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Le réseau de concepts constitutifs de l’ingénierie didactique

Partie II. La méthode de recherche et la séquence didactique

6.1. La méthode de recherche : l’ingénierie didactique

6.1.2. Le réseau de concepts constitutifs de l’ingénierie didactique

En plus de la SD, l’ingénierie didactique est associée à trois concepts majeurs : la situation didactique, l’institutionnalisation et l’obstacle didactique. Ces concepts renvoient aux modalités de rencontres des apprenants avec les objets enseignés; c’est sur eux que reposent l’originalité et l’efficience de l’ingénierie didactique.

Le concept de situation didactique

Le concept de situation didactique a été construit par Brousseau (1998). Selon lui, la possibilité d’enseigner ou d’apprendre est conditionnée par la possibilité de saisir et de reproduire les conditions dans lesquelles des compétences se développent ou se construisent. Douady (1994) abonde dans le même sens en considérant les situations comme catalyseur autant de l’ingénierie didactique que des apprentissages eux-mêmes. Ainsi, toute connaissance est le résultat d’une adaptation de l’élève à une situation, d’où l’importance pour l’enseignant de créer les conditions favorables au remplacement des connaissances/conceptions courantes par d’autres.

Ainsi, Brousseau recentre le rôle de la didactique sur la question des « situations » et l’amène à proposer une théorie de la situation didactique.

L’objet principal de la didactique, écrit-il, est justement d’étudier les conditions que doivent remplir les situations ou les problèmes proposés à l’élève pour favoriser l’apparition, le fonctionnement et le rejet de ces conceptions successives.

Brousseau, 1998, p. 4. C’est une façon de définir la théorie des situations didactiques en tant que conceptualisation des modes de rencontre de l’élève avec un nouveau savoir qui peuvent être de l’ordre de

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l’action, de la formulation ou de la validation (Brousseau, 2003 : 2; Reuter, 2013 : 199). Dans le premier cas, le savoir contraint chez l’apprenant l’action; dans le second, ce sont les discours et, dans le troisième, ce sont les conduites de preuve. Le dénouement d’une situation impliquant l’action, la formulation ou la validation permet le passage à une nouvelle étape appelée institutionnalisation et qui consiste, tel que l’écrit Brousseau, à « encapsuler » la modification d’un savoir et de son fonctionnement (p. 4). C’est une transformation du répertoire par un ajout ou un retrait auxquels consentent et participent les protagonistes de la situation didactique, notamment l’élève et le maitre, désignés également comme étant des actants de la situation didactique.

Le concept d’institutionnalisation

Par l’institutionnalisation, les objets d’enseignement acquièrent d’une part une légitimité et de l’autre sont stabilisés, ce qui permet une utilisation ultérieure adéquate. La configuration des savoirs fait l’objet de coopération entre l’enseignant et l’apprenant en tant qu’actants de la situation didactique. À l’opposé, dans les situations a-didactiques et selon une certaine vision constructiviste radicale, les apprentissages pourraient se réaliser sans l’intervention de l’enseignant. Le fait de placer l’élève dans une situation où il est appelé à agir selon les nécessités du contexte et selon ses propres connaissances représente le processus que Brousseau appelle « dévolution » (2003 : 5). L’obtention de meilleurs résultats en termes d’apprentissage dépend de l’alternance entre l’acceptation et le rejet de la relation didactique, sans quoi l’enseignant ne fera que dévoiler les réponses attendues sans que l’élève puisse se les approprier.

Le concept d’obstacle

Reprenant le concept d’obstacle épistémologique bachelardien, Brousseau lui accorde un statut didactique et euristique de premier ordre, puisque l’obstacle constitue l’un des moments cruciaux dans tout projet d’ingénierie. Par l’introduction de l’obstacle, dans la foulée de Bachelard et de Piaget, le statut didactique de l’erreur est renversé. Celle-ci n’est plus le signe symptomatique de l’ignorance, de l’incertitude ou du hasard, comme le laissent parfois penser les théories béhavioristes et empiristes, c’est le résultat d’une connaissance antérieure, insuffisante ou erronée. Elle ne représente donc pas une tare à sanctionner, mais

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une occasion à interpréter et à construire en termes de problèmes par le didacticien et l’enseignement. Les erreurs deviennent un indice ou, en les personnalisant « un allié », qui guide le chercheur et l’enseignant dans le choix des objets, des outils et des démarches. Les productions langagières qui s’éloignent des standards établis, sur le plan syntaxique, sémantique ou pragmatique, ne sont pas tant des « fautes », mais des indices des représentations de l’apprenant. Cela implique à notre avis une transformation du travail de l’enseignant qui n’est plus un simple « exécuteur » de prescriptions et « un transmetteur de savoirs », mais un acteur appelé à analyser les besoins de son public, à adopter/adapter les outils disponibles en fonction des objectifs, voire à en créer. C’est dans son sens que l’intrusion de l’ingénierie didactique dans le champ de la didactique du français est une opportunité pour la didactique du français, initialement préoccupée par l’affirmation de son autonomie et par la constitution de concepts et de modèles théoriques, pour créer un espace commun au chercheur et à l’enseignant dont le premier objectif est celui de créer des outils et des démarches valides pour la classe. Le modèle des rapports entre le didacticien et l’enseignant passe d’une relation verticale où le didacticien « dit » à l’enseignant « ce qu’il doit faire », à une relation horizontale dans laquelle le chercheur et l’enseignant travaillent ensemble, avec l’éventualité des situations où ou l’enseignant devient chercheur et vice versa. Si donc les situations didactiques sont l’espace de coopération entre l’enseignant et l’apprenant, le cadre de la coopération et la complémentarité du travail de l’enseignant et du chercheur sont celui de l’obstacle.

Brousseau (1998) distingue trois types d’obstacles qui dépendent de trois facteurs : le développement de l’élève en tant qu’actant, le contexte institutionnel et l’objet d’enseignement. Ceux dus à une limitation psychosomatique sont qualifiés d’obstacles ontogéniques; les obstacles d’origine didactique sont attribués à une certaine configuration, à la progression des objets et surtout aux choix du système éducatif; les obstacles d’origine épistémologique sont ceux qui sont inévitables du fait qu’ils sont inhérents aux objets enseignés. En distinguant ces trois niveaux d’obstacle, cela offre au didacticien-ingénieur un point d’appui pour définir les objets d’enseignement, mais délimite aussi les zones d’intervention de celui-ci.

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