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Partie I : Les coordonnées de la recherche

Chapitre 5. L’argumentation et l’efficacité argumentative dans des manuels pour

5.1. Les manuels : des objets complexes aux multiples dimensions

5.2.2. Apprendre à argumenter (AA)

Apprendre à argumenter (AA)33 est un moyen d’enseignement québécois qui comprend deux

composantes : un cahier contenant un recueil de textes et des activités de compréhension et de production destinées aux élèves de la classe de français de la 5e secondaire, en plus d’un

outil qui s’adresse aux enseignants. Dans le cahier de l’élève sont inclus le corrigé des activités précédé d’un avant-propos pour guider leur utilisation, suivi d’un glossaire du métalangage propre à l’argumentation. Ce cahier, publié en 2001 aux Éditions du Renouveau pédagogique sous la direction de S.-G. Chartrand, vise à mettre en œuvre le programme de français de la 5e secondaire au Québec du ministère de l’Éducation du Québec (MÉQ) de

1995. La directrice de la publication, didacticienne du français, a été la conceptrice de plusieurs parties de ce programme d’études, dont celle qui porte sur les textes argumentatifs. Ont également contribué à la conception de ce moyen d’enseignement trois collaborateurs, dont deux didacticiennes du français, langue première ou langue seconde et un théoricien de la littérature. Les objectifs de l’ouvrage consistent à amener les élèves à maitriser les principaux mécanismes de l’argumentation discursive par un travail de lecture et d’écriture.

Apprendre à argumenter comprend trois parties : la première est un recueil de seize textes de

douze genres écrits différents regroupés au début du manuel; chaque texte est précédé de notes d’information sur la situation de communication de production du texte et sur son auteur (p. 2-69); la deuxième partie est constituée d’activités de lecture et d’écriture regroupées en quatre ateliers (p.70-155) qui portent successivement sur la situation argumentative, la construction de l’argumentation, les stratégies argumentatives et l’argumentation dans des genres littéraires. Chaque atelier est structuré de la façon suivante :

33 Chartrand, S.-G. (dir. 2001). Apprendre à argumenter. 5e secondaire. Saint-Laurent : Éditions du renouveau

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— exposé d’informations en lien avec les objectifs de l’atelier incluant les définitions des concepts majeurs;

— lecture de textes avec des activités qui en assurent la compréhension par leur analyse; — synthèse sous forme de tableaux à compléter qui permettent aux élèves de faire le point sur leurs apprentissages tout en comparant les genres du point de vue des aspects étudiés; — production de textes, dont les consignes donnant lieu à des productions de longueurs et de types variés : réponses à des questions sous forme de courts énoncés, de paragraphes ou de textes d’un genre précis.

Le manuel se clôt par un glossaire qui réunit les définitions des concepts utilisés dans les ateliers. Par les multiples renvois, les contenus des trois parties sont organisés en réseau où chacune complète l’autre.

Associant chaque texte à un genre particulier, les textes sont appréhendés par leur inscription dans l’univers social par leur fonction pragmatique et leurs caractéristiques textuelles et linguistiques. La diversité des genres dans le recueil et le choix des contenus d’apprentissage nous autorisent à déduire une définition de l’argumentation comme discours défini par sa finalité pragmatique (Perelman et Olbrechts-Tytecca, 1958/1992, voir 3.1.). En effet, les questions posées dans le premier atelier ne servent pas seulement à nommer les différentes composantes de la situation de la communication (l’énonciateur, le destinataire, le contexte, le but et le support), mais permettent de les problématiser et de les interpréter pour chaque texte soumis à l’étude. Les élèves sont amenés à dégager les composants de la situation argumentative et à les mettre en relation, ce qui permet de construire un réseau de significations. En outre, ces composants sont analysés en fonction de l’efficacité persuasive et mis en rapport avec le choix des moyens langagiers pour l’atteindre.

