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L’ALLEGEMENT OU L’EFFACEMENT DU CEREMONIAL DU PROCES

LA DIVERSIFICATION DES MODES DE POURSUITE

SECTION 2. LES PREOCCUPATIONS AUTOUR DE LA QUALITE DE LA JUSTICE PENALE

B).- L’ALLEGEMENT OU L’EFFACEMENT DU CEREMONIAL DU PROCES

79. La simplification du formalisme. Dans leur rapport d’information rendu au nom de la

commission des lois du Sénat, les sénateurs Charles JOLIBOIS et Pierre FAUCHON préconisait en 1997, pour remédier aux difficultés constatées dans le fonctionnement de la justice pénale, de consentir « un effort de simplification de procédures »272. Ils envisageaient d’«adapter la justice au contentieux de masse en créant des procédures spécifiques. » De même, ils annonçaient, sous le titre explicite du « plaider-coupable », le fait que « la possibilité de distinguer les procédures applicables selon que le prévenu reconnaît les faits ou les nie est également avancée comme mécanisme d'accélération du traitement. »273 Par cette proposition, apparaissait déjà l’amorce de la démarche qui aboutira à la composition pénale, puis à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité274. Vingt ans après, les Chantiers de la

justice ouverts par la Ministre de la Justice préconisent encore « de supprimer les trop nombreuses règles et formalités qui viennent inutilement complexifier et donc ralentir, tout au long de la chaine pénale, le travail des enquêteurs, des magistrats et des fonctionnaires ».

80. La rhétorique sociale de la simplification des procédures. La quête de la qualité des

décisions de justice et ses incidences sur l’évolution des modes de poursuite est aussi le fruit de l’expression d’un discours social et politique portant sur la simplification des procédures et des modes de fonctionnement des organes publics, en particulier dans leurs relations avec les citoyens. Il est même question de politique gouvernementale dite de « choc de simplification ». « La simplification administrative répond à une forte attente des usagers et constitue l’un des

271 Laurent DAVENAS, « Le traitement de l’urgence : exception ou principe ? En procédure pénale », in Loïc

CADIET et Laurent RICHER (sous la dir.), Réforme de la justice, réforme de l’Etat, PUF, 2003, p.171

272 Charles JOLIBOIS et Pierre FAUCHON, Quels moyens pour la justice ?, Rapport de la Mission d'information

de la commission des Lois chargée d'évaluer les moyens de la justice - Rapport 49 - 1996 / 1997

273 Idem

274 Claire SAAS, « De la composition pénale au plaidé-coupable : le pouvoir sanctionnateur du procureur », Revue

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principaux axes « d’amélioration de la qualité du service public. »275 La justice est complexe, il faut donc la simplifier. L’appréciation de la qualité de la justice est donc aussi une question politique276. Les lois dites de simplification du droit sont ainsi devenues la marque d’une volonté de modernisation de la justice par les pouvoirs publics277. Mais, s’agissant de la justice pénale, le mouvement de simplification amorcé en matière de modes de poursuite porte, précisément, sur le double plan du formalisme des règles de procédure et sur le rituel du procès qui les accompagne.

81. Suppression ou allègement des phases du procès. Dans son rapport intitulé Célérité

et qualité de la justice, Jean-Claude MAGENDIE fait, pour sa part, le constat de la lenteur des procès conduits par la voie de l’instruction préparatoire. « De fait, l’on constate depuis quelques années un accroissement de la durée moyenne des informations. Celle-ci s’établit aujourd’hui à plus de vingt mois par personne mise en examen, ce qui peut paraître excessif »278. Ce constat aboutit donc à envisager une simplification des modes de traitement des procédures pénales. Cette simplification consiste surtout à supprimer certaines phases du procès ou à les alléger, c’est-à-dire à n’en conserver que de courtes séquences réduites à des échanges réduits au minimum entre acteurs du procès. Il en est ainsi, par exemple, de la phase de comparution du prévenu à l’audience publique et, du débat contradictoire sur la culpabilité la personnalité qui en résulte logiquement. Cette phase traditionnelle qui est le point d’orgue du procès pénal disparait totalement dans le cadre de la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale. Elle se trouve réduite en deux phases allégées dans le cadre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité : la phase de reconnaissance de culpabilité suivie de la proposition de peine devant le procureur de la République, et la phase d’homologation de la peine acceptée par le juge délégué. Enfin, elle est réduite à une séquence

