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Aspects conceptuels et méthodologiques : système fluvial, échelles spatiales et temporelles, connectivité

2.1. Approche systémique

2.1.1. Le système fluvial : quelles perspectives ?

Comme Knighton l’a souligné en 1984, le domaine de la géomorphologie fluviale a développé un nombre assez réduit de théories et concepts originaux, ayant plutôt la tendance de les importer de la part des domaines connexes, comme dans le cas de la théorie hiérarchique, la théorie du chaos et la théorie de la probabilité. Étant une discipline frontalière, il est encore plus difficile de trouver ses propres termes et notions. C'est peut-être pour cette raison que le concept de "système fluvial", à la fois intégrateur et original, est encore plus important. Chorley et Kennedy (1971) avaient défini le concept de « système fluvial » en termes de système complexe, adaptable et qui évolue à travers les actions-réponses. Le concept de système fluvial peut être utilisé sur de vastes échelles spatiales de l’ordre du million de kilomètres carrés mais également sur de petites échelles de l’ordre de la dizaine de kilomètres carrés et temporelles d’un rang de quelques minutes jusqu’à des milliers d’années. Le syntagme de « système fluvial » est utilisé pour faire référence aux processus associés aux rivières, d’une partie, et aux dépôts et formes de relief créées par les cours d’eau, d’une autre partie [Smith, 1993]. Le système fluvial est composé par les formes de relief et les processus de provenance fluviatile qui les façonnent, dont leurs traits dominants sont la ligne de partage des eaux, les versants et le réseau hydrographique. Le bassin versant déroulé à l’intérieur de la ligne de partage des eaux est, de manière évidente, l’unité majeure d’analyse de la dynamique hydro-sédimentaire [Newson et Newson, 2000].

Dans les études hydrologiques, le système fluvial représente une approche bivalente, avec une importance en même temps théorique que pratique, et l’approche systémique de la dynamique hydro-sédimentaire est employée pour la gestion des ressources d’eau et pour l’ingénierie hydraulique. Au long de l’évolution de ce concept, on a pu constater que la plupart des recherches portant sur les systèmes fluviaux peuvent avoir un caractère appliqué, et il est déjà bien connu que les spécialistes dans le domaine de la dynamique hydromorphologique entrent en compétition avec les chercheurs dans d’autres disciplines de la science dans le but d’appliquer les projets de restauration écologique des rivières et de régularisation des lits [Lane, 1955; Brookes et Shields, 1996]. Une importance particulière relève les connexions entre les diverses composantes d’un système fluvial, qui contrôlent la dynamique de l’eau et des sédiments, ainsi que les états d’équilibre/déséquilibre, et qui reflètent les changements climatiques, l’activité tectonique, les effets anthropiques, à une échelle temporelle qui peut commencer dès le Pléistocène [ou plus tôt] et aller jusqu'au présent [Baker, 1973].

De plus, pour comprendre les facteurs déterminant le régime des débits liquides et solides des rivières, le chercheur dispose d’une série de questions méthodologiques qui emploient des méthodes et source de données variées, parce que la manière dans laquelle on analyse, à une échelle spatiale et temporelle, les effets sur la morphologie du lit peuvent offrir des nouvelles perspectives utiles dans la recherche dans le domaine de la géomorphologie fluviale [Giardino et Marston, 1999].

Le titre de la thèse fait référence, en premier lieu, à l’hydrologie et à la géomorphologie fluviale. Si l’hydrologie est une branche de la géographie physique qui étudie les propriétés générales des eaux de surface, leurs mouvements et distribution sur la Terre, en temps et dans l’espace [Pișota et Zaharia, 2005], la géomorphologie fluviale est une discipline de synthèse, avec des racines dans la géologie, la géographie

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et la gestion des bassins versants, et qui se fonde sur des domaines tels que l’hydrologie, la chimie, la physique, l’écologie, l’histoire humaine et l’histoire naturelle. Une des meilleures représentations des principes régissant la géomorphologie fluviale a été offerte par Lane (1955), et son actualité se maintient jusqu'au présent.

