (97-

98) – Commission des Finances

203V. Ph. ROBERT et P. LACOUSME, EDP 1973, N°14

204 Les plus souvent cités sont les rapports DAUSSY (1982), TAILHADES (1985), TERRE (1987), HAENEL-

70

préconisations concernant la justice pénale 205, que la Ministre de la Justice, Nicole BELLOUBET, ouvre les « chantiers de la justice » dont deux intéressent directement la justice pénale. L’un de ces chantiers intitulé : Amélioration et simplification de la procédure pénale, formule plusieurs propositions touchant aux modes de traitement des délits206.

58. Les objets de la réforme. Le thème de la réforme de la justice pénale207 aborde de

nombreux volets, de la redéfinition du périmètre des incriminations pénales avec en arrière- plan le débat sur la dépénalisation de certaines matières, à l’institution d’une nouvelle « mise en état des affaires pénales »208 incluant ou non la suppression du juge d’instruction209, voire la création du juge de l’enquête, en passant par le statut du ministère public210et l’extension des droits de la défense et de la victime dans un schéma s’inspirant bien souvent du modèle accusatoire211. Nombre de ces sujets restent en discussion et réapparaissent de façon cyclique au gré des vents et des courants, et pas seulement ceux qui accompagnent les alternances politiques.

59. La diversification des modes de poursuite dans la correction des classements sans suite. La diversification des modes de traitement des délits a progressivement corrigé cette

perception des classements sans suite au cours des dernières décennies. 212 De fait,

205 Jean-Louis NADAL : Refonder le ministère public, Rapport au Garde sceaux, ministre de la justice, novembre

2013 ; Pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive – principes d’action et méthodes, Rapport de la conférence de consensus, février 2013 ; l’enquête pénale, Rapport de la mission BEAUME au Garde des sceaux, ministre de la justice, juin 2014 ; V. aussi loi 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions, JO du 17 août 2014

206 Notamment : la fusion de la composition pénale et de la transaction pénale, l’extension de la forfaitisation des

amendes délictuelles, l’extension du champ de l’ordonnance pénale délictuelle, l’extension de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité au délit de fraude fiscale.

207 Valérie MALABAT, Bertrand de LAMY et Muriel GIACOPELLI (dir.), La réforme du code pénal et du code

de procédure pénale, Dalloz, 2009 ;

208 Mireille DELMAS-MARTY, La mise en état des affaires pénales » (rapport préliminaire, novembre 1989 et

rapport final, juin 1990), La documentation Française.

209 Philippe LEGER, Rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, La documentation française, 2009 210 Rapport de la commission NADAL : Refonder le ministère public, novembre 2013

211 D. SALAS, « Justice et démocratie en France : un Etat de droit inachevé », in « La justice, réformes et

enjeux », Cahiers français n°334, La documentation française, pp3-8

212 En 2013, les classements sans suite représentent 10,4% des procédures reçues par les parquets, contre 27,9% en

2003 (source : DACG - Pôle d’Evaluation des Politiques Pénales - Ministère de la Justice, Observatoire de la justice pénale – Chiffres nationaux 2003 – 2013, octobre 2014)

71

statistiquement, on ne peut que constater une corrélation nette entre l’émergence de nouveaux modes de poursuite et la baisse du nombre de classement sans suite des affaires pénales.213 La diversification des modes de poursuite semble ainsi combler ce que l’on peut appeler l’écart entre le nombre des affaires poursuivables objectives et le nombre des affaires poursuivables subjectives.

60. Les affaires poursuivables objectives. Les affaires objectivement poursuivables sont

celles qui remplissent les conditions objectives214 pour être soumises à l’appréciation du juge215. Une partie de ces affaires peuvent encore faire l’objet d’un classement sans suite pour un motif non juridique, appelé classement sans suite de pure opportunité. En pratique, et d’après les données disponibles, depuis plusieurs décennies, ces affaires font l’objet, presque systématiquement, d’une réponse judiciaire allant de la poursuite à l’alternative aux poursuites. La progression constatable de l’indicateur du taux de réponse pénale relevée au cours des dernières décennies est la résultante directe de l’élargissement des possibilités de traitement de toutes les affaires pénales poursuivables objectives. L’élargissement des possibilités de réponses pénales ouvertes au parquet a eu pour conséquence la réduction de cette part des procédures pénales qui, bien que réunissant les éléments constitutifs des infractions avec un auteur des faits identifié, faisaient l’objet d’une décision de non poursuite. Désormais ces procédures reçoivent une réponse pénale car, selon l’expression de Jean DANET216, « la question n’est plus de savoir s’il faut poursuivre ou pas mais quelle réponse on va donner à un acte dès lors qu’il est poursuivable ».

61. Les affaires poursuivables subjectives. A l’inverse des affaires poursuivables

objectives, les affaires poursuivables subjectives sont celles qui, réunissant également les conditions juridiques liées à la caractérisation de l’infraction et à son imputation à un auteur identifié, font réellement l’objet d’une réponse pénale après le filtre de l’appréciation de

213 Idem

214 Il s’agit des affaires dont les faits constatés constituent une infraction, dont l’auteur est identifié et ne sont

frappé par aucune cause d’extinction de l’action publique ni par aucune immunité.

215 Les affaires poursuivables sont définies comme « le nombre d’affaires ayant fait l’objet d’une décision du

parquet, autre que de classement sans suite pour motif juridique, pour absence d’infraction, infraction mal caractérisée ou charges insuffisantes et défaut d’élucidation. »

216 Jean DANET, « Cinq ans de frénésie pénale », in L. MUCCHIELLI (dir.), La frénésie sécuritaire. Retour à

72

l’opportunité exercée par l’autorité chargée des poursuites. Elles sont nécessairement moins importantes que les premières et forment l’assiette du taux de réponse pénale217. Mais, surtout, la progression de ces affaires recevant effectivement une réponse pénale a pour conséquence de réduire corrélativement le nombre de classement sans suite en opportunité.

