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Partie II. La méthode de recherche et la séquence didactique

6.3. Le devis de recherche

Dans le cadre de cette recherche, nous proposerons une séquence didactique (SD) consacrée à l’enseignement de l’argumentation écrite, avec comme objectif d’amener notre public à produire des TO argumentativement efficaces. Ce faisant, notre finalité est d’influencer les représentations des étudiants en orientant celles-ci vers une conception pragmatique de l’argumentation où les conduites langagières et le choix qui les sous-tendent seront envisagés en fonction de leurs buts et du contexte communicationnel. Nous ne savons que trop bien combien l’argumentation écrite en contexte scolaire pâtit de conceptions logicisantes et de sa réduction à des moules textuels prédéfinis. Les pratiques de classe, les manuels et les

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prescriptions sont truffés des avatars de la rhétorique scolastique, notamment des pratiques de la composition et de la dissertation. L’enseignant du français langue seconde qui désire amener ses apprenants à la rencontre de l’argumentation dans sa complexité ne peut que constater le paradoxe entre les déclarations d’intention dont les programmes et les prescriptions sont remplis et le peu d’outils disponibles pour l’atteinte des objectifs prescrits. D’un côté, l’argumentation est omniprésente dans les discours de la noosphère, de l’autre, la pénurie d’outils pertinents et rigoureux se fait sentir avec beaucoup d’acuité quand il s’agit de trouver du matériel pouvant servir à l’atteinte des objectifs reliés à l’argumentation. Dans les manuels qui disent traiter l’argumentation comme objet principal d’enseignement, celle- ci est diluée dans un embrouillement de listes d’objets mutilés de leurs finalités argumentatives : listes de connecteurs, d’arguments, de plans, etc. Les quelques rares publications qui offrent des entrées originales en matière, celles que nous avons analysées dans le chapitre 5, sont, elles, exclues des catalogues les plus publicisés et donc les plus souvent méconnues par les enseignants. Les exercices de grammaire, les recettes d’écriture sont toujours aussi populaires chez les enseignants et les apprenants, laissant croire à l’efficacité des enseignements et à la maitrise des genres argumentatifs, toutes les deux illusoires.

Parallèlement, des recherches en didactique de l’argumentation tentent de renverser cette tendance et commencent à se faire davantage d’écho dans les revues spécialisées et dans les publications qui s’adressent au corps enseignant.

Certains travaux de modélisation et d’ingénierie didactique de différents genres argumentatifs tentent de transformer ces représentations et ces pratiques, en tirant profit des théories développées par les différents courants de l’argumentation, des sciences du langage et de la didactique du français. Notre recherche se situe dans la foulée de ces travaux, avec le but d’agréger à notre séquence toutes les composantes pouvant favoriser l’efficacité argumentative dans les textes d’opinion. La démarche à entreprendre pour atteindre notre but consiste d’abord à définir l’argumentation et ses composantes dans les écrits sur la rhétorique et la didactique. Les concepts développés au sein de ces différents champs théoriques ont servi à définir notre problématique posée en termes de divergences entre les pratiques

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d’enseignement, d’un côté, les concepts théoriques et les pratiques sociales de référence, d’un autre côté. En circonscrivant ces concepts, mais aussi ceux relatifs à l’ingénierie didactique, nous pouvons élaborer, expérimenter et évaluer notre séquence.

6.3.1. La démarche d’élaboration et la démarche de la séquence didactique

La formulation de la consigne du prétest, l’élaboration de la grille d’évaluation, l’évaluation des compétences des étudiants lors du prétest et la détermination du choix des contenus des ateliers, qui découlent de cette évaluation, se situent en amont de l’expérimentation proprement dite de la SD.

Notre synthèse des écrits a eu pour but non pas seulement de définir les différents composants de l’argumentation discursive, mais aussi de désigner les critères essentiels qui participent à l’efficacité d’un genre argumentatif, comme le texte d’opinion ainsi que les conditions optimales de l’enseignement de l’écriture des TO pour pouvoir enfin évaluer la pertinence de notre SD et son impact sur les compétences des étudiants concernés.

La grille qui servira à évaluer la production finale représente le résultat de plus d’une version. La première étant celle élaborée après avoir défini l’efficacité argumentative, la finale étant celle obtenue après une première analyse des productions initiales et qui ne retiendront que les zones de faiblesses des productions de nos étudiants. En partant de critères multiples, on a abouti à un ensemble limité de sous-critères groupés selon le contexte, l’énonciation et la qualité de l’argumentation. La grille de départ, aux critères multiples, laissera place à une autre plus succincte avec trois critères représentant les aspects faisant défaut dans les textes de nos étudiants.

C’est en fonction de ces lacunes que les contenus et les objectifs des ateliers sont élaborés. Les choix que nous opérons sont dictés d’abord par le niveau des difficultés constatées chez les étudiants, mais aussi par la limite du nombre d’heures allouées à notre séquence dans l’ensemble des objectifs assignés au cours où se déroule notre SD. Autrement dit, conscient de ne pas pouvoir couvrir tous les aspects déficients dans les textes, nous avons opté pour enseigner les aspects plus problématiques en matière d’efficacité.

