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Le développement des législations de l’ offset

Conclusion du chapitre 1

Section 2 : L e rôle stratégique et politique de l’ offset

2.1. Le développement des législations de l’ offset

On peut appréhender l’importance de l’offset en dénombrant les pays qui possèdent une législation à son sujet. Les cadres législatifs et réglementaires ne fournissent d’indice ni sur le volume ou le nombre de transactions d’offset ni sur leur évolution. Ils indiquent toutefois indirectement l’importance que leur accordent les États.

Aujourd’hui, quatre-vingt-deux pays se sont dotés d’une législation ou d’une réglementation

officielle dans le domaine définissant les secteurs concernés, les taux des obligations, les

objectifs poursuivis par le truchement de cette pratique… et plus de cent-vingt pays ont une forme (explicite ou implicite) de programme d’offset, façonné selon leurs exigences et leurs besoins propres (DOD, 2010; Martin, 1996; Offset Program Bureau, 2012; Service public fédéral Économie de Belgique, 2008).

Les exigences nationales et les conditions de mises en œuvre de ces programmes sont par

définition très différentes d’un pays à l’autre (BIS, 2013a; DOD, 2010; Matthews, 2004; Service public fédéral Économie de Belgique, 2008). Certains pays optent pour une directive officielle en matière d’offsets qui suppose des obligations contractuelles fixes à partir d’un certain montant d’achat gouvernemental. Elle détermine des objectifs à atteindre et, à l’inverse, des pénalités de non-performance. C’est le cas de l’Afrique du Sud, de la Corée du

Sud, de la Norvège, par exemple (Matthews, 2004, p.91). D’autres pays choisissent un

encadrement moins strict, où les exigences de contreparties sont négociées au cas par cas selon la nature des produits achetés et le profil du soumissionnaire. Ces pays mènent une politique tacite d’offset dans la mesure où les soumissionnaires sont invités à proposer des projets de contreparties par eux-mêmes. Ils décident aussi du montant et choisissent les entreprises qui en bénéficieront dans le pays hôte (Beaufort, 2011; Taylor, 2003). Dans ce cas,

82 on adresse rarement une pénalité de non-performance à l’obligataire s’il ne remplit pas complètement l’objectif fixé sur la période choisie. Cela correspond au mode de

fonctionnement de la Grande-Bretagne, des Émirats Arabes Unis, du Japon, de l’Espagne, de l’Italie, de la Nouvelle-Zélande, du Pakistan (Matthews, 2004; Service public fédéral Économie de Belgique, 2008).

Figure 8 : Pays dotés d'une réglementation officielle portant sur les offsets

Source: ECCO (2011) Comme le montre la Figure 8, presque toutes les régions du monde ont recours aux politiques

d’offset. Leur absence dans les pays de l’Afrique sub-saharienne73 s’explique probablement

par la situation sécuritaire interne de ces dernières. Les pays victimes de conflits (internes ou

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On pourrait envisager, par exemple, un accord d’offset fondé sur des contreparties en ressources naturelles en échange d’importations d’armes.

83 externes74) n’ont pas pu développer ce type de politiques pour deux raisons. D’abord, en cas d’instabilité politique, les gouvernements élus disposent d’une force réformatrice limitée en raison de la contrainte de popularité et leurs chances de réélection. Or, les offsets reposent sur une exigence de longue durée et ils nécessitent une gestion et des montages complexes (BIS, 2007; DOD, 2010; DTI, 2008a). Ils paraissent hors de portée des États « faibles », a fortiori « défaillants » comme la Centre-Afrique par exemple. Au-delà de la stabilité, les offsets

reposent également sur la continuité dans les fonctions de l’État. La légitimité de l’État doit

être suffisante pour négocier les offsets, veiller à leur exécution, et sanctionner tout manquement aux contrats si nécessaire. Il est aussi impératif que le pays dispose des

administrations bien organisées pour surveiller l’avancement opérationnel des projets. Or, sur la période allant de 1956 à 2001, les quarante-huit États de l’Afrique subsaharienne ont

enregistré : quatre-vingt coups d’État réussis, cent-huit coup d’État échoués et cent-trente-neuf tentatives présumées de coup d’État (McGowan, 2003). Parmi les pays qui ont engagé un processus de libéralisation politique, 21 ont connu un changement de régime issu de coup

d’État militaire (Thiriot, 2008).