275 http://www.gouvernement.fr

276 Bastien FRANCOIS, « Les justiciables et la justice à travers les sondages d’opinion », in Loïc CADIET et

Laurent RICHER (dir.), Réforme de la justice, réforme de l’Etat, PUF, 2003, p.41

277 Parmi les dernières lois entrées en vigueur, on peut citer : la loi 2015-177 du 16 février 2015 relative à la

modernisation et à la simplification dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, JO du 17 février 2015, p.2961 ; la loi 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification du droit et des procédures administratives, JO du 21 décembre 2015, p21647 ; la loi 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives, JO du 23 mars 2015, p.5226 ; et la loi 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, JO du 18 mai 2011, p.8537

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de proposition de mesure devant le délégué du procureur dans le cadre de la composition pénale et devant l’OPJ dans le cadre de la transaction par officier de policier judiciaire.

Le mouvement de simplification des procédures est loin d’être achevé. Les propositions énoncées dans le cadre des Chantiers de la justice lancés par la Ministre de la justice, Nicole BELLOUBET, comportent des mécanismes simplifiés de traitement des délits. Est notamment proposée : « la création d’une procédure intermédiaire entre la comparution immédiate (et CPPV) et l’information judiciaire, permettant des mesures coercitives préalables fixées par le JLD (notamment CJ, ARSE), avec possibilité pour le procureur de la République de diligenter d’ultimes investigations (ex : expertise médicale) dans un temps limité (2 mois maximum), ainsi que pour les parties de solliciter une demande d’acte. » Est également envisagée, l’extension du champ d’application de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité au délit de fraude fiscale.

82. L’éclatement des modes de traitement des délits. En plus de la suppression ou de

l’allègement des phases du procès pénal, le mouvement de simplification des procédures s’accompagne, en parallèle, d’un éclatement des modes de traitement des délits qui affecte la lisibilité de l’agencement des règles applicables et, sur le terrain, celle de la cohérence de la réponse judiciaire apportée aux infractions dans chaque ressort. Cet éclatement est surtout formel à travers la dispersion des règles organisant les modalités de traitement des délits dans le code de procédure pénale. Le chapitre consacré au tribunal correctionnel comporte neuf sections. Les dispositions qui définissent les modalités de la comparution volontaire, de la citation directe, de la convocation par officier de police judiciaire, de la comparution immédiate et de la convocation par procès-verbal sont insérées dans la Section 1 intitulé : De la

compétence et de la saisine du tribunal correctionnel (articles 381 à 397-7)279. En revanche, les principes de l’ordonnance pénale sont fixés par la Section 7280 et ceux de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité par la Section 8281. Les dispositions régissant la

279 Section 1 : De la compétence et de la saisine du tribunal correctionnel, Section 2 : De la composition du

tribunal et de la tenue des audiences, Section 3 : De la publicité et de la police de l’audience, Section 4 : Des débats, Section 5 : Du jugement, Section 6 : Du jugement par défaut et de l’opposition, Section 7 : De la procédure simplifiée, Section 8 : De la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, Section 9 : De l’amende forfaitaire applicable à certains délits.

280 Section 7 : De la procédure simplifiée (article 945 à 495-6)

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composition pénale, celles relatives à la transaction par officier de police judiciaire et celle consacrées à la convention judiciaire d’intérêt public sont, quant à elles, décrites à la Section 3 :

Des attributions du procureur de la République,282 dans le chapitre consacré au Ministère

public. Cet éclatement dans l’agencement des textes se traduit également à travers les formes de saisine du juge appelé à statuer sur un délit. Il en est ainsi, par exemple, en matière de saisine du tribunal correctionnel. Dans le schéma traditionnel de la citation directe énoncé à l’article 390 du code de procédure pénale, la citation à comparaitre devant le tribunal correctionnel est signifiée uniquement par exploit d’huissier. Depuis l’institution de la convocation par officier de police judiciaire (COPJ), la possibilité de convoquer devant le tribunal correctionnel a été progressivement étendue, au greffier, au chef d’établissement pénitentiaire283, à l’officier de douane judiciaire et, désormais, au délégué du procureur284. L’autre conséquence marquante de ce processus de simplification est la répartition des modes de poursuite en deux catégories : « les circuits courts » et les « circuits longs ». Jean-Claude MAGENDIE notait, dans son rapport, que « le contraste est grand au sein de la justice pénale entre des « circuits courts » permettant de juger la délinquance du quotidien dans des délais très brefs, voire trop brefs pour certains, et un « circuit long » – l’instruction – destiné aux affaires criminelles et aux affaires correctionnelles complexes, souvent dénoncé comme un « circuit lent. »285 Cette dichotomie des circuits de traitements des délits est l’une des marques de distinction du procès pénal français.