62. Les effets de l’extension des poursuites. Ainsi donc, la systématisation de la réponse

judiciaire face à tout acte de délinquance a abouti à rechercher des cadres procéduraux adaptés à la diversité de la masse des affaires drainées vers la justice pénale. Le lien entre la systématisation de la réponse pénale et l’élargissement des modes de traitement des affaires pénales est clairement mis en lumière, en particulier dans les travaux parlementaires218 menés dans le cadre des réformes instituant de nouveaux dispositifs de poursuites.

63. La réponse à la lenteur de la justice. L’une des principales critiques formulées à

l’encontre du système pénal est sa lenteur. Le rapport du groupe de travail de la Commission européenne pour l’évaluation de la justice (CEPJ) consacré à la question de la lenteur de la justice soulignait que « les sondages réalisés ici ou là font apparaître que la lenteur de la justice est le problème numéro un, perçu comme tel non seulement par l’opinion publique dans son ensemble, mais aussi par ceux qui ont eu un contact direct avec les tribunaux. »219 Les réformes visant la maîtrise du temps pénal dans le sens de son raccourcissement sont de ce fait devenues une constante des évolutions de la procédure pénale depuis 1945220. Pour autant, il paraît établi que la préoccupation de la durée du procès pénal est permanente depuis le XIXè siècle. Jean-Claude FARCY note en effet que « la revendication d’une justice rapide est ancienne, elle s’exprimait déjà dans les cahiers de doléances de 1789. Cette exigence est portée par le pouvoir en matière pénale, l’application de sa politique et l’ordre public étant en cause. Dès les premières décennies du 19e siècle, on s’est efforcé de raccourcir les délais de jugement

217 Le taux de réponse pénale représente le « nombre total d’affaires ayant fait l’objet d’une réponse pénale » par

rapport au nombre total des affaires poursuivables.

218V. Notamment, François ZOCCHETTO Juger vite, juger mieux ? Les procédures rapides de traitement des

affaires pénales, état des lieux, Rapport d'information No 17, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale et de la mission d'information de la commission des lois

219 CEPJ, Rapport du groupe de travail (GT- 2004), « Un nouvel objectif pour les systèmes judiciaires : le

traitement de chaque affaire dans un délai optimal et prévisible » - Programme-Cadre, septembre 2005

73

des crimes et surtout des délits. Dans cet objectif, la rapidité ne pouvait être atteinte qu’en diminuant le temps écoulé entre le moment du constat du délit et celui du passage de son auteur devant le tribunal. L’instruction préparatoire, exigeant du temps, devait donc être contournée si l’on voulait une répression rapide. C’est la justification des procédures rapides développées au cours des deux derniers siècles, dont le sens est de diminuer le rôle du juge d’instruction au bénéfice de celui du parquet. »221 En effet, face à l’état de désastre décrit par de nombreux observateurs de la justice pénale, des solutions pratiques imaginées par des acteurs de terrain commençaient à émerger pour endiguer le phénomène.

64. Les leviers d’action pour répondre à la lenteur de la justice pénale. Le professeur

Jean PRADEL222 enseigne, quant à lui, que « les pénalistes soucieux d’accélérer le cours de la justice pénale ont trois moyens à leur disposition : augmenter la capacité du système (notamment en augmentant le nombre des magistrats et des policiers) ; réduire la charge des tribunaux (notamment par le biais de la décriminalisation) ; imaginer des règles procédurales permettant de juger plus rapidement les affaires. Seule la troisième voie intéresse la procédure pénale, la première étant du ressort du pouvoir politique et la seconde concernant le droit pénal spécial ». Certes, la distinction de ces trois niveaux d’intervention permet d’envisager trois niveaux de réforme possible, mais la réalité du fonctionnement du système pénal incite plutôt à considérer qu’aucun de ces trois paramètres ne peut permettre à lui seul d’affecter et de transformer structurellement le cours du procès pénal.

65. L’apport des réformes successives. Les réformes successives mises en œuvre au cours

de la dernière décennie ont donc immanquablement apporté des évolutions au système sur ses différents aspects des moyens, des incriminations et de la procédure. En effet, malgré les débats jamais achevés sur sa réforme, la justice pénale connait pourtant des évolutions, voire des « révolutions silencieuses »223 qui viennent nuancer le discours décrivant une justice pénale immobile attendant toujours sa refondation complète. Parmi celles-ci, certaines sont marquées

221 Jean-Claude FARCY « Les procédures rapides (flagrant délit, simple police) » in

http://www.criminocorpus.cnrs.fr/spip.

222 Jean PRADEL, Procédure pénale, Editions CUJAS, 17è édition, 2013, n°378

223 Jean-Paul JEAN, « Les réformes pénales 2000-2010, entre inflation législative et révolutions silencieuses »,

74

par l’influence continue du droit européen224 sur le thème du procès équitable225. D’autres, non exclusives des précédentes, s’attachent à apporter des solutions pratiques pour répondre à la diversification des phénomènes criminels et à leur massification.

§2. - LA RECHERCHE DES SOLUTIONS FACE AU CONSTAT DU MAUVAIS FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PENALE

66. Les initiatives prises par les acteurs de terrain. Face au constat des

dysfonctionnements récurrents de la justice pénale, des solutions pragmatiques ont été recherchées pour améliorer le service rendu au justiciable. Ces solutions ont porté aussi bien sur l’organisation de la chaîne pénale (A), que sur la nature des réponses judiciaires apportées aux actes de délinquance (B).