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Le renoncement à une totalité de l'histoire.

2.1. Procédé de dédramatisation.

2.1.1. Le renoncement à une totalité de l'histoire.

Dans les films de Michael Haneke, le procédé de dédramatisation vise exactement à perturber la construction d'une totalité qui s'épuiserait dans un enchaînement de causes à effets refermé sur lui même, c'est-à-dire dans un système qui contient les tenants et les aboutissants. Le système clos du récit tend à s'anéantir et la fin ne se présente plus sous la forme d'un événement qui parachève l'histoire du film en tant que résolution finale (figure des films classiques), ni même comme un événement ouvert et non clos (figure des films modernes), la fin intervient telle une coupure brusque, une interruption de l'énoncé.

La coupure à la fin du film (Le Ruban blanc).

Comme, par exemple, dans Le Ruban blanc où, submergé par les événements qui affluent, le narrateur second interrompt son récit, et, à sa manière peu après lui, le narrateur du film fait pareil. Les questions soulevées au cours du récit restent sans réponses. En effet, à

Le dernier plan du Ruban blanc, © WEGA-Film.

part la question explicite : qui a commis les événements étranges au village ?, d'autres questions sont soulevées de manière implicite : à quoi est-il dû, comment procède-t-il le ravage dans l'âme humaine ? comment append-on à vivre à double face ? d'où cette envie de terroriser l'autre, le plus faible ? À sa fin, le film invite à rejoindre le Réel pour trouver les réponses des questions qu'il a soulevées. Ainsi, cette image solennelle du début de la messe ne ressemble pas à une clôture du récit, celui-ci est coupé, et la dernière image appelle d'une

manière insistante d'autres images : on voit presque les tranchées, les bombes qui éclatent et les corps mutilés. L'histoire du film ne se détache pas comme un monde à part, au contraire, les événements qui la constituent tendent à quitter la diégèse et à retrouver leur place parmi les événements du réel. De la même manière et dans le même but, se constitue la fin dans les autres films de l'auteur, bien que la coupure à la fin du Ruban blanc représente un aboutissement quant à cette recherche. Le plus proche est, nous semble-t-il, Le Temps du loup où l'événement très prolongé de l'attente reste dépourvu de son deuxième terme, l'issue de cette attente. Dans Code inconnu, l'absence de réponse de la part d'Anne et le départ de Georges suggère que c'est peut-être la fin de leur relation sans pour autant l'énoncer explicitement. Il y a cependant dans Le Temps du loup et dans Code inconnu les plans- séquences finals, respectivement celui pris d'un train en mouvement et le plan du garçon sourd-muet qui raconte une brève histoire, qui ne parachèvent pas les histoires des deux films mais relèvent du discours. Dans Le Ruban blanc, le discours se constitue sur la coupure même de l'énonciation. Dans Le Septième continent, 71 Fragments d'une chronologie du hasard et

Caché, il s'agit plutôt d'une suspension de l'histoire à cause de la mort de certains

protagonistes, sans que la fin se présente comme une résolution finale des questions soulevées au cours du film. L'histoire du film tend de la sorte à se prolonger hors du film, dans le Réel, là où le même problème, avec d'autres protagonistes, persiste. D'autre part, les questions soulevées et non résolues restent coincées dans la conscience réceptive qui continue à chercher une réponse ou examine des possibles.

Quelque chose éclate, mais est-ce bien le récit, le spectacle, la dramaturgie à « bords francs », toutes ces questions que Christian Metz posait dans son article « Le cinéma moderne et la narrativité »82 ressurgissent et on reprend le grand thème de l'« éclatement du récit ». Ce

qui éclate dans les films de Michael Haneke, à notre avis, c'est la construction d'une totalité transparente et l'idée de l'ubiquité de la représentation. Le réel afflue dans l'œuvre et y impose, au travers l'effet-de-réel qui se produit dans le film, l'une de ses caractéristiques essentielles : sa non transparence et son in-signifiance apparente. D'autre part, le film s'ouvre vers le Réel par les questions qu'il a soulevées et n'a pas résolues. Il ne se pose pas pour but d'isoler une histoire parachevée des autres qui la côtoient, au contraire, l'effet-de-réel vise une sorte de polyptyque où les différentes histoires se traversent sans forcément se conditionner l'une l'autre. La réalité nous offre des « exemples perceptifs », affirme Christian Metz83, « cette

dernière ne racontent pas d'histoires suivies ». Cette dernière raconte, pourrait-on ajouter,

82Christian Metz, Essais sur la signification au cinéma, tome I, op. cit., pp. 185-221. 83Ibid., p. 108.

mais la manière dont elle le fait distingue de celle que l'on utilise dans une fiction conventionnelle. Une différence de méthodes. L'enjeu dans l'effet-de-réel, c'est de parvenir à certains principes de la narration propre au réel, si l'on peut dire, sans pour autant prétendre accaparer le réel ni le détenir. Ainsi, le récit est toujours présent mais il ne vise pas la construction d'une totalité parachevée. Le récit s'égare et s'il avance, ce n'est pas vers une résolution finale. Il ne peut pas y avoir de résolution finale, car la vie continue toujours dans un perpétuel changement, le seul événement qui puisse mettre fin, sans rien résoudre, c'est la mort, et c'est ainsi dans plusieurs films de l'auteur : Le Septième continent, 71 Fragments

d'une chronologie du hasard, Funny Games, La Pianiste d'une certaine façon, Caché.