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DES REPONSES JUDICIAIRES NOUVELLES : LA TROISIEME VOIE

LA DIVERSIFICATION DES MODES DE POURSUITE

CHAPITRE 1. LES RAISONS PRAGMATIQUES DE LA DIVERSIFICATION DES MODES DE POURSUITE POURSUITE

B) DES REPONSES JUDICIAIRES NOUVELLES : LA TROISIEME VOIE

69. L’idée de diversification de la réponse pénale. La réalité de l’encombrement des

juridictions faisant désormais consensus, Hubert HAENEL préconisait, pour sa part et de façon plus précise, « d’élargir le champ d'application de la procédure simplifiée ; de systématiser le recours à la troisième voie chaque fois que son utilisation est possible ; et d’instaurer l'ordonnance pénale pour le traitement de toutes les contraventions et de certains délits. » 228 Philippe ROBERT et Pierre LASCOUMES avaient déjà souligné dans leur étude que de larges composantes du corps social, en dehors des positions des extrêmes, « s’accordent pour souhaiter que la justice pénale agisse de manière plus différenciée, qu’elle distingue nettement

226 Bernard BRUNET, « Le traitement en temps réel : la justice confrontée à l’urgence comme moyen habituel de

résolution de la crise sociale », Droit et Société 38-1998, p.91 – 107 ; V. aussi BASTARD Benoit, MOUHANNA Christian, « L'urgence comme politique pénale ? Le traitement en temps réel des affaires pénales», Archives de politique criminelle 1/2006 (n° 28), p. 153-166

227 Charles JOLIBOIS et Pierre FAUCHON, Quels moyens pour quelle justice, Mission d'information de la

commission des Lois chargée d'évaluer les moyens de la justice - Rapport 49 - 1996 / 1997

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ceux qui ne relèvent que d’un avertissement de principe et qu’il faut éviter de désocialiser par une intervention trop lourde qui n’est pas adaptée à leur cas. »229

Au travers de ces réflexions, il se dégageait une sorte de consensus sur le fait que « l’asphyxie » de la justice pénale ne pouvait se résorber que grâce à des mécanismes de traitements des procédures pénales diversifiés et simplifiés230. Les réformes législatives touchant aux modes de poursuite se sont dès lors succédées en écho à cette constante préoccupation d’adaptation des réponses de la justice pénale aux évolutions de la délinquance ainsi qu’aux difficultés de gestion des flux constatées dans les juridictions. « Il en résulte que le paysage procédural s’offrant au procureur de la République au moment de prendre sa décision sur l’action publique, n’était pas le même en 2000, 2003, 2006 et 2009 »231. Le tableau des possibilités offertes au procureur de la République est encore différent en 2015232. Ces évolutions de la procédure pénale rejoignent ce que préconisait déjà Albert NORMAND, en affirmant que « le législateur saura ainsi en matière pénale, s’inspirer des vrais principes, et tout en tenant compte principalement et avant tout des exigences et des nécessités de l’ordre social, les règles qu’il édictera, les dispositions qu’il formulera devront être en même temps conformes à la raison et à la justice…. Le magistrat en se pénétrant du sens et de la portée des dispositions de la loi positive pourra les interpréter exactement, et les appliquer avec discernement et assurer ainsi à ses décisions l’autorité et le respect qui leur sont dus.»233 Sans ignorer la question toute aussi récurrente des moyens alloués à la justice, les sénateurs Charles JOLIBOIS et Pierre FAUCHON rappelaient que « parallèlement aux efforts d'adaptation des moyens en personnel, des gains de productivité ont été recherchés par l'utilisation de procédures plus rapides. »234 Cette prise en considération de la productivité du système pénal dans la stratégie

229 Ph. ROBERT et P. LASCOUMES, op. cit

230 François ZOCHETTO, Les procédures accélérées de jugement en matière pénale, Rapport d’information au

nom de la commission des lois du Sénat, 2005

231 Philippe POUGET, « La mise en place de la diversification du traitement des délits à travers la législation », AJ

Pénal novembre 2013, p.573

232 Les lois n°2011-1862 du 13 décembre 2011 et 2012-304 du 6 mars 2012 ont notamment étendu le champ

d’intervention de l’ordonnance pénale délictuelle, tandis que la loi 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a créé la transaction par officier de police judiciaire.

233 A. NORMAND, Traité élémentaire de droit criminel, Librairie COTILLON, 1896

234 Charles JOLIBOIS et Pierre FAUCHON, « Quels moyens pour quelle justice », Mission d'information de la

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de la politique criminelle illustre, d’une certaine manière, ce que Jean-François CAUCHIE et Gilles CHANTRAINE235 appellent le « glissement », dans les finalités assignées au système de traitement de la délinquance, d’«une éthique de la modération » « vers une efficacité procédurale et organisationnelle de la répression (une efficacité qui se présente comme neutre et dépouillée de toute valeur morale) »236.

70. La consécration légale des alternatives aux poursuites. C’est d’abord de la pratique

judiciaire que sont nées les réponses pénales autres que le classement sans suite et la poursuite proprement dite devant la juridiction pénale qui sont les deux réponses traditionnelles inscrites au cœur du principe de l’opportunité des poursuites. « Devant l'inadéquation de cette dichotomie pour répondre à la commission de certaines infractions pénales, des solutions de rechange sont nées de la pratique »237. Les réponses pénales de la troisième voie sont désormais inscrites, par des lois successives238, aux articles 41-1 et suivants du code de procédure pénale. Il s’agit d’une série de mesures et de dispositifs mis à la disposition du procureur de la République pour répondre à certaines infractions sans recourir au déclenchement des poursuites, ni les vouer au classement sans suite. Ces mesures et dispositifs sont diverses et vont du rappel à la loi à la composition pénale définie à l’article 41-2 et suivants du code de procédure pénale, en passant par la médiation pénale239, la réparation du préjudice causé par l’infraction et l’orientation vers une structure professionnelle, sanitaire et sociale. Ils constituent ce que l’on nomme des alternatifs aux poursuites mis en en oeuvre par le procureur de la République tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement.

