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LA JUSTICE PENALE CONFRONTEE A L’EX)GENCE DE RENTABILITE

LA DIVERSIFICATION DES MODES DE POURSUITE

SECTION 2. L’)NFLUENCE DES NOUVEAUX MODES DE MANAGEMENT PUBLIC 526 135 Le tournant managérial de la justice pénale Le mode de traitement des délits et le

A)- LES FACTEURS EXOGENES DE L ’EMERGENCE DE LA LOG)QUE DE L’EFFICACITE DANS LA JUSTICE PENALE

2) LA JUSTICE PENALE CONFRONTEE A L’EX)GENCE DE RENTABILITE

141. L’efficacité en tant que valeur de la justice pénale. L’idée paraît ainsi acquise que la

justice en général et la justice pénale en particulier se trouvent soumises à un nouveau paradigme : celui de l’efficacité de son fonctionnement. Les modes de traitement de l’action pénale apparaissent comme la traduction opératoire des finalités assignées à la justice pénale pour la rendre plus efficace. Il s’agirait donc d’une profonde transformation de sens et de valeurs de référence de la justice. Selon l’analyse développée par Joël FICET545, à un « régime libéral » de la justice bâti sur « le principe de légalité » caractérisé par le « respect du droit en vigueur et des règles du procès équitable » se serait substituée une justice ayant pour référence

543Jannine CASTONGAY, « L’expérience française de rationalisation des choix budgétaires, par PHILIPPE

HUET et JACQUES BRAVO ». — PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE, Paris, 1973, p.295, L'Actualité économique, vol. 50, n° 2, 1974, p. 294-296.

544 Jannine CASTONGAY, « L’expérience française de rationalisation des choix budgétaires, par Philippe HUET

et JACQUES BRAVO. — PUF, Paris, 1973, 295 p », L'Actualité économique, vol. 50, n° 2, 1974, p. 294-296.

545 Joël FICET, » Efficacité, efficience, qualité : quelle évaluation pour la justice ? », Communication au

séminaire organisé le 18 septembre 2009 par le Département de science politique de la faculté de droit et de science politique de l’Université der Lièges, http://dev.ulb.ac.be/droitpublic

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l’évaluation de son efficacité. Comme le souligne Yves CANAC dans son rapport sur « la qualité du service public », «les valeurs d’une organisation sont au cœur aussi bien des choix qu’elle fait quant aux critères de qualité de ses prestations que de ceux sur lesquels reposent son organisation et son fonctionnement. »546 A propos de la CRPC par exemple, Pierre-Jérôme DELAGE plaçait la quête de l’efficacité sous-jacente à la mise en place de cette procédure en antagonisme avec les garanties offertes traditionnellement au justiciable dans le cadre du procès ordinaire. Il considérait ainsi que cette procédure nouvelle serait « …guidée par de pures considérations d'efficacité et de célérité de la réponse pénale, avec tout ce que la satisfaction de ces derniers objectifs peut impliquer de renonciations à certaines garanties du procès équitable. » 547 Cette perception des mouvements de réformes et des « révolutions silencieuses »548qui touchent la justice pénale reflète bien l’antagonisme entre « juridisme » et économisme » mis en exergue par Jacques CAILLOSSE549 à propos de la rencontre entre l’action administrative, nourrie aux catégories et préceptes de la culture juridique, et le management orientée vers des objectifs pragmatiques fixés et évaluables par des indicateurs. De cette perception, fruit de la rencontre de deux rationalités, il ressort que la justice pénale, plus encore que l’Administration, se retrouve au prise de deux logiques : l’une, traditionnelle, la renvoie à la règle de droit et à la procédure avec leurs impératifs de légalité et de respect du procès équitable, l’autre la soumet aux légitimes interrogations sur l’efficacité de son action. Ce n’est pas nier les spécificités de l’activité juridictionnelle et le principe d’indépendance des magistrats qui la fonde pour constater qu’il reste constant que la percée des logiques managériales dans le fonctionnement de la justice a installé la notion d’efficacité à la fois comme norme de légitimation des réformes entreprises et en cours et comme référence ultime de son évaluation. Jérôme BOSSAN souligne ainsi que « le premier impératif procédural est l’efficacité du système judiciaire. Cet enjeu renvoie à une conception plus globale de la justice

546 Yves CANNAC, La qualité du service public. Rapport au premier ministre, La documentation française, 21004 547 Pierre-Jérôme DELAGE, « Résistances et retournements - Essai de synthèse du contentieux relatif à la

procédure de « plaider coupable », RSC 2010, p.831

548 cf. Jean-Paul JEAN, « Les réformes pénales 2000-2010 : entre inflation législative et révolutions silencieuses »,

Regard sur l’actualité n°357, pp8-22, La documentation française, Janvier 2010

549 CAILLOSSE Jacques, « Les figures croisées du juriste et du manager dans la politique française de réforme de

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considérée comme un service public et une administration ayant des obligations en termes de budget et dont l’activité doit être évaluée. »550

