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LE CONSTAT RECURRENT DE L’ENCOMBREMENT DES JURIDICTIONS PENALES

LA DIVERSIFICATION DES MODES DE POURSUITE

CHAPITRE 1. LES RAISONS PRAGMATIQUES DE LA DIVERSIFICATION DES MODES DE POURSUITE POURSUITE

A).- LE CONSTAT RECURRENT DE L’ENCOMBREMENT DES JURIDICTIONS PENALES

53. La gestion des flux pénaux. La question de la maîtrise de flux pénaux est une

préoccupation ancienne du fonctionnement de la justice pénale. Malgré les solutions envisagées ou apportées au fil des décennies, le constat sur l’encombrement des juridictions pénales est toujours resté présent. En 1986, Christian ATIAS identifiait déjà « la crise de la justice et de l’augmentation du contentieux »189comme l’une des multiples crises qui nourrissaient la crise de « la théorie juridique ». Dès le début des années 1970 et quatre ans après sa création, le Service d’Etudes Pénales et Criminologiques (S.E.P.C.)190 publiait en décembre 1973, sous la direction de Philippe ROBERT et de Pierre LASCOUMES, l’une de ses premières études sur le thème de « la crise de la justice pénale191 ». Les auteurs relevaient d’emblée, dans ce qui apparaissait comme une autopsie des maux dont souffrait le système français de la répression pénale, d’alors le constat d’une crise affectant les fondements du système pénal. Ils en identifiaient les symptômes et en esquissaient les remèdes. Ils faisaient le constat que « si la crise de la justice pénale est loin de constituer un phénomène isolé, du moins est-elle suffisamment indéniable pour que le thème de sa réforme soit mis de toutes parts à l’ordre du jour et qu’il y demeure en permanence ».

54. L’engorgement des juridictions. Parmi les facteurs de cette crise chronique de la

justice pénale mise en lumière, Philippe ROBERT et Pierre LASCOUMES identifiaient l’engorgement des juridictions causé par l’augmentation massive du nombre d’affaires traitées192. Les auteurs précisaient que le nombre des citations directes initiées par les parquets

189 Christian ATIAS, « Une crise de légitimité seconde », Droits n°4, 1986, p.21-33

190Service créé en 1969 au sein du ministère de la justice. Ce service est l’ancêtre du CESDIP créé en 1983 191 Philippe ROBERT et Pierre LASCOUMES, « La crise de la justice pénale et sa réforme », Etudes et Données

Pénale n°14, SEPC, Paris 1973

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avait augmenté de 90 % en douze ans. Et, « pour les juridictions d’instruction, la situation est telle depuis longtemps que les parquetiers ont dû laisser constant depuis 1960 le nombre d’affaires passant par ce circuit ».193En effet, l’engorgement des parquets les avaient incités, selon les auteurs, à privilégier les circuits courts plutôt que les procédés de poursuite longs et coûteux, si ce n’est à ordonner des classements sans suite en pure opportunité194.

Pour ces deux auteurs, la conclusion face à cet état d’engorgement paraissait claire : « parce qu’elle est submergée, la justice fonctionne mal. »195

Virginie GAUTRON rapporte, pour sa part, qu’ « en 1980, P. ARPAILLANGE n’hésitera pas à écrire que toutes les demi-mesures, toutes les réformes à mi-chemin ne peuvent plus, en l’état actuel des choses, donner à la justice qu’un moment de sursis dans la médiocrité »196. La sévérité de ce jugement sur l’état de la justice en général et de la justice pénale en particulier démontre la préoccupation sociale en faveur d’une justice pénale efficace. Ce regard alarmant au début des années 1980 illustre l’état d’exaspération sociale induit par la massification des contentieux pénaux à compter de la décennie 1970. Ce discours critique et les attentes sociales en matière de célérité et d'efficacité de la justice pénale vont concourir aux réflexions qui conduiront à la transformation du schéma de traitement des flux pénaux.

