Chapitre 4 Dimension sociale et effet contingent dans l’étude du comportement
4.1. Les normes subjectives constitutives de la prédiction du comportement
4.1.2. La Théorie du Comportement Planifié, TCP (Ajzen, 1991)
Dans la Théorie du Comportement Planifié, Ajzen introduit une composante intermédiaire
nouvelle correspondant à la perception de contrôle ressentie par le sujet à propos de son propre
comportement. De fait, la TCP reconnait que les gens peuvent ne pas toujours avoir suffisamment
de contrôle pour réaliser l’action (Sheeran, 2002).
L’objectif de la TCP, ayant inclut la perception de contrôle dans la réalisation
comportementale, est de prédire et d’expliquer le comportement de l’individu à la fois pour les
comportements volontaires et non volontaires (Conner et Armitage, 1998). La TCP suppose
expliquer le processus menant au comportement à partir d’un nombre limité de facteurs. « Les
intentions sont supposées capturer les facteurs motivationnels qui influencent le comportement,
elles sont une indication de ce que les gens veulent faire et les efforts qu’ils sont prêt à faire, pour
réaliser le comportement » (Ajzen, 1991, p.181). Dans la TCP, l’intention est le pivot entre une
suite causale partant d’un côté des croyances comportementales, normatives et de contrôle, et de
l’autre du comportement effectif.
La TCP présente deux caractéristiques importantes :
1. Le contrôle comportemental perçu a des implications motivationnelles sur
l’intention (Madden, Ellen, et Ajzen 1992).
2. Il y a une possibilité de lien direct entre le contrôle comportemental perçu et le
comportement. Le contrôle comportemental perçu peut influencer le
comportement de manière indirecte, via l’intention comportementale, mais
également de manière directe. Dans le cas d’une influence directe, le contrôle
comportemental perçu reflète le contrôle réel de la personne sur le comportement
envisagé, ainsi il prend en compte les contraintes effectives exercées sur
l’individu.
Deux conditions doivent être remplies pour que le contrôle
comportemental perçu influence le comportement :
a) Le comportement ne doit pas être sous contrôle volontaire.
b) La perception de contrôle doit être réaliste.
Finalement, l’intention comportementale et le contrôle comportemental perçu prédisent de
concert le comportement. L’attitude, les normes subjectives et le contrôle comportemental perçu
sont les composantes explicatives de l’intention comportementale (cf. Figure 14, ci-après).
Tout comme dans la TAR, la TCP s’inscrit dans le champ de la cognition sociale. Dans ce
cadre, pour la TCP : attitude, normes subjectives et contrôle comportemental perçu sont
respectivement des résumés évaluatifs des croyances : comportementales, normatives et de
contrôle (Chauvin, Letirand et Delhomme, 2007).
L’attitude est dépendante des croyances saillantes associées à l’objet d’attitude et des
évaluations de celles-ci. Les croyances font le pont entre l’objet tel qu’il est et les propriétés de
cet objet. L’attitude correspond alors à l’évaluation favorable ou défavorable de l’individu envers
la réalisation ou non du comportement (Ajzen et Fishbein, 1980). Dans le cadre du modèle
générique de la valeur de l’attente
64, l’attitude envers la réalisation du comportement est
dépendante des croyances saillantes qui peuvent être soit liées à l’attitude envers l’objet
65, soit
liées à l’attitude envers le comportement
66. Dans les deux cas, les croyances portent sur les
conséquences du comportement (e.g. faire du jogging est un moyen pour se maintenir en forme)
et la valeur subjective accordée à ces mêmes conséquences, c'est-à-dire leur évaluation (e.g. se
maintenir en forme est important pour la santé). L’attitude envers l’objet (Ao est « jogging »), et
l’attitude envers le comportement (Ab est « faire du jogging »), sont différenciées par Ajzen et
Fishbein, (1977), les auteurs ont effectivement montré que l’attitude envers le comportement est
64
Expectancy-value models (voir Vallerand, 1994)
65 L’attitude envers l’objetréfère à l’évaluation affective d’une personne sur un objet spécifique d’attitude.
66L’attitude envers le comportement réfère à l’évaluation d’une personne sur un comportement spécifique impliquant un objet. Figure 14 La théorie du comportement planifié, TCP (d'après Ajzen, 1991)
plus prédictive d’un comportement spécifique. Par exemple, un individu peut croire que faire du
jogging est un moyen de se maintenir en forme (probabilité très élevée) et associer cette croyance
à des affects très positifs. Notre individu manifestera alors une attitude très positive vis-à-vis de
l’objet : « jogging ». En général, plus le nombre de croyances associées liées à des affects positifs
est élevé et moins il y a de croyances associées liées à des affects négatifs. L’attitude en sera
finalement d’autant plus favorable envers l’objet. Dès lors, lorsque l’individu a la possibilité de
réaliser une action, il détient à son encontre plusieurs croyances et identifie les conséquences
qu’elles peuvent engendrer. Chacune de ces croyances est associée à une évaluation. Par
conséquent, ce sera la somme de toutes ces croyances multipliées par leurs évaluations
respectives qui forme l’attitude envers la réalisation du comportement. Plus directement,
l’attitude correspond à une évaluation positive ou négative de la réalisation d’un comportement
particulier. Toutefois, l’attitude n’est pas le seul prédicteur comportementale, Ajzen et Fishbein,
(1975) tiennent également compte des normes subjectives.