138. L’impact de l’analyse économique du droit. Dans le processus d’imprégnation du

principe d’efficacité par le système pénal français, il semble que l’analyse du courant américain de la « law and economics »551 ait joué un rôle significatif en ce qu’elle a installé dans les pratique du droit la notion d’efficacité, non pas comme principe juridique, mais comme principe d’action autour duquel s’agrège toute sorte de procédés de l’action juridique et judiciaire. Emmanuel PICAVET souligne à ce sujet que « l’approche économique du droit retient l’attention en tant que théorie normative, en particulier parce que la recherche de l’efficacité dans l’usage des ressources est habituellement considérée comme une finalité légitime pour les hommes… »552Certes, l’efficacité recherchée dans les réformes du système pénal français n’est pas strictement entendue comme critère macro-économique d’évaluation des politiques criminelles. Il n’en demeure pas moins vrai que faire de l’efficacité la valeur cardinale et l’objectif des transformations procédurales engagées, c’est créer une convergence entre les finalités assignées à l’action répressive et les fondements de l’économie du droit qui tend à appréhender la sphère du droit comme domaine économique soumis aux critères de performance. « Il s’agit, selon Samuel FEREY553, d’éclairer le raisonnement juridique par des considérations économiques. Cet éclairage peut prendre plusieurs formes : évaluation de l’efficacité des incitations fournies par les règles de droit sur le comportement des acteurs, conséquences des dispositifs juridiques sur le bien-être collectif et plus généralement sur les performances des économies ou encore mise en évidence des arbitrages qui travaillent de l’intérieur l’institution judiciaire. »

550 Jérôme BOSSAN, « L’intérêt général dans le procès pénal », Revue pénitentiaire et droit pénal, n°1, janvier-

mars 2008, pp37-60

551 Benoit FRYDMAN, « Le calcul rationnel des droits sur le marché de la justice : l’école de l’analyse

économique du droit », in T. ; Rosen, M., Structure, système, champ et théories du sujet, L'Harmattan, Paris, page 127-146, 1997

552 Emmanuel PICAVET, « L’approche économique du droit, l’éthique et le statut de la norme d’efficacité »,

Klésis – Revue philosophique – 2011 : 21 – Philosophie analytique du droit

553 In B. Deffains et E. Langlais, Analyse économique du Droit, De Boeck, 2009 p. 11 à 35, cité par Veronique

THIREAU, « L’analyse économique du droit ou “ Law and economics ” ». Revue Juridique Nîmoise, 2012, p.207- 214

155 142. L’efficacité comme principe de référence de l’action répressive. L’efficacité de la

justice pénale apparait donc comme un critère de légitimation et un objectif des actions conduites, y compris sur le terrain de la réforme. Jacques TOUBON, Garde des sceaux, ministre de la justice écrivait ainsi dans sa lettre de mission à Madame la Professeure Marie- Laure RASSAT que « notre procédure pénale est toujours en quête, du point de vue de nombreux praticiens comme de celui d'une grande partie de l'opinion publique, d'un équilibre entre ces deux objectifs contradictoires que sont l'efficacité de la répression et la recherche de la vérité d'une part, et le respect des libertés individuelles et des droits de la défense d'autre part. »554 Il semble donc que cette tension « entre efficacité et garanties »555 soit toujours le point d’équilibre des deux logiques qui conduisent le procès en général et le procès pénal en particulier vers un modèle désormais pluriel. Mais, si le principe d’efficacité se trouve formulé comme l’un des principes qui irriguent désormais les réformes de la justice, le Professeur CADIET souligne, toujours à propos de cette « tension » entre efficacité et garanties, que « la racine historique de ce compromis entre efficacité et garantie peut être trouvée dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 », en ce que son article 15 proclame que « la société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration. »556Le principe d’efficacité comportant une dimension à la fois opératoire et axiologique557 bénéficie ainsi d’un ancrage historique commun à toute la sphère de l’administration publique et qui lui offre une légitimité à valeur constitutionnelle.558

En somme, il apparait évident à la lumière des réformes successives touchant aux modes de poursuite, comme l’annonçait de façon prédictive Denis SZABO, que « la pression vers une plus grande efficacité va s'accroître à la fois pour des raisons fiscales que pour des raisons qui tiennent à la peur des citoyens pour leur sécurité. »559

554 Marie-Laure RASSAT, Proposition pour la réforme de la procédure pénale, La documentation française, 1995 555 Loïc CADIET, « Droit du procès et politiques publiques de la justice. Entre efficacité et garanties », in

Politique(s) criminelle(s) – Mélanges en l’honneur de Christine LAZERGES, Dalloz 2014, p.343

556 L. CADIET, op. cit

557 Si l’on se réfère à l’analyse de Christophe GRZEGORCZYK selon laquelle « chaque norme est créée par le

législateur avec une intention, donc une vue d’une finalité précise, qui est constituée par une valeur collective à protéger ou à promouvoir », in La théorie générale des valeurs et le droit, LGDJ 1982

558 Car inscrit dans le bloc de constitutionnalité

559 Denis SZABO, « communication conclusive dans le cadre du XXXVIIIe Cours International de criminologie,

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Mais, au-delà des transformations qui affectent les conceptions et les modes de gestion des affaires publiques dans de nombreux pays occidentaux, l’émergence de la notion d’efficacité dans le système pénal français est d’abord la résultante de facteurs endogènes qui ont alimenté le débat sur la réforme pénale depuis plusieurs décennies.

B).- LES FACTEURS ENDOGENES DE L’EMERGENCE DE LA NOT)ON D’EFF)CAC)TE DE LA