83. La « déritualisation » du procès pénal. Dans la singularité de sa fonction sociale, la

justice pénale s’exerce traditionnellement avec un certain rituel. Le « rituel judiciaire »286 est, selon la définition de Jean DANET, « l’ensemble des formes, des langages symboliques et discursifs sous lesquels la justice pénale est rendue et donc sa manière même de produire la vérité judiciaire comme les formes sous lesquelles elle pense la pénalisation, les peines et la

282 Articles 39 à 44-1 CPP 283 Article 390-1 CPP

284 Cf. Projet de loi n°3473 renforçant la lutte contre la criminalité organisée et son financement, l’efficacité et les

garanties de la procédure pénale déposé devant le bureau de l’Assemblée nationale le 3 février 2016. Ce texte a été adopté dans la loi du 3 juin 2016. Et, désormais, le délégué du procureur peut délivrer une convocation en justice sur instruction du procureur de la République.

285 Jean-Claude MAGENDIE, Célérité et qualité de la justice, Rapport au garde des sceaux, 2004, p.129

286 Antoine GARAPON, « Rituel judiciaire », in Loïc CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, PUF 2004,

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manière de les appliquer. »287 La déritualisation du procès pénal, c’est-à-dire le dépouillement du processus judiciaire d’une partie de ses usages et pratiques traditionnels liés aux lieux de justice, au cérémonial judiciaire ainsi qu’au langage de la justice, constitue l’une des manifestations de la simplification des modes de poursuite. Il s’agit de l’abandon de toute « la scénographie »288 qui caractérise le procès pénal et, avec elle, sa fonction cathartique. En tant que modalité de la simplification du procès pénal, la déritualisation touche à la fois la dimension symbolique et le décorum du procès. Symboliquement, le procès pénal déritualisé se détache, selon l’expression d’Antoine GARAPON, du modèle « narratif » adossé à des représentations culturelles faisant « des juges des substituts du souverain participant à sa majesté »289. Il devient un modèle standard d’exécution d’une mission publique dont la production chiffrée290s’impose comme le repère de son efficacité. On rend la justice comme on calcule l’impôt d’un contribuable dans un service de la direction générale des finances publiques ou, comme on statue sur l’attribution d’une place de crèche municipale auprès d’un service administratif municipal.

84. L’effacement du décorum. En termes de décorum, la déritualisation se traduit par

l’effacement de « la théâtralité du procès pénal »291 devenue désuète dans le cadre des procédures ne nécessitant aucune comparution publique du prévenu dans une salle d’audience. En l’absence de débat contradictoire public et oral en salle d’audience, caractéristique du procès pénal traditionnel, ou en présence d’une comparution judiciaire réduite au dialogue

287 Jean DANET, La justice pénale entre rituel et management, PUR 2010, p.11

288 Sandrine ZIENTARA-LOGEAY, « La théâtralité du procès pénal : entre archaïsme et modernité »,

Criminocorpus [En ligne], « Théâtre et Justice : autour de la mise en scène des Criminels de Ferdinand Bruckner par Richard Brunel », Le rituel du procès d’hier à aujourd’hui ou la théâtralité de la justice en question, mis en ligne le 08 février 2013, consulté le 6 mars 2016. URL : http://crminocorpus.revue.org

289 Antoine GARAPON, Postface, in Jean DANET, Le justice pénale entre rituel et management, PUR, 2010,

p.267

290 Antoine VAUCHEZ, « Le chiffre dans le « gouvernement » de la justice », Revue française d’administration

publique n°125n 2008, p.111

291 Sandrine ZIENTARA-LOGEAY, « La théâtralité du procès pénal : entre archaïsme et modernité »,

Criminocorpus [en ligne], « Théâtre et Justice : autour de la mise en scène des Criminels de Ferdinand Bruckner par Richard Brunel », Le rituel du procès d’hier à aujourd’hui ou la théâtralité de la justice en question, mis en ligne le 08 février 2013, consulté le 6 mars 2016. URL : http://crminocorpus.revue.org

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direct et « informel »292 entre le procureur de la République ou son délégué et le prévenu, en cabinet dans le cadre des procédures simplifiées, les attributs symboliques de la justice sont gommés pour laisser place à un processus plus administratif que judiciaire. Même en présence de l’avocat du prévenu, les formalités de notification de l’ordonnance pénale ou de proposition de la peine en matière de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou de mesure de composition pénale se réduisent en une formalité administrative dépourvue de toute la phraséologie de la déclaration de culpabilité et du prononcé de la peine en audience.