Au fur et à mesure, la géomorphologie fluviale a évolué afin de permettre, au présent, la modélisation conceptuelle des réponses hydromorphologiques complexes, utilisant une extension de la balance de Lane, datant des années 1950, qui compte aussi des variables hydrologiques et hydrauliques portant sur la géométrie de profil longitudinal et transversal de la rivière [Dust et Wohl, 2012]. Par ailleurs, des travaux récents parus dans Geological Society of American Bulletin ont visé des sujets comme les bandes actives des rivières, la morphologie des lits suite aux processus de soulèvement tectonique (« uplifting ») et d’entraînement vers l’aval des matériaux générés par l’action de l’érosion sur le fond du lit, les berges et les versants [Humphrey et Konrad, 2000 ; Liebault et Taillefumier, 2000; Arnaud-Fassetta et Fort, 2004; Ioana – Toroimac, 2009 ; Ioana – Toroimac et al., 2010 ; Liébault et al. 2010].

D’autres relations conceptuelles [Schumm, 1969] permettent la prévision des changements morphologiques du lit (y compris en ce qui concerne la dimension et la tendance d’évolution des méandres) suite aux changements dans le débit liquide ou l’apport sédimentaire. Le modèle conceptuel proposé par Schumm a été repris et développé en 1989 par Kellerhals et Church, qui ont pris en considération trois variables de contrôle : le débit morphogène Qmph (« channel forming discharge », le débit d’alluvions en suspension (noté avec Qsus) et les alluvions en charriage (« charge de fond »), noté avec Qch. Afin de décrire la relation entre la largeur et la profondeur du lit (W/D), la longueur d’onde des méandres, la sinuosité du lit et sa lithologie, ils ont utilisé les trois types de débits présentés en haut. Dix ans plus tard, Wasson et ses collaborateurs (1998) ont introduit la notion de « largeur à plein bord », qui correspond à la notion de débit morphogène, dans le contexte du concept d’équilibre dynamique (« graded stream »), employé pour la première fois par Gilbert (1887) et puis formalisé par Kesseli (1941) et Mackin (1948).

Selon Chorley et Kennedy (1971), le système fluvial est concerné par deux aspects fondamentaux : le système morphologique (lits des rivières, plaines d’inondation, versants - pentes, etc.) et le système en cascade du flux d’eau et de sédiments. Pour analyser ces deux systèmes, choisir les bonnes variables issues du domaine de la géomorphologie fluviale et des disciplines connexes constitue, dans la plupart des cas, une des premières étapes dans le développement d’une meilleure connaissance des processus se déroulant dans le système fluvial, tels que les processus à l’interface du lit mineur avec la plaine inondable, ou la connectivité entre la rivière et les versants [Alcayaga, 2013].

La perspective du système morphologique, utilisée de plus en plus dans les sciences de l’environnement, a exercé une influence décisive sur le développement de la géomorphologie fluviale en tant que science [Bennet et Chorley, 1978, cités par Kondolf et Piegay, 2013]. Ainsi, une série de travaux dans le domaine de l’environnement en général, et des processus fluviaux en particulier, sont orientés vers la théorie des systèmes (par exemple, White et al., 1992, Bravard et Petit, 2000). Appliqué à la géomorphologie fluviale, le concept de système a mis en évidence les interactions avec le système fluvial et les liaisons entre la géomorphologie, les sciences connexes (l’écologie, l’hydrologie, la géologie) et la gestion des ressources d’eau [Schumm, 1977 ; Doyle et collab., 2007]. Par conséquent, la recherche dans le domaine de la géomorphologie fluviale est, au présent, fortement influencée par le concept de système

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et exhibe un vigoureux caractère interdisciplinaire dans des pays comme la France [Amoros et Petts, 1993 ;

Schmitt et al., 2000], les États-Unis [O’Connor, 1983], la Belgique [Petit, 1984 ; Bravard et Petit, 2000]. De plus, le concept de « système morphologique » (Figure II.1) est devenu un instrument perçu dans le sens qu’il permet l’établissement et l’organisation des méthodes de recherche. Bien que l’approche réductionniste soit très adéquate pour la description des processus, elle ne peut pas aider dans la compréhension générale du système fluvial et de son évolution holistique.

Figure II.1. Le concept de système fluvial (le modèle de Kondolf et Piegay, 2003)

Dans ce sens, le système parait comme « un concept cadre » en vue d’établir une perspective intégrée sur les phénomènes et processus hydromorphologiques à des diverses échelles temporelles et spatiales, conduisant les spécialistes dans la gestion des ressources d’eau à une meilleure compréhension du concept de développement durable appliqué aux systèmes fluviaux [Chorley et Kennedy, 1971 ; Brookes et Shields, 1996 ; Piegay et al., 1996].

