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L’efficacité argumentative dans la Nouvelle rhétorique

Partie I : Les coordonnées de la recherche

Chapitre 2. Le cadre théorique et conceptuel de l’argumentation

2.3. Vers une définition de l’efficacité argumentative

2.3.4. L’efficacité argumentative dans la Nouvelle rhétorique

Par la publication du Traité de l’argumentation (Traité) en 1958, Perelman et Olbrechts- Tyteca ont inauguré le renouveau des études de l’argumentation en ramenant cette dernière à ses origines et son souffle premier. Ce courant appelé aussi courant de La nouvelle rhétorique (LNR) insiste sur l’importance pour qui veut convaincre de connaitre les affects et les tendances des individus auxquels il s’adresse, mais aussi leur groupe social. En raison

de cette double exigence, l’argumentation rejoint les intérêts et les champs d’étude de la

psychologie et de la sociologie. Un argumentateur habile doit donc tenir compte de l’humeur de son auditoire et de son habitus social.

Mais cette connaissance ne suffit pas si une série de conditions ne sont pas remplies, en premier lieu celle de l’accord15 de débattre sur une question donnée. Pour l’orateur qui

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n’obtient pas cet accord, il ne peut obtenir cette communauté d’esprit nécessaire ou procès de la communication. C’est le cas symptomatique d’Alice et de l’incapacité de celle-ci à communiquer avec son entourage dans le roman de Lewis Caroll. L’accord porte également sur l’ensemble des prémisses mobilisées par l’énonciateur (les faits, les vérités et les présomptions). L’échafaudage des prémisses, malgré le caractère conventionnel de ces dernières, offre à l’énonciateur des atouts pour influencer le destinataire. Il n’y a pas de meilleure illustration pour la force de l’accord obtenu au début de toute argumentation que les dialogues de Socrate. Ce dernier, dans les multiples débats rapportés par Platon, commence toujours par établir les topos sur la base desquelles l’argumentation peut se développer. Bref, pour renforcer une croyance ou pour en contester une autre, l’argumentation, pour être efficace doit prendre appui sur des opinions communes et sur un accord préalable de soumettre une question au débat, sans quoi il est impossible de convaincre. Les auteurs du Traité soulèvent justement un type d’auditoire imperméable à toute argumentation par manque d’accord.

Le fanatique est celui, qui adhérant à une thèse contestée, et dont la preuve incontestable ne peut être fournie, refuse néanmoins d’envisager la possibilité de la soumettre à une libre discussion et par conséquent refuse la condition préalable qui permettrait sur ce point l’exercice de l’argumentation.

Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1958/1992, p. 82-83. L’argumentateur qui obtient cet accord et atteint une communauté d’esprit avec son destinataire doit ensuite sélectionner les données favorables à sa thèse et les interprète en leur donnant les significations qui siéent au point de vue défendu. L’argumentation ne serait pas seulement un étalage de données brutes, mais création de significations et modalisations de l’auditoire. Le but de la sélection des données et de leur interprétation est la recherche de la pertinence entre ces données et la conclusion. Dans le Traité, on peut lire les propos suivants pour expliquer l’importance de l’exercice de sélection et d’interprétation des données :

L’interprétation peut être, non pas simple sélection, mais aussi création, invention de signification – ces diverses interprétations ne sont pas toujours incompatibles, mais la mise en évidence de l’une d’entre elles, la place qu’elle occupe à l’avant-plan de la conscience, rejette souvent les autres dans l’ombre. L’essentiel d’un grand nombre d’argumentations résulte de ce jeu d’interprétations innombrables et de la lutte pour en imposer certaines, en écarter d’autres.

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Certes, on reprend ici une idée présente dans la rhétorique aristotélicienne, mais son intérêt réside dans l’insistance sur le rôle des moyens langagiers ou les formes de discours, dont la répétition, la définition oratoire, le choix des mots, les structures grammaticales, les figures de style, le choix du temps verbal, etc.

En termes clairs, une argumentation efficace est une argumentation qui adapte les données, qui les interprète et qui fait des choix langagiers en tenant compte de l’auditoire (ou destinataire) auquel elle s’adresse. « L’orateur, écrit Danblon, ne peut argumenter efficacement que s’il a une représentation réaliste de l’auditoire et que son discours s’adapte en conséquence à une telle représentation » (2005 : 14). En paraphrasant les propos de Danblon, on peut dire du texte d’opinion qu’il serait argumentativement efficace si l’énonciateur choisit les données et les moyens langagiers en fonction du destinataire. Le rôle de l’auditoire est central dans La nouvelle rhétorique dans la mesure où l’efficacité argumentative est conditionnelle aux éléments suivants :

- l’obtention de l’accord de l’auditoire et la réalisation de communauté d’esprit avec ce dernier;

- le choix du genre en fonction de l’auditoire;

- la sélection et l’interprétation des données en fonction des dispositions psychologiques et de l’appartenance sociale de l’auditoire;

- l’anticipation de la réception de l’argumentation et les ajustements en fonction de cette anticipation;

- le choix des outils langagiers adaptés à l’auditoire.

Mais en ajustant tous les procédés en fonction de l’auditoire, LNR se trouve confrontée au même discrédit qui l’a jadis frappé. En effet, si le choix du genre, le choix des données, leur interprétation, entre autres, se fait en fonction de l’auditoire, comment déterminer la valeur d’une argumentation? Une argumentation qui persuade un auditoire érudit et une autre qui faire fléchir les opinions de néophytes sur des questions telles que les politiques d’austérité ou le droit de grève se valent-elles? La réponse donnée dans le Traité conforte davantage le rôle de l’auditoire et en fait le critère ultime de la qualité d’une argumentation : « elle (la qualité de l’argumentation) est relative à l’auditoire qu’elle cherche à influencer » (Perelman

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et Olbrechts-Tyteca, 1958/1992 : 24). Mais c’est la notion de l’auditoire universel qui permet de contourner les griefs jadis lancés à la rhétorique. L’efficacité d’une argumentation qui s’adresse à un public universel est supérieure à celle obtenue auprès d’un public particulier. Bref, l’obtention de l’assentiment du public par la mobilisation d’un ensemble de procédés et par le respect d’un ensemble de conditions est la mesure ultime de l’efficacité d’une argumentation. « Une argumentation efficace, lit-on dans le Traité, est celle qui réussit à accroitre cette intensité d’adhésion de façon à déclencher chez les auditeurs l’action envisagée (action possible ou abstention) ou du moins à créer chez eux, une disposition à l’action qui se manifeste au moment opportun. (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1958/1992 : 59).