71. La nature juridique des alternatives aux poursuites. Du point de vue de l’analyse

juridique, les alternatives aux poursuites soulèvent une série de questionnements. Il y a d’abord

235 Jean-François CAUCHE et Gilles CHANTRAINE, « De l’usage du risque dans le gouvernement du crime

(janvier 2015) », Champ pénal / Penal field, nouvelle revue internationale de criminologie (En ligne]. Vol. II I 2005, mis en ligne le 13 mai 2005. URL :http://champenal.revues.org/80

236 Jean-François CAUCHE et Gilles CHANTRAINE, « De l’usage du risque dans le gouvernement du crime

(janvier 2015) », Champ pénal / Penal field, nouvelle revue internationale de criminologie (En ligne]. Vol. II I 2005, mis en ligne le 13 mai 2005. URL :http://champenal.revues.org/80

237 Muriel GIACOPELLI, « Les procédures alternatives aux poursuites - Essai de théorie générale », RSC 2012

p.505

238 En fait depuis la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, JO du 4 janvier 1993,

p.215, D. 1993, Lég. p. 134

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la question de l’extinction de l’action publique. Si les dispositions relatives à la composition pénale240, à la transaction pénale241et à la convention judiciaire d’intérêt public242 précisent que la réussite de ces trois mécanismes de réponse pénale éteint l’action publique, le texte de l’article 41-1 du code de procédure pénale, régissant les autres alternatives aux poursuites, laisse ouverte la possibilité de mise en mouvement de l’action publique, même après le succès d’une telle mesure. Dans un arrêt très commenté243, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi rappelé que « le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l’action publique, prescrire l’une des obligations prévues par ledit article, sans que l’exécution de cette obligation éteigne l’action publique »244. Cette décision de la Chambre criminelle indique, fondamentalement, que les mesures ou obligations dites alternatives aux poursuites constituent des modalités avant toute décision sur l’action publique. Autrement dit, dans le processus décisionnel dans le cadre de l’orientation des affaires pénales, la mise en œuvre des alternatives aux poursuites se situe après le premier choix qui est celui de la renonciation au classement sans suite. Le choix de l’alternative aux poursuites signifie et suppose, à la fois la caractérisation de l’infraction et son imputation à son auteur. Il laisse intacte l’option de la mise en mouvement de l’action publique, suivant le principe de l’opportunité des poursuites.

Le deuxième questionnement est celui de l’articulation de ces mesures alternatives aux poursuites entre elles et, entre elles et les voies de la mise en mouvement de l’action publique. Les champs d’intervention et les modalités de choix entre ces différentes mesures ne sont pas légalement définis. L’article 41-1 du code de procédure pénale prévoit que le procureur de la

240 Article 41-2 du code de procédure pénale 241 Article 41-1-1 du code de procédure pénale

242 Article 41-1-2 du code de procédure pénale issu de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la

transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Les modalités de la mise en œuvre de cette alternative aux poursuites sont définies par l’article 1er du décret n° 2017-660 du 27 avril 2017 relatif à la convention d’intérêt public et au cautionnement.

243 V., notamment, Jean DANET, « Le rappel à la loi, préambule ou “alternative” aux poursuites, au choix du

ministère public », RSC 2011 p.660, François DEPREZ, « L'illustration d'une insuffisance législative à propos des alternatives aux poursuites », Recueil Dalloz, 2011 p.2379, Jean-Baptiste PERRIER, « Alternatives aux poursuites : l'orthodoxie juridique face à l'opportunité pratique », Recueil Dalloz, 2011 p.2349 ; Ludovic BELFANTI, « De la révocabilité du rappel à la loi en particulier et des alternatives aux poursuites en général », AJ Pénal, 2011 p.584

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République peut mettre en œuvre, concomitamment, une ou plusieurs de ces mesures à l’encontre de l’auteur d’une infraction. Or, ces mesures sont de nature et de portée très variable. Jean PRADEL245 distingue les mesures légères des mesures lourdes. Puis, quelle est la portée du caractère consensuel ou contractuel de ces mesures ? S’agit – il d’une consécration d’un certain consensualisme pénal ou traduit-il, uniquement, de la recherche de l’efficacité de la réponse pénale dans le cadre d’un nouveau procès pénal rénové ?

72. Au-delà de l’encombrement de l’appareil répressif. La critique portant sur la gestion

des flux pénaux n’est pas la seule critique qui a induit l’évolution vers la diversification des modes de poursuite. Celle-ci est aussi la résultante des attentes sociales portant sur la qualité de la justice. Au-delà de la problématique des flux pénaux et d’organisation des circuits de traitement des affaires pénales, la question de la qualité de la justice pénale a toujours été sous- jacente aux options de politique criminelle prise par le législateur. Philippe POUGET se demandait ainsi, à propos de la diversification des modes de poursuite, « n’y a – t – il derrière qu’une simple politique de gestion des flux, consistant à vouloir traiter le maximum d’affaires au moindre coût, ou le souci a – t – il toujours été présent de préserver une justice pénale de qualité ? »246