Chapitre 2 L’absence d’intervention de la dimension sociale dans l’étude des usages
2.2. Le champ du Management des Systèmes d’Informations (MSI)
2.2.1. Des modèles d’acceptabilité dans lesquels les variables sociales ne sont ni envisagées ni
2.2.1.4. Le modèle d’acceptation des technologies, TAM (Davis, 1989)
Davis et collaborateurs (1989 ; Davis, Bagozzi et Warshaw, 1989) ont proposé le modèle de
l’acceptation des technologies (TAM), modèle qui, selon Shin (2009), fait partie de ceux les plus
utilisés pour étudier l’utilisation des technologies à un niveau individuel. Le TAM a été élaboré
pour répondre à deux questions. La première tient en une interrogation sur les raisons pour
lesquelles les utilisateurs acceptent ou rejettent une technologie de l’information. La seconde
renvoie à une interrogation sur la manière dont les caractéristiques d’un système technologique
impactent ou pas l’acceptation de l’utilisateur. Par conséquent, l’objectif du modèle TAM (Davis,
1989) est d’expliquer et prédire, à partir d’un bref diagnostic, les freins éventuellement liés à
l’utilisation ou au comportement d’utilisation futur qu’un utilisateur peut avoir suite à une (ou
plusieurs) brève(s) interaction(s) avec une technologie (Deng, Doll, Hendrickson et Scazzero,
2005)
31. Ce diagnostic se base sur deux présupposés. Primo, l'usage d’une technologie donnée est
volontaire ou à discrétion des utilisateurs eux-mêmes (Yen, Wu, Cheng et Huang, 2010).
Secundo, les caractéristiques d’une technologie (sur lesquelles le modèle ne s’attarde pas) ont un
effet sur les mesures subjectives, i.e. perceptions correspondantes aux croyances et attitudes de
l’utilisateur. Le choix des mesures diagnostiques constitutives du modèle TAM (Davis, 1986)
relève de la conjonction entre la théorie de l’action raisonnée (Ajzen et Fisbein, 1980)
32, le
paradigme « coût-bénéfice », et une perspective motivationnelle basée sur la distinction
motivation extrinsèque versus intrinsèque. C’est en conjuguant ces éléments théoriques que Davis
(1989) a construit le TAM à partir de quatre composants : l’utilité perçue, la facilité d’utilisation
31 Cependant, l’exposition à la technologie n’est pas systématique dans 21 études empiriques relevées par Deng, et al. (2005).
32
perçue, l’intention comportementale et le comportement d’utilisation du système (cf. Figure 8,
ci-dessous).
La spécificité et la simplicité du TAM relève de l’hypothèse selon laquelle l’utilité perçue
et la facilité d’usage perçue sont deux croyances clés dans la prédiction de l’intention
d’utilisation. Ces deux croyances sont supposées et démontrées indépendantes (Larker et Lessig
1980, Hauser et Slugan, 1980, et Swanson, 1987 dans Davis, 1989). De là, l’utilité perçue
correspond à l’intensité de la croyance exprimée par un individu vis-à-vis du potentiel bénéfice de
l’utilisation de la technologie en termes d’amélioration de sa performance, dans un contexte
professionnel ou organisationnel. Puis, la facilité d’usage perçue renvoie à l’intensité de la
croyance de l’utilisateur vis-à-vis du fait que l’utilisation de la technologie requiert peu ou pas
d’effort. Ces deux croyances affectent l’attitude envers l’utilisation de la technologie, qui affecte
à son tour l’intention d’utilisation. Cette dernière prédit finalement l’utilisation effective du
système. Cependant, même si le TAM est issu de la TAR, il perd la trace de cette filiation, à partir
du moment où, après avoir identifié quelques limites au modèle original, Davis (1989) en exclu
l’attitude
33.