En outre, la menace constante de la guerre entraîne également une urgence

d’approvisionnement en équipement militaire qui prend le pas sur la politique de

développement de l’appareil militaire. Ceci explique pourquoi les offsets restent occasionnels au Pakistan par exemple (Matthews, 2011). Les achats publics soumis à l’urgence peuvent

rendre les exigences d’offset sporadiques et aléatoires dans le domaine civil. Par exemple, à cause de la précipitation avec laquelle la Coupe de Monde de Football en 2010 a été préparée, le gouvernement sud-africain a fait abstraction des offsets portant sur le renouvellement du parc d’autobus.

Les obligations d’offset ne sont donc en aucun cas une pratique rare. La majorité des pays possède désormais une stratégie en la matière, que celle-ci soit formelle ou informelle, qu’elle soit axée uniquement sur l’acquisition des produits d’armement ou non.

74

En droit international humanitaire, ces deux formes de conflit sont appelé CANI (conflits armés non-internationaux) et CAI (conflits armés non-internationaux).

84

2.2. Les transactions d’offset en tant que pourcentage du contrat

primaire

On appelle pourcentage du contrat d’offset le rapport entre la valeur de l’offset exigée et celle

du contrat d’achat-vente. Plus simplement, on rapporte la valeur du contrat secondaire à celle du contrat primaire. Les données disponibles après 1980 mettent en évidence un ratio très élevé de contrat d’offset (BIS, 2007; Hadjiminas, 2004; Taborda, Conceiçao, & Felizardo, 2007; Taylor, 2003; Udaro, 2013). Par exemple, les entreprises américaines déclarent que les

exigences des pays européens en matière d’offsets adossés aux contrats d’armement ont augmenté d’environ 3,9 points de pourcentage sur la période 1993-2005. Les exigences des pays non-européens, quant à elle, ont progressé de 4,2 points de pourcentage. En Europe cette exigence est passée de 87,1% à 133,9%. Dans le reste du monde, ces exigences ont plus que doublé passant de 27,6% à 73,7% sur la même période (BIS, 2007, p. 56). Les évolutions les plus notables concernent des pays qui n’appartiennent pas à l’Union européenne. Dans ces

pays le taux d’offset demandé était historiquement faible, on observe actuellement une hausse

du pourcentage d’offset.

Entre 1993 et 2013, la tendance générale, des contrats d’offset dans le monde, sous forme de moyenne pondérée, avoisine 80% de contrat primaire (BIS, 2013a, p. 3). Ainsi, le pourcentage

de contrat d’offset se situe aujourd’hui fréquemment au-dessus de 100% pour les contrats

d’armement75 (BIS, 2007, 2013b). Le Tableau 2 présente les contrats d’offset en pourcentage du prix du contrat principal, classés par pays et par région, calculés à partir des données fournies par les firmes américaines sur la période 1993-2005. La colonne « % Offsets » fait apparaître la valeur moyenne des offsets en pourcentage du contrat sur la période de référence. « Country % » indique le pourcentage d’offset à exiger, fixé par les directives de chaque pays.

Comme l’indique ce rapport, la plupart des pays optent pour un pourcentage unique d’offset par rapport à la valeur du contrat initial et ce pourcentage varie très peu en fonction de

l’importance du contrat primaire (BIS, 2007, p. 40).

Ainsi, depuis 1998, les entreprises américaines sont confrontées à un nombre croissant

d’obligations d’offset d’une valeur supérieure ou égale à 100% de la valeur du contrat

primaire (BIS, 2007, p. 56). De plus, celles-ci se trouvent le plus souvent obligées d’accepter

des obligations de contreparties de 100% de la part de pays avec lesquels elles n’ont jamais

signé d’accords de ce type (idem).

