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4.2.1 Description

Faisons ici un petit rappel. Comme pour toute simulation informatique, le processus exp´e- rimental li´e `a l’´elaboration d’une simulation multi-agents passe grossi`erement par trois phases : 1. l’´elaboration du mod`ele : durant cette phase, il s’agit de sp´ecifier un mod`ele ´elabor´e `a

partir du syst`eme source consid´er´e.

2. ex´ecution du mod`ele : les sp´ecifications du mod`ele sont ici impl´ement´ees dans des struc- tures informatiques concr`etes qui sont ex´ecut´ees de mani`ere `a obtenir le comportement du mod`ele.

3. les r´esultats obtenus sont alors analys´es. Ceci peut amener `a une r´evision du mod`ele (phase 1), en cas de non validation, ou `a l’interpr´etation et `a l’exploitation des r´esultats. Lorsque les sp´ecifications d’un mod`ele multi-agents sont insuffisamment pr´ecises du point de vue de leur impl´ementation, la deuxi`eme phase de ce processus peut par cons´equent engen- drer un probl`eme qui est li´e `a cette impr´ecision : ce mˆeme mod`ele peut ˆetre impl´ement´e de plusieurs mani`eres diff´erentes et donner des r´esultats contradictoires suivant l’interpr´etation que fait le programmeur du mod`ele. Ainsi, la relation de simulation n’est pas v´erifi´ee. Ce ph´e- nom`ene, la divergence impl´ementatoire, remet donc en cause les interpr´etations des r´esultats et la validit´e de l’exp´erience. La figure4.2illustre cette probl´ematique.

Il est important de distinguer ce ph´enom`ene, qui concerne une faiblesse au niveau de la sp´ecification de l’impl´ementation, de la divergence d’un mod`ele du fait de caract´eristiques qui lui sont propres. Par exemple, un syst`eme chaotique diverge fortement `a chaque fois qu’il

4.2 Le ph´enom`ene de divergence impl´ementatoire 81 Modèle Implémentation 1 Implémentation 2 Résultats 1 Simulateur 1 Simulateur 2 Résultats 2 Exécution Exécution

Fig. 4.2 – Le ph´enom`ene de divergence impl´ementatoire.

est ex´ecut´e avec de nouveaux param`etres initiaux, mˆeme si les changements sont minimes2. Ici, nous ne faisons pas r´ef´erence `a cela. Notre objectif est d’attirer l’attention du lecteur sur le fait que le manque de sp´ecifications d’un mod`ele rend l’impl´ementation du simulateur sujet `a interpr´etation et donc non neutre vis-`a-vis des r´esultats obtenus du fait des biais potentiellement introduits. Ce qui peut avoir des r´epercussions importantes sur les r´esultats obtenus suivant les diff´erentes impl´ementations qui sont possibles pour le simulateur.

A cela s’ajoute encore une fois le fait que l’impl´ementation d’une simulation multi-agents est une tˆache excessivement complexe qui comporte de tr`es nombreux param`etres dans cha- cun des modules que nous avons d´efinis. C’est pourquoi, ce ne sont pas seulement deux ou trois impl´ementations qui peuvent ˆetre r´ealis´ees `a partir d’une sp´ecification incompl`ete, mais beaucoup plus. Et ce, avec des r´esultats `a chaque fois diff´erents des pr´ec´edents du fait de la complexit´e des syst`emes consid´er´es. Cette potentialit´e `a impl´ementer de nombreuses ver- sions d’un mod`ele de simulation multi-agents, et les divergences qui en d´ecoulent, ont ´et´e ´etudi´ees dans des travaux comme [Huberman & Glance, 1993, Magnin, 1996, Axtell, 2000a,

Lawson & Park, 2000,Michel, 2000,Meurisse & Vanbergue, 2001]. Comme nous allons main- tenant le voir, il est donc naturel que l’une des cons´equences directes du ph´enom`ene de diver- gence impl´ementatoire repose sur la difficult´e de reproduire les exp´eriences de simulation qui ont ´et´e men´ees ant´erieurement.

4.2.2 Illustrations du ph´enom`ene Difficult´es de r´epliquer les exp´eriences

Plus g´en´eralement, la divergence impl´ementatoire s’illustre donc dans la difficult´e que nous avons `a aligner et `a r´epliquer les mod`eles multi-agents qui sont propos´es dans la litt´erature. Par exemple dans [Rouchier, 2003], Rouchier n’a pas ´et´e en mesure de reproduire les r´esultats du mod`ele propos´e par [Duffy, 2001]. Et ce, mˆeme apr`es s’ˆetre assur´ee aupr`es de l’auteur du mod`ele lui-mˆeme que les choix d’impl´ementation de la nouvelle version correspondaient `a la 2Par exemple, la modification de la graine (seed ) utilis´ee pour initialiser le g´en´erateur de nombres pseudo