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Quant à la formulation de la consigne du prétest, celle-ci doit s’attacher à fournir les conditions nécessaires pour produire un TO approprié. Autrement dit, il est essentiel de réaliser le prétest dans des conditions similaires à celles du posttest pour éliminer des variables autres que celles reliées aux apprentissages et aux représentations de nos scripteurs. Le degré de l’intérêt du sujet proposé, la qualité de la documentation, les documents de référence autorisés, le nombre de mots, le temps alloué à la production, ce sont toutes des conditions qui doivent être similaires pour pouvoir attribuer les difficultés du prétest à une forme d’incompétence argumentative et les progrès réalisés durant le posttest aux enseignements et aux apprentissages réalisés lors de la séquence didactique.

6.3.2. Le schéma expérimental de la séquence didactique

La séquence didactique proprement dite se déroule selon le schéma expérimental de l’ingénierie didactique en quatre étapes : 1) l’analyse préalable; 2) la conception de la SD et l’analyse à priori; 3) l’expérimentation; 4) l’analyse à postériori et l’évaluation.

1re phase : l’analyse préalable

Dans cette première phase, nous procèderons à l’analyse de corpus constitué des productions initiales (prétest). Cette analyse permettra, comme nous l’avons dit, d’identifier les lacunes les plus flagrantes qui empêchent les productions des étudiants d’être des textes argumentativement efficaces. À cette étape, le rôle de la grille d’évaluation critériée comme outil d’analyse est primordiale. Elle permet de rendre compte des faiblesses et des forces des textes d’opinion produits par les étudiants qui permettront de définir les objectifs et les objets des différentes séances de la SD. Cette étape nous fournira des données sur les représentations des apprenants quant aux caractéristiques génériques du TO en particulier et l’argumentation en général, mais nous aidera également à déterminer les contraintes entourant la réalisation effective du projet de SD ainsi que les objectifs à atteindre.

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Il s’agit de l’élaboration proprement dite de la SD, avec la description des choix effectués et des objectifs à atteindre pour chacun des ateliers46 en fonctions de l’analyse préalable.

Pour ce qui est de la variable situation, il sera question de reproduire des situations où les conduites visées dans l’enseignement sont censées se produire. En adoptant le cadre théorique de la théorie des situations didactiques, l’efficacité argumentative sera envisagée en termes d’une série d’obstacles et de problèmes à résoudre. Il s’agit d’activités réflexives qui permettront à l’apprenant de prendre conscience de ses objectifs et de ses démarches pour atteindre ces objectifs (Collin, 1999; Prouchet, 2001; Ntirampeba, 2003). La variable tâche concerne les types d’activités qui sont l’objet d’enseignement, qu’il s’agisse de la tâche de production et de compréhension.

3e phase : l’expérimentation

Durant cette phase, nous aurons une double tâche, celle de l’enseignant qui œuvre sur le terrain, qui observe et recueille des données qualitatives avec une grille de contrôle et celle du chercheur qui ajuste son agir en fonction des données recueillies en classe ou dans les travaux des étudiants. Les réactions, les questions et les commentaires des étudiants seront consignés dans le journal de l’enseignant, mais également enregistrés par des captations audios qui permettront d’en faire l’analyse.

L’expérimentation proprement dite consiste à proposer un ensemble d’ateliers et d’outils permettant de s’approprier les compétences nécessaires pour la production de TO convaincant. C’est à cette étape que sera décidée la première série d’ajustements à apporter à la séquence; ces derniers dépendront des invariants constatés durant cette phase. Les modifications seront des tâches nouvelles, des modifications aux tâches ou aux thèmes proposés.

4e phase : l’analyse à postériori et la validation

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Cette phase est le moment de l’analyse des données recueillies après l’expérimentation. L’objectif de cette étape est de repérer les améliorations des performances argumentatives et les distorsions. Les outils d’analyse et les critères d’évaluation étant identiques à ceux de l’analyse préalable, il devient possible de mesurer les progrès réalisés suite aux enseignements prodigués et de les comparer à ceux du prétest. C’est une étape où nous évaluons certes les apprentissages, mais c’est aussi un moment où l’on peut mesurer la pertinence des objectifs et des enseignements. En combinant les résultats du posttest aux différentes données relatives au déroulement de la séquence didactique, le chercheur peut conclure à la pertinence de certains choix et aussi à l’insuffisance ou même l’inadéquation de certains autres.

Pour conclure cette brève présentation, il faut ajouter que la force de l’ingénierie didactique comme méthode de recherche réside dans la cohérence de sa démarche euristique, mais aussi dans la convergence d’un réseau de concepts vers le même paradigme théorique. Notre SD se déroulera donc conformément au schéma de l’ingénierie didactique en procédant par l’analyse préalable, l’élaboration des situations didactiques et l’analyse à priori, puis l’expérimentation et l’analyse à postériori. La confrontation des résultats de l’analyse préalable et de l’analyse à postériori sera le moyen pour évaluer l’efficience des activités de la séquence et d’apporter éventuellement les ajustements nécessaires. C’est une voie pour faire traverser à la didactique les lignes des modélisations théoriques, des vœux ou des recommandations vers le développement d’outils didactiques novateurs soumis à un schéma expérimental au mode de validation interne.