De l'autre côté, un système est défini comme une combinaison d’éléments qui forment un tout unitaire et entre lesquels il y a des connexions, interrelations, des transferts d’énergie et de matière [Alcayaga, 2013]. L’attribut de « fluvial » conféré au système qui fonctionne à l’intérieur de la ligne de partage des eaux d’un bassin versant est un mot provenant du latin « fluvius », avec le sens de rivière, mais quand il est interprété dans son vrai sens, un système fluvial implique non seulement le réseau hydrographique avec tous ses attributs morphologiques, mais aussi les zones de transfert et de stockage des sédiments. D’après Chorley et Kennedy (1971), le système fluvial apparait ainsi comme un système adaptif complexe, englobant les processus et les systèmes déterminés par deux composantes physiques : le système morphologique des lits, plaines inondables, versants, embouchures etc., et le système type « cascade » de la dynamique des flux de matière liquide (l’eau) et solide (les sédiments) (Figure II.2.). Ce système en cascade fonctionne non seulement pour la composante liquide des matières transportées par les rivières, mais également pour la continuité de la circulation et du transfert des sédiments dans le bassin hydrographique, en particulier lors des crues à faible retour [Joyce et al., 2018]. Cette notion s'applique particulièrement à la continuité des sédiments, induisant ainsi une réponse géomorphique d'une rivière à une crue extrême. De toutes ses composantes du système fluvial, les affluents jouent un rôle important dans les cascades de sédiments [Schrott, 2015].

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Figure II.2. La structure de la cascade de sédiments des zones source vers les zones de dépôt des sédiments et la

continuité relative des sédiments dans chaque stockage en l'absence de crue [d’après Joyce et al. (2018), modifié à partir du modèle de sédiments en cascade simple de Schumm (1977)]

Le concept de « cascade de sédiments » va en relation non seulement avec la géomorphologie fluviale, mais surtout avec la dynamique hydro-sédimentaire. Ce concept fournit en plus un aperçu complet qui traite du transport de sédiments à travers le paysage [Burt et Allison, 2010].

Le système fluvial est donc un système dynamique et adaptif, parce qu’il change progressivement à une échelle de temps humaine et géologique, suite aux processus d’érosion, de transport et d’accumulation [les flux liquides et solides] et réagit aux changements climatiques, de niveau de base, tectoniques ou induites par l’impact des activités humaines. Le temps de réaction de la morphologie et de la dynamique du système fluvial au changement des variables de contrôle naturelles ou anthropiques peut varier de quelques jours à de milles ou dizaines de milliers d’années. Cette évolution a été bien démontrée sur la rivière Isère par Alcayaga (2013), qui s’est intéressé aux altérations hydrologiques et de l’alimentation solide, pour la prédiction des trajectoires d’évolution de variables morphologiques de la rivière impliquées la transition d'un état d'équilibre à un autre (Figure II.3). A l’échelle des lits des rivières, le système fluvial peut être schématisé sous la forme d’un ensemble de variables de contrôle/externes ou indépendantes, comme le débit solide ou le débit liquide maximum, et d’un ensemble de variables d’ajustement/internes, ou dépendantes (par exemple le type de lit, la longueur des méandres, la pente longitudinale, la profondeur de la rivière). La rivière est ainsi vue comme un système en équilibre dynamique, dont la morphologie fluviale change avec le changement des facteurs de contrôle. Le rythme de changement de l’équilibre diffère d’un système fluvial à l’autre, en fonction des ajustements imposés par les processus d’érosion, de transport et d’accumulation.

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Figure II.3. Vecteurs d’altération du système fluvial de l’Isère (b.v. Rhône). En orange – trajectoire de l’évolution

(intensités, directions et tendances) d’une situation extrême issue des essais de sensibilité pour le calcul d’un débit morphogène (FQmph). FAS est l’indicateur de l’altération du régime de sédiments [Alcayaga, 2013]

La relation entre le débit liquide [Q] et le débit solide, ou le transport sédimentaire [Qs], sur laquelle agissent aussi une série de variables de contrôle et de réponse, a été représentée par une balance dont les plateaux peuvent s’incliner en faveur des processus d’érosion ou d’accumulation, selon les tendances du système morphodynamique (Figure II.4.).