Selon Legris, Ingham et Collerette (2003), Hu, Chau, Sheng et Tam (1999) et Venkatesh
et Bala (2008), le TAM prédit environ 40% de la variance de l’intention d’utilisation de la
technologie ou de l’utilisation de la technologie. Ce modèle a fait l’objet de nombreuses
méta-analyses (e.g. Deng, Doll, Hendrickson et Scazzero, 2005 ; Dishaw et Strong, 1999 ; King et He,
2006 ; Lee, Kozar et Larsen, 2003 ; Legris, Ingham et Collerette, 2003 ; Thompson, Higgins et
Howell, 1991 ; Shepers et Wetzels, 2007). En dépit du fait que le TAM soit issu de la TAR, Davis
et collaborateurs (voir Malhotra et Galletta, 1999 ; Shepers et Wetzels, 2007 pour revue) ont fait
33
D’aileurs, Lederer, Maupin, Sena et Zhuang (2000) mentionnent que, par rapport à la version originale, de nombreuses recherches ignorent l’intention ou l’attitude et étudient directement l’effet de la facilité d’usage perçu et de l’utilité perçue sur le comportement d’usage (Adams, Nelson et Todd, 1992 ; Gefen et Straub, 1997 ; Igbaria, Guimaraes et Davis, 1995 ; Straub, Limayem et Karahanna-Evaristo, 1995 ; Teo, Lim et Lai, 1999).
le choix dans la construction du TAM de ne pas considérer la dimension sociale de la TAR
(correspondant aux normes subjectives), en vue de prédire l’intention d’utilisation. Ce choix est
motivé en raison du fait que les normes subjectives sont supposées correspondre à une dimension
dont l’effet est négligeable (Davis, 1989), fluctuant (Mathieson, 1991) ou inexistant (Taylor et
Todd, 1995) dans la prédiction de l’intention d’utilisationla technologie
34.
En réaction au rejet des normes subjectives dans le modèle TAM, Schepers et Wetzels
(2007) insistent sur la prévalence des normes subjectives dans la prédiction de l’utilisation d’une
technologie. En effet, les normes subjectives correspondent à la seule composante qui, selon eux,
illustrerait l’influence du contexte social d’usage dans la perception par l’individu d’un objet
physique inchangé (Roberstson, 1989). En ce sens, plusieurs auteurs vont s’attaquer aux
conditions de l’efficacité de la dimension sociale dans le TAM (Karahanna et Limayem, 2000 ;
Venkatesh et Morris, 2000 ; Venkatesh et Davis, 2000). Barki et Hartwick (1994) vont, par
exemple, montrer que les normes subjectives ont un rôle déterminant lors de l’implantation et du
développement d’une technologie. Taylor et Todd (1995) montrent, par ailleurs, que les normes
subjectives sont le meilleur prédicteur de l’intention pour les sujets inexpérimentés. Venkatesh et
Davis (2000) mettent en évidence que les normes subjectives affectent de manière significative
l’intention d’utilisation dans un contexte d’usage obligatoire même si leur effet s’affaiblit avec le
temps. Toujours dans le cadre des conditions améliorant ou modifiant l’effet de la dimension
sociale, Schepers et Wetzels (2007) montrent que les normes subjectives ont un effet plus
important sur l’intention d’utilisation dans les sociétés occidentales. D’autres études montrent un
effet inverse, c'est-à-dire que les normes subjectives ont un effet significatif sur l’intention
d’utilisation dans des cultures orientales (Choi et Geustfeld, 2004 ; Lee et Green, 1991). Sur ce
point, Staub, Keil et Brenner (1997) et McCoy, Everard et Jones (2005) défendent l’idée que le
TAM ne s’ajuste pas lorsqu’il est testé en dehors d’une culture occidentale. Finalement, face à la
variabilité des circonstances conduisant à l’effet des normes subjectives sur l’intention
d’utilisation, Venkatesch et Davis (2000) et Davis et al. (1989) s’interrogent sur la pertinence
« d’investiguer les conditions et les mécanismes qui gouvernent l’impact de l’influence sociale
sur le comportement d’usage » (Venkatesch et Davis, 2000, p. 187). C’est alors l’option qu’ils
embrassent par la proposition d’un modèle révisé, le TAM2, que nous allons présenter dans le
chapitre suivant.
34
Ainsi Davis (1989) argumente que l’effet des normes subjectives correspond aux cas où l’individu choisit de réaliser le comportement, même s’il n’est pas favorable à sa réalisation et à ses conséquences. Dans ces cas-là, seulement, ce sont à la fois les croyances de l’individu relatives à quelques référents importants pensant qu’il devrait réaliser le comportement, et s’il est suffisamment motivé à se soumettre à ces quelques référents importants, qui expliquent l’intention comportementale.