75

85 Selon les prospectives des entreprises privées de consultation Avascent (2012) et Frost & Sullivan (2013), la hausse constante des exigences d’offset issues des contrats d’armement,

sera surtout soutenue par

d’importants programmes d’achats stratégiques de Défense

dans la région Asie-Pacifique (APAC), au Moyen-Orient et en

Afrique du Nord (MENA).

L’origine de cette course à l’armement est différente d’un

pays à l’autre, elle est motivée

par les tensions politiques au MENA. En Asie-Pacifique, la monté en puissance de la Chine impose un réajustement des

relations de pouvoir à l’échelle

régionale qui se traduit également par des orientations sécuritaires.

Ainsi, d’après Frost & Sullivan

(2013), les pays de la région

Asie-Pacifique tels que

l’Indonésie, la Corée du Sud et

Taïwan pourraient enregistrer,

dans le cadre de leurs

acquisitions d’armements, le taux

de croissance le plus élevé des

obligations d’offsets dans les années à venir. Néanmoins, le Moyen-Orient et plus précisément

l’Arabie Saoudite restent le premiers bénéficiaire de ce type de transactions car cette région est le premier importateur d’armes dans le monde avec « des acquisitions attendues valorisées à 110 milliards de dollars dans les dix ans à venir » (Le Figaro, 2015). Au total, les

obligations d’offset devraient dépasser les 62,63 milliards de dollars d’ici 2021 (Frost &

Sullivan, 2013).

Tableau 2 : La valeur des obligations d’offsets

demandées (en pourcentage du contrat principal)

Source : BIS (2007) avec N/A – non applicable ; N/R- n’a pas été

signalé ; W : non divulgué pour protéger les informations

86 Avascent propose une vision légèrement différente des dynamiques régionales supposées sur le court terme. Selon cette étude, les pays de la région MENA – et plus particulièrement

l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis – vont avoir le taux de croissance le plus élevé

en matière d’exigences de contrepartie. Leurs obligations cumulées entre 2005 et 2016 sont estimées à 156 milliards de dollars (Avascent, 2012, p. 4). Les deux études concordent

toutefois que dans les années à venir une forte croissance dans la demande d’offset sera enregistrée dans les pays en développement (Furter, 2014).

À l’instar des offsets du domaine militaire, les offsets versés dans le cadre des marchés publics

civils se multiplient bien qu’aucun organisme en charge de la veille du commerce

international ne soit capable de donner une estimation exacte de cette évolution. Par exemple,

lors d’un colloque international sur le thème de l’offset, un haut fonctionnaire de la Commission européenne déclare que les efforts mis en œuvre pour éliminer ces pratiques se sont soldés par un échec car les transactions « d’offsets continuent à croître » (Shanson, 2013 in Furter, 2014, p. 305). Un rapport de la Commission européenne met également en évidence que « [d]epuis le début de la crise économique en 2008, on observe que les obstacles prolifèrent dans des domaines dans lesquels les réglementations commerciales internationales restent plutôt faibles, notamment les marchés publics » (Commission européenne, 2012, p. 3). Pendant cette période, de nombreux pays ont eu recours à ce type de

mesures interventionnistes pour contrer l’effet négatif de la crise sur la demande.

Les mesures discriminatoires sur les marchés publics ne suscitent pas l’intérêt immédiat de la

communauté internationale car elles ne visent « qu’à être temporaires, en attendant la reprise

économique ». En période de crise ou de repli national, les marchés publics ont toujours été un domaine sensible politiquement. Ils représentent un outil de secours pour de nombreux pays. Par la suite, il s’est avéré que ces pratiques restrictives n’étaient pas éphémères, elles n’ont pas disparu et sont devenues bien ancrées dans les politiques industrielles. Aux États-Unis par exemple, « cette tendance [se confirme avec] l’annonce, faite en septembre 2011

par le président Obama, d’une proposition de «American Jobs Act», qui prévoirait la mise en œuvre d’un programme de dépenses publiques d’infrastructures, soumise aux exigences des dispositions «Buy American» » (Commission européenne, 2012, p. 8).

