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S’exprimer en français Séquences didactiques pour l’oral et pour l’écrit (SEF)

Partie I : Les coordonnées de la recherche

Chapitre 5. L’argumentation et l’efficacité argumentative dans des manuels pour

5.1. Les manuels : des objets complexes aux multiples dimensions

5.2.3. S’exprimer en français Séquences didactiques pour l’oral et pour l’écrit (SEF)

destiné aux élèves de la Suisse romande. Il se compose de quatre volumes, chacun incluant des documents reproductibles pour l’élève et des Notes méthodologiques à l’intention de l’enseignant. Ce moyen d’enseignement est produit par une équipe de collaborateurs et d’enseignants dirigée par trois didacticiens du français : J. Dolz, M. Noverraz et B. Schneuwly.

C’est le 4e volume, celui destiné aux élèves de la 7e, 8e, 9e année (fin du secondaire

obligatoire) qui nous intéresse, particulièrement les séquences consacrées à des genres argumentatifs. Notre analyse portera sur les 8e et 9e séquences produites par S. Érard (2001a

et b) et, dans une moindre mesure, sur la 6e séquence élaborée par A. Grandjean A. et F. Di

35Dolz, J., Noverraz, M. et Schneuwly, B. (2001). S'exprimer en français. Séquences didactiques pour l'oral et pour l'écrit, Vol. IV (7e / 8e/ 9e). Bruxelles: De Boeck.

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Giacomo, qui sert de prélude aux séquences 8 et 9 sur de nombreux points. Nous nous appuierons essentiellement sur les Notes méthodologiques qui décrivent les objectifs et les contenus tels qu’ils apparaissent dans le manuel de l’élève, tout en apportant des éclairages théoriques sur les plans notionnel et méthodologique.

Dans l’ensemble des trois séquences, des objectifs complémentaires sont visés et ce à partir de trois genres différents : la pétition, le point de vue et le débat public. Dans chaque séquence, on définit d’abord les objectifs de l’étude, puis on trouve une mise en situation du travail à réaliser suivie d’une production de texte initiale par les élèves, une production finale de texte clôt la séquence. Entre ces deux productions, il y a des modules d’enseignement sur un contenu particulier associé à diverses compétences : la compréhension et la production écrites et orales. Voici donc une brève description des objectifs de ces séquences.

La séquence 6 porte sur la pétition, un genre délaissé par l’école, selon l’auteur, mais dont l’intérêt argumentatif est évident, puisqu’il s’agit d’un genre ancré dans les sociétés démocratiques comme outil aux mains des groupes constitués pour interpeler le pouvoir politique. La complexité de la situation de communication de la pétition en fait l’objet tout désigné pour amener les élèves à en étudier les ressorts et les enjeux. Cette séquence est aussi le lieu où on introduit des activités sur les arguments et la demande qu’ils soutiennent ainsi que l’étude des critères de l’efficacité formelle d’un texte, dont sa mise en forme et le titre. « Pour plus de détails sur l’argumentation, écrivent-ils, nous renvoyons les enseignants aux séquences didactiques intitulées le débat et le point de vue, réalisé par Serge Érard » (p. 192). Aussi, une part des objectifs de cette séquence et plusieurs objectifs des modules trouvent- ils des compléments de réponses dans la huitième et la neuvième séquence.

La 8e séquence porte sur le « point de vue » (ce que nous appelons au Québec le texte d’opinion). Elle commence par la définition de ce genre comme l’expression d’une position

d’une personne en vue dans un débat et qui a pour support un journal ou une revue, dans des rubriques telles que « L’opinion » ou « Débat ». On déclare vouloir amener les élèves à produire des textes monogérés, mais polyphoniques d’un côté et à les entrainer à la

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distanciation progressive par rapport à leurs positions et à l’anticipation des arguments opposés d’un autre côté. Ces objectifs sont opérationnalisés à travers six modules :

— le module 1 a pour but de familiariser les élèves avec le genre en appréhendant sa structure et en le distinguant des genres voisins;

— les modules 2 et 3 sont consacrés aux arguments, à leur reformulation et à leur hiérarchisation en fonction de leur force;

— le module 4 porte sur la réfutation et ses mécanismes;

— le module 5 met au premier plan les spécificités de l’argument d’autorité et de son fonctionnement;

— le module 6 sert à montrer aux élèves quelques modèles d’agencement argumentatif du genre étudié.