Dans le deuxième atelier, on note le même intérêt pour les aspects pragmatiques à travers le repérage et l’analyse de la thèse, des arguments et des contre arguments. On met l’accent sur l’interdépendance des arguments et contre arguments avec la situation de communication. Les arguments sont en effet envisagés en fonction de conventions sociales, de croyances, des valeurs, de lieux communs (doxa), des faits admis et de l’expérience personnelle du

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destinataire. À l’inverse d’une approche logicisante de l’argumentation dans laquelle le contexte et les arguments sont quasiment neutralisés, on voit à travers les différentes activités l’intention de montrer l’impact de la situation dans les choix des arguments et de leurs fondements. De plus, on illustre qu’il n’y a pas qu’un seul plan de texte pour argumenter, contrairement à la tradition scolaire qui présente souvent un plan canonique en trois temps et un modèle rigide d’introduction.

Le troisième atelier permet quant à lui d’aborder un concept central de toute argumentation, celui de stratégie argumentative élaboré dans le modèle systémique de S.-G. Chartrand (voir 4.2.); la stratégie argumentative est définie ici comme l’ensemble des moyens langagiers et graphiques ou sonores mobilisés par l’énonciateur afin d’atteindre son but, c’est-à-dire convaincre (Chartrand, dir. 2001, p. 162). On considère qu’une stratégie s’appuie toujours sur au moins un procédé langagier dominant comme axe organisateur; en conformité avec le programme d’études, on présente trois procédés : la réfutation, l’explication argumentative et la démonstration34. Les activités permettent à l’élève non seulement de repérer les diverses

ressources langagières et graphiques de la stratégie mise en œuvre et le ou les procédés qui la sous-tendent, mais surtout de les évaluer en fonction de leurs effets sur le destinataire : la stratégie est-elle efficace? L’étude de la polyphonie à travers le jeu des discours rapportés permet de voir quelques configurations pragmatiques comme moyen d’étayage (arguments d’autorité) ou comme moyen de distanciation.

L’argumentation comme conduite visant l’efficacité pragmatique traverse également la totalité du quatrième atelier consacré aux genres littéraires. Les textes littéraires ou extraits de textes (qui sont des séquences textuelles, au sens de Adam, 1992) soumis à l’étude permettent de réinvestir les concepts-clés étudiés dans les ateliers précédents tout en tenant compte des spécificités des genres littéraires. Bref, l’efficacité persuasive est une composante essentielle de ce moyen d’enseignement, autant par les contenus d’apprentissage que par la conception de l’argumentation qui les sous-tend.

34 Ceci est contestable, car le terme démonstration implique une forme de raisonnement dont la validité est

admise dans une sphère donnée à un moment donné de la temporalité et qui, à ce moment, ne fait pas l’objet de controverse. Aussi l’auteure a-t-elle par la suite exclu la démonstration des procédés argumentatifs.

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L’efficacité argumentative dans AA

L’analyse des genres sert de vecteur à la découverte des constituants fondamentaux de l’argumentation discursive. La production écrite constitue l’aboutissement de chaque atelier par la mise en pratique des apprentissages réalisés en lecture et parce qu’elles favorisent la synthèse des apprentissages réalisés. Cette volonté de synthèse est d’abord illustrée par les tableaux synthétiques qu’on retrouve dans tous les ateliers et dans le glossaire, mais aussi par la structure même du manuel, où les trois premiers ateliers servent à l’appropriation d’un composant du discours argumentatif, tandis que le quatrième atelier permet le réinvestissement des apprentissages dans un genre différent de ceux étudiés dans les autres ateliers. Bref, les auteurs adoptent une progression dans l’appropriation par les élèves des composants de l’argumentation discursive.

Ce manuel qui opérationnalise le modèle didactique du discours argumentatif développé dans la thèse de S.-G. Chartrand (1995a), illustre éloquemment qu’on peut travailler en classe plusieurs des aspects spécifiques de l’efficacité argumentative par l’étude des divers moyens discursifs.

5.2.3. S’exprimer en français. Séquences didactiques pour l’oral et pour l’écrit (SEF)35