Bien que le maintien voire le renforcement de pratiques discriminatoires dans les marchés publics des pays développés soit un objet de préoccupation pour la Commission Européenne,

87 il passe au second plan face à la forte multiplication de mesures protectionnistes dans les PED et plus particulièrement dans les pays émergents (Commission européenne, 2012).

A titre d’exemple, la Russie, l’Inde et la Chine ont multiplié leurs aides combinant soutiens industriels et mesures protectionnistes. La plupart de ces dispositifs « ne sont pas de nature

temporaire, mais s’inscrivent dans le cadre de plans industriels nationaux, créés pour le long

terme et visant à modifier structurellement les caractéristiques de production des économies nationales en misant sur des avantages comparatifs potentiels » (Commission européenne, 2012, p. 14-15).Ellesprennent la forme des « obligations de partenariat local […] ou encore des obligations de transfert de technologies et de savoir-faire » (Delisle, 2012, p.9).

Or, l’émergence de nouvelles puissances économiques remet en cause les rapports de force historique entre les acteurs économique et oblige l’Union européenne à repenser sa politique commerciale extérieure. Il est estimé que d’ici 2030 « les pays en développement et les pays émergents représenteront près de 60% du PIB mondial» (European Commission - Trade, 2010, p. 4). Cette prévision laisse présager en filigrane une transformation des flux commerciaux et une dépendance accrue de l’économie européenne à l’égard des PED. D’ailleurs, les administrations centrales, locales et les entreprises publiques de ces pays représentent des potentiels acquéreurs de biens et de services. Elles sont une source de développement notable pour le commerce international (DG Trésor, 2014). Depuis les années 2000 par exemple, la valeur totale des contrats majeurs76 octroyés par les gouvernements des pays émergents aux exportateurs français augmente en moyenne de 25% par an (Beaufort, 2011, p. 190).

Ainsi, l’offset est un sujet de préoccupation pour les gouvernements et les firmes concernés

parce qu’il revêt une importance politique et stratégique très nettement supérieure à ce que laissent à croire les données brutes, relatives sur son simple poids économique. Il peut engendrer des transferts de technologies qui risquent d’ébranler la suprématie actuelle des entreprises obligataires sur le marché (BIS, 2013b, p. 7). Comme l’indique la Commission

présidentielle américaine sur les offsets, les transactions qui impliquent un transfert de technologie améliorent la compétitivité des firmes bénéficiaires et induisent rarement des transferts de technologies aux firmes américaines en retour (Markusen, 2004, p. 76).

76

En France, un « contrat majeur » est un contrat dont la valeur excède 3 millions d’euros (Beaufort, 2011, p. 189).

88 En outre, alors que les grandes entreprises exportatrices sont amenées à transférer certaines de leurs compétences dans le cadre des accords d’offsets directs, les effets de ces obligations se répercutent en priorité sur les firmes sous-traitantes qui évoluent dans leur sillage (BIS, 1999; Markusen, 2004). Ils démultiplient aussi l’effet de la délocalisation par un jeu de cascade qui

rend particulièrement vulnérables les entreprises des échelons inférieurs (voir Encadré 4). Les offsets risquent aussi indirectement de créer des externalités négatives sur le tissu industriel du pays source. Cette tendance peut provoquer à long terme une redistribution des activités

productives et semble porteuse d’une refonte majeure des principes traditionnels de la division du travail et du système dit de sous-traitance (BIS, 2007, 2013a, 2013b).

Outre l’augmentation du ratio des contrats d’offset, on constate également, une

complexification des obligations d’offset (BIS, 2007; Taborda et coll., 2007; Taylor, 2003; Udaro, 2013). Selon une étude réalisée par Georgariou en 2010, les tendances observées dans

les politiques d’offset sont de plusieurs natures : (i) des exigences accrues en matière de transferts de technologie ; (ii) des multiplicateurs d’offset plus faibles ; (iii) des conditions contractuelles plus contraignantes ; (iv) des délais d’exécution plus courts ; (v) un recours accru aux sanctions et aux garanties procédurales (Furter, 2014, p. 78).