85. L’utilisation de la visioconférence. Bien qu’elle s’inscrive à la fois dans une logique

de gestion des moyens293 et dans le schéma de l’audience correctionnelle traditionnelle, l’utilisation de la visioconférence au visa de l’article 706-71 du code de procédure pénale comme moyen permettant la comparution à distance des prévenus participe de cette démarche de simplification et de déritualisation du procès pénal. Au-delà des objectifs de sécurité que la Cour européenne des droits de l’homme294 reconnait comme étant un motif légitime de recours à visioconférence, celle-ci est clairement identifiée comme un outil de « simplification » et d’« accélération » du procès pénal.295 La Cour européenne des droits de l’homme ne la juge pas non plus comme portant atteinte, en soi, au principe du procès équitable, dès lors que l’accusé bénéficie préalablement et effectivement de la possibilité de communiquer avec son avocat.296 La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé que le recours à la visioconférence exigeait l’acceptation du prévenu ou de l’accusé297. A travers la visioconférence, le prévenu comparant à distance est réduit à une image et à un son loin de l’ambiance de la salle d’audience. Le recours à ce procédé technologique est moins « neutre » qu’il n’y parait, en ce qu’il modifie, non seulement le cadre physique et représentatif habituel du dérouler d’une audience pénale, mais aussi le processus et les modes opératoires des acteurs du procès pénal298. Jérôme BOSSAN note que, plus globalement, « l’introduction des nouvelles

292 Antoine GARAPON, « Rituel judiciaire », in Loïc CADIET (dir.) ; Dictionnaire de la justice, PUF 2004,

p.1168-1173

293 Jean DANET, « L’intérêt gestionnaire pour la visioconférence ne doit pas aveugler… », RSC 2012, p.197 294 CEDH, 5 octobre 2006, n°54106/04, Marcelle Viola c/ Italie, JCP 2007. I. 106, n°10

295 Jérôme BOSSAN, « La visioconférence dans le procès pénal : un outil à maîtriser », RSC octobre/décembre

2011, p.801

296 CEDH 2 novembre 2010, Sakhnovski c. Russie, n°21272/03 297 Cass. Crim. 11 octobre 2011, n°11-85.602

298 Cf . Laurence DUMOULIN et Christian LICOPPE (dir.), Les comparutions par visioconférence : la

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technologies dans le procès pénal tend à modifier sensiblement ce rituel, principalement au nom d’une modernisation de l’administration de la justice »299. Sur le plan juridique, le débat sur la nature du recours à la visioconférence ne semble pas être définitivement tranché. Dans sa décision du 6 mars 2016300, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise que la publicité des débats requise dans le cadre des audiences relatives à la détention provisoire n’est pas respectée lorsque le détenu comparait par visioconférence depuis son lieu d’incarcération.

86. Vers le traitement numérique. Le premier des cinq Chantiers de la justice301 lancés

par la Ministre de la justice, Nicole BELLOUBET, est consacré à la « Transformation

numérique ». L’ambition affichée est de garantir « une démarche d’adaptation du service public de la Justice à la culture numérique » avec comme objectifs de favoriser la transparence, d’accélérer le traitement des affaires, de faciliter l’accès des citoyen à la justice et de moderniser le fonctionnement de l’institution judiciaire. En matière pénale, cette transformation numérique devrait, en particulier, déboucher sur la numérisation de l’ensemble des procédures pénales.

§2 - LA QUALITE DE LA « PRODUCTION JUDICIAIRE »302 ET DE LA RELATION AVEC LE JUSTICIABLE

A l’égard du justiciable, la qualité de la justice s’apprécie avant tout au regard de la décision de justice rendue (A). Mais, de plus en plus, la qualité de la justice s’appréhende dans le cadre de la relation de l’institution avec son usager (B).