logique premi`ere du mod`ele. Ce qui l’a amen´ee `a critiquer la validit´e du mod`ele initial mais surtout, et c’est le plus important, la mani`ere dont celui-ci ´etait expos´e dans l’article r´ef´erence. Autrement dit, les sp´ecifications du mod`ele ´etaient trop pauvres pour pouvoir correctement r´epliquer l’exp´erience. Axelrod a fait `a ce propos une remarque pertinente : la publication d’articles n’est certainement pas la meilleure m´ethode pour partager les r´esultats d’une simu- lation3 [Axelrod, 1997]. Axelrod identifie principalement trois raisons `a cela. Premi`erement, les mod`eles consid´er´es sont le plus souvent tr`es complexes et le d´etail de leur dynamique n’est g´en´eralement pas donn´e de fa¸con exhaustive pour des raisons de clart´e et/ou de place. Deuxi`e- mement, l’analyse des r´esultats est souvent exprim´ee sous une forme narrative qui ne fait pas apparaˆıtre tous les d´etails techniques qui permettraient de juger de sa validit´e. Enfin, de nom- breux articles utilisent des raccourcis terminologiques susceptibles de tromper une audience interdisciplinaire.

L’exp´erience de Edmonds et Hales (2003)

Pour illustrer ces diff´erentes id´ees, on peut s’attarder quelques instants sur la tr`es int´e- ressante ´etude qui a ´et´e men´ee par Edmonds et Hales dans [Edmonds & Hales, 2003]. Dans cette exp´erience, le mod`ele de [Riolo et al. , 2001], tir´e de la revue Nature, a ´et´e r´eimpl´ement´e ind´ependamment par les deux auteurs. Sans se concerter lors de la phase d’impl´ementation, ceux-ci ont obtenu des r´esultats assez proches l’un de l’autre mais significativement diff´e- rents de l’exp´erience originale. Tir´ee de [Edmonds & Hales, 2003], la figure 4.3sch´ematise le processus exp´erimental qui correspond `a la d´emarche qui a ´et´e suivie par ces deux auteurs :

~

Fig. 4.3 – Une exp´erience de r´eplication par [Edmonds & Hales, 2003]. 3

Le texte original se place dans le contexte de la simulation des syst`emes sociaux mais nous pensons que le point de vue d’Axelrod est tout `a fait g´en´eralisable aux autres domaines abord´es par la simulation multi-agents.

4.2 Le ph´enom`ene de divergence impl´ementatoire 83

A cette divergence, les auteurs voient trois raisons possibles :

– l’impl´ementation utilis´ee pour obtenir les r´esultats publi´es ne correspond pas au mod`ele d´ecrit dans l’article original (la relation de simulation n’a pas ´et´e v´erifi´ee).

– certains aspects du mod`ele n’ont pas ´et´e clairement ´enonc´es dans la publication. – les deux nouvelles versions du mod`ele ont ´et´e, ind´ependamment, incorrectement im-

pl´ement´ees. De la mˆeme fa¸con qui plus est : les deux nouvelles impl´ementations ont apparemment fait la mˆeme erreur.

Comme le souligne Edmonds et Hales, les deux derniers points sont bien sˆur fortement li´es : le deuxi`eme entraˆıne le troisi`eme. Pour trouver la v´eritable origine de la divergence des r´esultats, les auteurs ont alors impl´ement´e plusieurs algorithmes diff´erents pour un point o`u le mod`ele restait flou quant `a la m´ethode utilis´ee pour comparer le score de deux agents4. Ainsi, apr`es avoir introduit ce qu’ils consid´eraient comme un biais de simulation, ils finirent par obtenir des r´esultats ´equivalents `a ceux qui avaient ´et´e publi´es. Ensuite, les diff´erentes impl´ementations obtenues leur ont permis de tester la robustesse des diff´erents r´esultats et de mettre en ´evidence le caract`ere biais´e des conclusions qui avaient ´et´e publi´ees. Ce qui les a aussi amen´es `a reformuler le mod`ele original pour que celui-ci soit plus explicite. Voici quelques-unes des conclusions que Edmonds et Hales tirent de cette exp´erience :

– il devrait exister une norme quant `a la publication de r´esultats obtenus par simulation. La description du mod`ele doit ˆetre suffisante pour permettre sa r´eplication par d’autres personnes (on retrouve ici le point de vue d’Axelrod).