Les normes subjectives correspondent au respect que l’individu accorde aux
recommandations des personnes importantes pour lui. Elles correspondaient originellement aux
normes prescriptives (Fishbein, 2000), c'est-à-dire à la pression sociale à laquelle l’individu se
soumet lors de la réalisation d’un comportement. Globalement, les normes subjectives renvoient à
la pression sociale exercée sur le comportement, elles sont déterminées à la fois par les croyances
normatives et par la motivation à se soumettre. Les croyances normatives se rapportent aux
croyances de l’individu sur ce qu’il connait des opinions qu’autrui porte à son égard à propos de
sa réalisation comportementale. La motivation à se soumettre relève de la volonté manifestée par
l’individu d’être en conformité avec l’avis de référents. Ce sera alors le produit des croyances
normatives par la motivation à se soumettre qui constitue la mesure indirecte des normes
subjectives. Elles peuvent être mesurée plus directement au regard du degré d’approbation sociale
du comportement, dans la mesure où ce comportement serait réalisé par l’individu et que ce
dernier ait sollicité ou reçu l’avis de référents. Dans la TCP, attitude et normes subjectives sont
complétées par le contrôle comportemental perçu.
Le contrôle comportemental perçu correspond à la facilité ou la difficulté perçue lors de la
réalisation d’un comportement, il reflète tout aussi bien l’expérience passée, les obstacles ou
l’anticipation des obstacles (Ajzen, 1987). En effet, selon Sheeran (2002) il parait impossible que
les comportements ne soient pas déterminés par un certain niveau de contrôle. D’après Ajzen
(1988) le concept de contrôle comportemental perçu est très proche du concept d’auto-efficacité,
pour autant ces deux concepts ne sont pas considéré se chevaucher (Ajzen, 2002 ; Manstead et
Van Eekelen, 1998). Le contrôle comportemental perçu relèverait finalement à la fois de la
difficulté perçue et du contrôle perçu (Godin, Gagné et Sheeran, 2004). Le contrôle
comportemental perçu renvoie alors à deux catégories de croyances. La première catégorie
correspond à la perception de contrôle comportemental, autrement dit, il s’agit d’aspects qui
facilitent ou inhibent
67l’apparition du comportement. La seconde catégorie de croyance
correspond à la probabilité d’apparition associée à ces éléments facilitateurs ou inhibiteurs.
Globalement, le contrôle comportemental perçu réfère à l’évaluation du degré de facilité ou de
difficulté lié à la réalisation du comportement. À côté du CCP, selon Manstead et Van Eekelen,
(1998) l’auto-efficacité reflèterait des facteurs qui proviennent de l’individu (sa capacité ou sa
motivation). Finalement, le contrôle comportemental perçu est un facteur très discuté dans les
études sur la TCP au niveau de sa mesure (auto-efficacité, facilité ou difficulté perçue, capacité
versus autonomie, contrôle interne versus externe, pour revue voir Fishbein et Ajzen, 2010). De
plus, Armitage et Conner (2001) avancent depuis Ajzen (1991) que l’effet du contrôle
comportemental perçu sur l’intention comportementaleest dépendant du type de comportement et
de la nature de la situation. En général, les individus seraient plus disposés à réaliser des
comportements qu’ils croient atteignable que ceux qui ne le sont pas (Bandura, 1977, 1997,
2003). En ce sens, le contrôle comportemental perçu est supposé avoir un effet direct et un effet
interactif (avec l’intention comportementale) sur le comportement.
Dans le cadre de la TCP, l’ensemble de ces composantes sont associées de sorte à ce que
la théorie puisse satisfaire à un certain niveau d’efficacité. Aussi, un premier critère pour attester
de l’efficacité de la TCP est la part de de l’intention comportementale et du comportement
expliquée. Ainsi, l’intention comportementale et le contrôle comportemental perçu expliquent
entre 28 % et 34 % de la variance du comportement dans des études prospectives (Armitage et
Conner, 2001 ; Godin et Kok, 1996 ; Sheppard, Hartwick et Warshaw, 1988 ; Trafimov, Sheeran,
Conner et Finlay, 2002). Plus avant, comme en attestent de nombreuses méta-analyses, l’attitude,
les normes subjectives et le contrôle comportemental expliquent généralement entre 39 % et 42 %
de la variance de l’intention comportementale(Armitage et Conner, 2001 ; Conner et Armitage,
1998 ; Godin et Kok, 1996 ; Sheeran, 2002 ; Sheeran et Taylor, 1999 ; Albarracin et al., 2001 ;
Hagger et al., 2002 ; Hausseblas et al., 1997 ; Notani, 1998).
Un second critère de validation de la TCP est le succès avec lequel il a été appliqué à un
nombre conséquent de comportements différents (Ajzen, 1988, 1991 ; Fishbein et Ajzen 2010 ;
Gondin et Kok, 1996). D’ailleurs, Fishbein et Ajzen (2010) introduisent leur ouvrage par une
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Selon un continuum allant d’un côté des comportements qui requièrent une grande facilité d’exécution comportementale et de l’autre côté des comportements qui requièrent beaucoup de ressources, de prises d’opportunités et de mobilisation de compétences spécifiques.