L’intérêt de cette séquence réside dans l’importance des activités dédiées aux arguments, mais aussi dans le fait qu’elle prolonge et approfondit des aspects présents dans la sixième séquence. Les élèves sont amenés à repérer les arguments, à les hiérarchiser selon leur « force ». La force des arguments est présentée comme le résultat de plusieurs facteurs interdépendants, notamment le degré de sa réfutabilité, les particularités du contexte, les lieux communs, les connaissances des interlocuteurs et les positions idéologiques partagées par ces derniers. Ces aspects seront réinvestis dans les modules de la séquence suivante.

La 9e séquence a pour objet différents aspects du débat public en tant que genre oral portant

sur des questions controversées. Le but du débat public est l’élaboration d’une réponse commune. Les modules de la séquence se présentent ainsi :

— le module 1 : l’écoute, l’analyse et la compréhension du débat;

— le module 2 : la prise en charge des arguments et leurs modalisations;

— le module 3 : les façons de reprendre, d’approfondir et d’étayer des arguments;

— les modules 4 et 5 : le recensement, l’anticipation, la réfutation et l’analyse des arguments;

— le module 6 : la récapitulation des aspects étudiés dans les autres modules.

Cette séquence revêt aussi un grand intérêt pour nous, puisqu’elle offre un angle de vue différent pour approfondir et revoir des aspects enseignés dans les séquences 6 et 8. Si les

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modules reprennent les problèmes du contexte, de la polyphonie, de la réfutation et de la force des arguments, ils introduisent de nouveaux éclairages sur la modalisation et l’importance des connaissances sur le thème dans les conduites argumentatives.

Fait remarquable, les objectifs des trois séquences laissent voir en arrière-plan une progression spiralaire. Chaque séquence sert à introduire un nouvel éclairage tout en approfondissant une dimension présente dans une séquence précédente. À en juger par les objectifs et les contenus, on s’intéresse aux arguments, mais nettement moins aux moyens langagiers qui les actualisent.

L’efficacité argumentative dans SEF

Dans les trois séquences, les contenus relatifs à l’efficacité argumentative (EA) sont présents, mais selon une intensité variable. Le travail sur l’EA se manifeste en particulier par le travail sur le genre comme outil et objet didactiques où les textes sont ainsi appréhendés en tant que productions verbales inscrites dans un espace social et se définissent d’abord par leurs fonctions pragmatiques, par le traitement détaillé de la situation de communication et des arguments, en plus d’aspects formels comme le plan du texte. Les connaissances en lien avec le sujet de l’argumentation sont également considérées comme une condition à une bonne performance argumentative.

Plus spécifiquement, l’entrée par le genre permet d’envisager aussi bien en compréhension qu’en production, les productions verbales en termes de données contextuelles et textuelles mises en réseau afin de construire le sens du texte qui est inhérent à son but.

Un second aspect qui vise directement le travail sur l’EA est l’intérêt porté aux activités qui traitent de la situation de communication. Ainsi l’impact de celle-ci est-il mis en évidence quand il s’agit des arguments dont la force dépend du contexte communicationnel, tel que proposé dans le 3e module de la séquence sur la pétition. En effet, les élèves sont censés

classer, mais aussi produire des arguments à force variable en tenant compte de la situation. Le même aspect fait l’objet du deuxième module de la 8e séquence, dont le but est de faire le

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l’enseignant à faire réfléchir ses élèves sur l’interdépendance de la force des arguments et du contexte par un travail d’analyse et de critique qui aboutit à la hiérarchisation des arguments. La réflexion sur les arguments est prolongée dans la 9e séquence dans les modules 2 et 3.

Dans l’un, les activités sont centrées sur les moyens langagiers qui servent à modaliser les arguments et ainsi à éviter la confrontation; dans l’autre, ce sont les techniques de reprise qui sont travaillées. Cela est censé servir à créer dans un débat un front commun contre la position adverse. Les élèves apprennent à apprécier les stratégies de coopération dans un débat ainsi que les outils langagiers qui lui sont nécessaires. Un travail de même nature est conduit dans le 4e module sur l’expression du désaccord et les moyens de la réfutation.