– dans le cas o`u le mod`ele ne peut pas ˆetre ´etudi´e par une analyse formelle, la simulation doit ˆetre r´epliqu´ee par diff´erentes personnes (si possible avec diff´erentes plates-formes). Cela peut en effet permettre de mettre en ´evidence les points o`u la description du mod`ele est ambigu¨e. Sans cela, les r´esultats ne peuvent pas ˆetre interpr´et´es avec confiance. Cette analyse montre clairement que le probl`eme principal est bien celui de la v´erification des sp´ecifications d’impl´ementation. Elle d´emontre par ailleurs l’int´erˆet qu’il y a `a effectuer une ou plusieurs r´eplications ind´ependantes du contexte originel. D’une part, cela permet de mettre au jour les faiblesses des sp´ecifications propos´ees. D’autre part, cela permet d’avoir de nouveaux (souvent les premiers) points de comparaison auxquels les r´esultats de l’exp´erience originale peuvent ˆetre confront´es. Ce qui est souvent plus r´ev´elateur que lorsque le mod`ele est explor´e par une seule ´equipe. Ainsi, lorsque cela est possible du point de vue des ressources humaines, la r´eplication ind´ependante est incontestablement un plus. D’ailleurs, elle fait partie des m´ethodes de validation pr´econis´ees dans les contextes classiques [Balci, 1998], bien que tr`es peu utilis´ee dans les faits [Arthur & Nance, 2000]. Nous montrerons dans ce chapitre dans quelle mesure cette id´ee a guid´e le d´eveloppement des outils de conception de simulateur multi-agents que nous pr´esenterons.

4.2.3 Pas de solution ´evidente

Les travaux que nous venons de citer dans les sections pr´ec´edentes sont autant d’exemples qui montrent que la divergence impl´ementatoire est un probl`eme fondamental qui soul`eve la question de la validit´e des simulations multi-agents. C’est pourquoi, diminuer ce ph´enom`ene autant que possible est un v´eritable d´efi et constitue un enjeu capital pour la communaut´e multi-agents : cela doit faciliter le partage des r´esultats et augmenter la cr´edibilit´e de ce processus exp´erimental.

4

Dans cette simulation, les agents poss`edent des variables quantitatives, des tags, mod´elisant des caract´e- ristiques sociales qui sont compar´ees pour d´eterminer la similarit´e potentielle de deux agents.

Rappelons ici encore une fois la principale cause qui engendre le ph´enom`ene de divergence impl´ementatoire. Les sp´ecifications d’impl´ementation qui d´ecrivent la dynamique du syst`eme sont souvent insuffisantes, que cela soit dans le mod`ele original et/ou dans la publication correspondante. Son impl´ementation est alors ambigu¨e et la relation de simulation ne peut pas ˆetre v´erifi´ee.

Partant de l`a, la solution `a cette probl´ematique semble toute trouv´ee : il suffit a priori d’utiliser des sp´ecifications d’impl´ementation suffisamment puissantes pour que toutes les am- bigu¨ıt´es de programmation du mod`ele puissent ˆetre lev´ees, mˆeme `a partir d’un mod`ele d´ecrit par le langage naturel. Si de plus, un tel formalisme a le bon goˆut d’ˆetre applicable `a l’ensemble des mod`eles multi-agents qui peuvent exister, si tant est que cela soit possible, alors le tour est jou´e. Un des objectifs de ce document est d’apporter une pierre `a cet ´edifice. Cependant, l’ac- complissement de ce but ne saurait ˆetre novateur si l’on s’arrˆete sur une analyse aussi simpliste de la situation. Plaider l’utilisation de formalismes rigoureux revient ´evidemment `a enfoncer une porte ouverte dans la mesure o`u la majorit´e des mod´elisateurs sont bien sˆur conscients de leurs bienfaits. De plus, mˆeme s’ils constituent des approches particuli`eres et difficiles `a appr´ehender, il existe bien sˆur quelques travaux bas´es sur des formalismes qui permettent une impl´ementation non ambigu¨e, notamment les travaux qui tournent autour de l’utilisation du formalisme DEVS par exemple ([Uhrmacher, 2001b,Barros, 1997,Duboz, 2004]). Et bien que la majorit´e des mod`eles multi-agents propos´es n’utilisent pas des sp´ecifications satisfaisantes, les travaux que nous avons pr´esent´es dans la section pr´ec´edente prouvent qu’il existe une prise de conscience de ces ph´enom`enes de divergence et que le probl`eme est connu.

En fait, comme nous l’ont encore rappel´e Edmonds et Hales, les mod`eles multi-agents actuels se prˆetent difficilement `a une analyse formelle. C’est pourquoi il nous semble ici encore plus int´eressant de chercher `a savoir pourquoi les sp´ecifications de ces mod`eles sont si difficiles `

a exprimer et si souvent impr´ecises. Attribuer cette lacune `a un simple manque de rigueur ne serait bien sˆur ni constructif, ni r´ealiste. Autrement dit, nous allons essayer d’identifier quelques-unes des raisons pour lesquelles les impl´ementations des simulations multi-agents sont si difficiles `a sp´ecifier. Nous allons donc nous int´eresser aux causes de la cause du ph´enom`ene.