Plusieurs rapports parlementaires vont confirmer et mettre en lumière le constat de l’encombrement de la justice pénale et ses conséquences sur son fonctionnement, avant esquisser des pistes de solutions pour y remédier à compter du milieu des années 1990. Le rapport présenté par Charles JOLIBOIS et Pierre FAUCHON au nom de la commission des lois du Sénat le 30 octobre1996 faisait ainsi le constat de « …l'asphyxie des juridictions qui ne

193 Ph. ROBERT et P. LASCOUMES, op. cit

194 HAENEL Hubert, Les infractions sans suite ou la délinquance mal traitée, Rapport d’information 513 (97-98)

au nom de la commission des Finances du Sénat, juin 1998

195 Idem

196 Virginie GAUTRON, « L’impact des préoccupations managériales sur l’administration locale de la justice

pénale française », Champ pénal/Penal field [En ligne], Vol. XI | 2014, mis en ligne le 21 janvier 2014, consulté le 26 juillet 2014. URL : http://champpenal.revues.org/8715 ; DOI : 10.4000/champpenal.8715

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survivent qu'au prix de taux moyen de classement sans suite des affaires élucidées proches de 50 % (jusqu'à 80 % dans certains tribunaux visités) …»197

55. Les conséquences de l’encombrement des juridictions pénales. La critique du

système de traitement des délits pénaux porte aussi, au-delà du constat de l’encombrement des tribunaux, sur la pratique induite des classements sans suite comme mode de régulation de ces flux. Le rapport présenté par les sénateurs Charles JOLIBOIS et Pierre FAUCHON faisait ainsi remarquer que « la hausse du nombre des procès-verbaux est sans doute contenue par le découragement d'un certain nombre de plaignants qui renoncent à porter plainte, voire même à déclarer le délit. Le taux d'élucidation a baissé, ce qui explique que le taux de classement sans suite avoisine désormais 80 % pour l'ensemble, tandis que le taux de classement sans suite auteur connu reste proche de 50 %, en légère baisse, sans doute grâce au développement du traitement direct qui concerne désormais 40 % des affaires soumises au tribunal correctionnel. »198

Les classements sans suite des affaires pénales étaient ainsi longtemps stigmatisés pour leur utilisation comme mode de régulation occulte de la justice pénale. Le système pouvait donner l’illusion d’un fonctionnement normal grâce à ces classements qui permettaient de ne pas traiter jusqu’au bout une masse importante de dossiers pénaux. Les classements sans suite étaient le symbole des dysfonctionnements chroniques de la justice pénale.199 Dès lors, ils étaient perçus comme l’instrument d’un système incapable d’assumer sa mission sociale de rendre justice.

56. L’ampleur du phénomène des classements sans suite. L’étude publiée par Marie-

Sylvie HURE en 2001 sur « les abandons des poursuites »,200 fondée sur l’analyse statistique de données recueillies auprès de juridictions, révélait l’ampleur du phénomène des procédures « abandonnées » aux différentes phases de la chaîne pénale pour des raisons de capacité d’absorption. Celle-ci soulignait notamment qu’ « en 1998, les seuls classements sans suite

197 Charles JOLIBOIS et Pierre FAUCHON, Quels moyens pour la justice ? Mission d'information de la

commission des Lois chargée d'évaluer les moyens de la justice - Rapport 49 - 1996 / 1997

198 Charles JOLIBOIS et Pierre FAUCHON, Idem 199V. Ph. ROBERT et P. LACOUSME, EDP 1973, N°14

200 Marie-Sylvie HURE, « Les abandons de poursuites avant jugement et leurs motifs de 1831 à 1932. La Base

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(même en excluant les procédures alternatives aux poursuites) représentent 85% des réponses judiciaires aux plaintes, dénonciations et procès-verbaux.»201

Dans son rapport rendu au nom de la commission des Finances du Sénat, le sénateur Hubert HAENEL relevait à son tour qu’« à la lecture de ces chiffres bruts [des classements sans suite], on peut légitimement s'interroger sur la capacité de l'ensemble des services concernés de l'Etat et, notamment, de ceux de la justice française à donner une suite judiciaire aux infractions commises et sur la réalité de l'Etat de droit. »202 Garantir l’efficacité de la justice pénale consiste, de ce point de vue, à construire des outils procéduraux qui permettent de traiter la masse des flux pénaux tout en garantissant une réponse pénale adaptée.

De fait, à l’appui de ce constat de la réalité des pratiques judiciaires en matière de classements sans suite, les critiques traditionnelles ont souligné le fait que cette pratique pouvait être perçue tout autant comme un mode de régulation des flux traités par la justice pénale, que comme le symbole de ses dysfonctionnements chroniques 203.