Mais l’EA dans les séquences ne se réduit pas à la force des arguments et de leur pertinence pour le contexte. « Le titre, la disposition et la mise en forme d’un texte pétitionnaire, lit-on dans ce moyen d’enseignement, sont tout aussi importants pour l’impact que l’on veut produire que les arguments eux-mêmes » (p. 199). Le premier module de la sixième séquence est tout entier consacré à la structure du texte pétitionnaire. Le repérage des différentes parties et l’ordre de celles-ci dans la pétition font l’objet des trois activités du module. L’agencement des différentes parties de la pétition et la mise en page seraient des gages de réussite; « l’aspect esthétique de la mise en page est aussi un élément essentiel pour ce genre de texte parce que forme et contenu sont étroitement liés : la forme du texte va rendre le message plus efficace » (p. 171). En d’autres termes, sans le respect des contraintes formelles, la pétition risque de ne pas convaincre ses destinataires, et peut même être censurée par le média où elle est censée être publiée. Le mode d’agencement des différentes parties du texte est également étudié à la huitième séquence. Le premier et le sixième module visent à amener les élèves à percevoir l’organisation générale et les circuits argumentatifs du genre étudié. Par des travaux d’analyse, les élèves devront repérer les différents modèles d’agencement.

En plus de ces trois aspects, il faut mentionner les activités qui mettent l’accent sur l’importance des contenus relatifs au sujet de l’argumentation, dans le module 5 de la 9e

séquence. On propose une activité consistant à lire un dossier de textes sur la controverse et de repérer les différents arguments. Une autre façon de montrer aux élèves qu’une argumentation doit toujours se situer par rapport à d’autres discours en reprenant leurs

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arguments ou en les réfutant : «Travailler l’argumentation sans travailler les contenus, lit-on dans le module, risque de laisser entendre que le maniement de techniques argumentatives est à lui seul garant d’une bonne performance de débatteur » (p. 294). Autrement dit, le maniement des techniques argumentatives sans des connaissances thématiques peut compromettre les performances d’un participant à un débat.

Mentionnons également le champ lexical de l’argumentation qui traverse les trois séquences du début jusqu’à la fin. On y parle d’efficacité, de performance, de réussite et d’échec des conduites langagières, de force d’argument, etc. On peut supposer que l’exposition des élèves au langage de l’argumentation ne peut qu’agir sur leurs représentations quant aux fonctions pragmatiques des genres argumentatifs.

Par contre, le choix de certaines activités et la manière d’aborder leurs contenus ne soutiennent pas souvent une conception de l’argumentation qui met en premier plan l’efficacité. Par exemple, dans la 8e séquence, le travail sur des arguments produits par les

élèves dans un contexte contrôlé (la classe) est de moindre intérêt qu’un travail sur les arguments d’un texte avec de réels enjeux communicatifs. Faire travailler les élèves sur des arguments inscrits sur des cartons et non issus de textes ne peut qu’alimenter une conception qui accorde à ces derniers une sorte de valeur absolue sans égard à leur contexte social et discursif. Le même problème se pose quand il est question de la force d’un argument et de sa réfutabilité qui ne sont pas non plus associés à un destinataire particulier, à sa position sociale et à ses intérêts. L’absence de ces éléments relève d’une conception quelque peu réductrice de la notion de contexte.

Une autre faiblesse est le choix des thèmes proposés qui ne suscitent pas de réel débat, par exemple la question de la mixité dans les gymnases. Sans controverses actualisées autour de cette question, quelle est l’importance de l’efficacité de l’argumentation et l’enjeu de l’argumentation? Peut-être est-ce dû au fait que le débat est présenté comme conduite délibérative entre partenaires plutôt qu’une occasion dans laquelle les débattants visent à convaincre leur vis-à-vis de leur point de vue.

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Ces séquences autour de l’acte d’argumenter laissent transparaitre un double ancrage théorique, celui de la Nouvelle rhétorique qui met l’assentiment du destinataire au centre des conduites argumentatives et celui de l’éthique communicationnelle habermasienne où les argumentateurs dans un débat aspirent davantage au consensus. Conscients des contraintes de la didactisation d’un objet aussi complexe que l’argumentation discursive, les concepteurs du manuel ne manquent pas d’ailleurs de souligner les besoins de formalisation des contenus qui doivent parfois être présentés de façon un peu réductrice.