Figure II.4. Schéma de l’équilibre dynamique entre les facteurs de contrôle et de réponse d’un système fluvial

[Rosgen, 1996], illustrée par la balance de Lane (1955). Adaptation propre

Également, l’intensité du changement peut être moyenne, conduisant à des adaptations ou à des changements de style fluvial, ou drastique, menant à la transformation presque totale de la morphologie d’un cours d’eau, suite à l’intervention humaine [Wohl, 2012]. Ce dernier cas porte le nom de

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« métamorphose fluviale » [Piegay et Schumm, 2003], en soulignant ainsi les changements extrêmes subis par un système fluvial à cause d’une rupture dans sa dynamique hydromorphologique et au dépassement des seuils morphologiques [Schumm, 1980 ; Werritty, 1997].

Le concept de système fluvial est étroitement lié à l'évolution des approches dans l'étude des études de bilan sédimentaire, des flux de sédiments et des stockages, car en fin de compte, les processus fluviaux sculptent le paysage, érodent les reliefs, transportent les sédiments et les déposent pour créer de nouveaux reliefs. L’approche du concept de système fluvial peut faciliter la compréhension holistique de la dynamique hydro-sédimentaire et de la variabilité spatiale et temporelle de leurs flux [Brown, 1996]. Cette approche est aussi utile dans la gestion des bassins versants, offrant des réponses aux problèmes hydrauliques, hydrologiques et écologiques suite aux aménagements et aux pressions anthropiques.

Une approche holistique de la dynamique des rivières nécessite une approche multidisciplinaire, raison pour laquelle le concept de système fluvial emprunte un nombre toujours croissant de méthodes et théories des autres disciplines, comme l’ingénierie hydraulique (par exemple Thorne et al., 1997 ; Gilvear, 1999]), l’écologie et la restauration des rivières [Hupp et al., 1995]), la science et la gestion de l’environnement (par exemple Brookes, 1995 ; Thorne et Thompson, 1995 ; Kondolf et Larson, 1995, Bravard et al., 1999; Petit et al., 2015), la géochimie et la pétrologie organique [Jasy et Chowdhury, 2010 ;

Kiekebosch‐Fitt, 2012 ; Olley et al., 2013 ; Zhang et al., 2013 ; Evans, 2016] Ces interactions se produisent dans les deux sens, ce qui signifie non seulement que la géomorphologie fluviale est appliquée dans ces domaines proches, mais aussi que des outils/instruments de ces domaines sont appliquées pour résoudre des problèmes de géomorphologie fluviale (Figure II.5).

Figure II.5. Approches complexes dans la géomorphologie fluviale et les sciences connexes du système fluvial,

budget des sédiments, flux de sédiments et milieux de stockages (adapté à la question d’un bassin versant à partir du modèle de Schrott, 2015)

En synthèse, quelques avantages de l’approche systémique de la dynamique hydro-sédimentaire sont:

• La flexibilité du passage d’une échelle temporelle/spatiale à une autre, après le moment où les caractéristiques des composantes d’une échelle deviennent connues.

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• L’accent mis sur la complexité géographique d’un système fluvial et sur son importance pour la compréhension des causes et des changements déterminés par certains facteurs naturels ou anthropiques.

• La possibilité de formuler des questions interdisciplinaires et d’appliquer les connaissances issues des domaines techniques pour résoudre des problèmes de gestion au niveau des bassins.

Néanmoins, cette approche présente aussi des certaines limitations :

• Elle ne peut pas être utilisé de manière indépendante, mais seulement en tant que cadre général de formulation des hypothèses scientifiques qui seront ultérieurement testées et modelées mathématiquement ou dans un milieu GIS.

• Suppose beaucoup de temps, parce qu’il est nécessaire de couvrir tout l’espace d’un bassin versant et il faut appliquer des méthodes et modèles complexes, situés au carrefour de plusieurs sciences (données obtenues sur le terrain, des documents bibliographiques, cartographiques).

• Se fonde largement sur des lois empiriques et sur des jugements de valeur des experts, et pas nécessairement sur des lois physiques contrôlant le système fluvial.

• Dépend de l’expérience des utilisateurs et des données disponibles, et peut être soumise à des erreurs d’interprétation.