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L ’efficacité relative de l’AMP permet à une grande partie des offsets d’échapper à la réglementation de l’OMC

les pays membres de l’AMP peuvent exiger des propositions d’ offset

3.1.3. L ’efficacité relative de l’AMP permet à une grande partie des offsets d’échapper à la réglementation de l’OMC

Au-delà de ses deux exceptions, l’AMP montre un manque relatif d’efficacité dû à sa portée et à son champ d’application restreint. Il a aujourd’hui un statut d’accord plurilatéral88. Cela signifie que tous les Membres de l’OMC n'en sont pas signataires et qu’il fait l’objet de négociations hors engagement unique. Après trente-trois ans d’existence, seuls quarante-trois États (dont Hong-Kong) se sont joints à l’Accord (voir Annexe 1). En dépit des efforts

déployés par l’OMC pour accroître le nombre de signataires, notamment parmi les pays en

développement, très peu de progrès ont été accomplis. L’augmentation du nombre de pays signataires de l’Accord est principalement due à l’élargissement de l’Union européenne de

douze à vingt-sept membres (Hoekman & Kostecki, 2009, p. 523). Comme l’Union européenne est signataire de l’AMP, tous les pays qui engagent la procédure d’intégration

européenne doivent automatiquement se conformer aux termes et conditions négociés par

l’UE à l’OMC en matière d’octroi des marchés publics. Toutefois, comme l’indiquent

Hoekman & Kostecki (2009, p. 523-524), l’Union européenne impose également ses propres

règles gouvernementales dans les domaines des marchés publics et celles-ci sont encore plus détaillées et restreignantes que l’AMP. Ainsi, l’augmentation du nombre de signataires de

88 Il existe deux accords « plurilatéraux » au sein de l’OMC: l’AMP et l’accord relatif au commerce des aéronefs

civils88 (OMC, 2014). Chaque nation qui adhère aux « accords plurilatéraux » a le droit de délimiter comme il

l’entend leurs domaines d’application. Cette spécificité de l’AMPest toléré et jouit de l’appui des négociateurs

en échange d’une transparence accrue et d’une accentuation des efforts des pays membres pour lutter contre les pratiques discriminatoires (Mattoo, 1996).

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l’AMP n’est pas imputable aux négociations multilatérales. L’OMC n’a pas été en mesure,

pour lors, de fédérer les États membres autour d’un tel accord.

Les pays à faible revenu se sont montrés particulièrement réticents à négocier leur accession à

cet Accord. Leur réticence s’explique par plusieurs aspects. Premièrement, les pays en développement font valoir un recours légitime aux fonds publics pour remplir des objectifs économiques et sociaux : il s’agit de lutter contre la pauvreté, l’analphabétisme, l’arriération et d’assurer la sécurité alimentaire de la population. Dans ce cadre, l’AMP est perçu comme

un accord qui réduit la flexibilité dont disposent les pouvoirs publics pour mener ce type de politique (Groupe de travail de la transparence des pratiques de passation des marchés, 2000). Deuxièmement, les avantages que les PED peuvent tirer de cette adhésion sont négligeables. Les fournisseurs nationaux de la plupart des pays en développement sont incapables de rivaliser avec les entreprises occidentales, plus compétitives, dans les appels d’offres

internationaux. Les bénéfices que les fournisseurs locaux espèrent ainsi réaliser en accédant aux marchés des pays développés demeureront mineurs. En revanche, les entreprises des pays développés, en accédant plus facilement aux marchés des pays en développement, peuvent

disposer d’avantages considérables. Ainsi, de nombreux pays membres de l’AMP dénoncent

le manque de concessions réciproques prévues dans cet accord (voir Hoekman & Kostecki, 2009). C’est un accord déséquilibré, largement en faveur des pays les plus avancés.

En outre, les exceptions liées aux « dispositions spéciales pour les pays en développement » sont accordées sur une durée de temps jugée insuffisante89 pour développer la compétitivité des entreprises locales face à la concurrence des pays développés. Ces exceptions n’ont pas de liens directs avec les besoins économiques réels des pays hôtes. Elles sont, en réalité, assujetties au temps nécessaire pour effectuer les démarches administratives et légales prévues pour la mise à exécution de l’AMP (Wade, 2003, p. 7).

L’adhésion à l’AMP est également jugée superflue, le plus souvent, dans l’optique du

développement du commerce et de la coopération économique entre pays. En effet, les mesures de libéralisation des achats publics peuvent être gérées de manière satisfaisante à

l’échelle régionale. De plus, la plupart des pays appliquent déjà les règles de bonne

gouvernance des marchés publics imposées par les institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI) ou par la loi type de la CNUDCI (Commission des Nations unies

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101 pour le droit commercial international) portant sur le sujet. La signature d’un nouvel accord

implique des coûts supplémentaires en matière d’infrastructure et de formation des fonctionnaires chargés de faire appliquer les lois d’une nouvelle réglementation (Watermeyer, 2004, p. 21). Or, ces dépenses sont considérées comme inutiles au vu des faibles contreparties

promises par l’accord.

Les marchés publics restent un domaine de souveraineté et très peu d’États sont prêts à les

porter sur la table des négociations de l’OMC. Ceux qui ont toutefois choisi d’adhérer à l’AMP ont établi des limites importantes à l’ouverture de leurs marchés publics. En premier

lieu, les États membres de l’AMP conservent le droit d’imposer unilatéralement leurs propres limites à l’accord en fonction des caractéristiques des marchés publics et des entités

concernées (OMC, 2014 b). Certains pays excluent de l’AMP divers gouvernements centraux ou sous-centraux. Par exemple, aux États-Unis, « treize États américains appliquent l'exclusion complète de l'Accord de l'OMC sur les marchés publics et trente-sept autres l'appliquent, mais en excluant certains secteurs sensibles » (Delisle, 2012, p. 9). D’autres

encore accordent des dérogations excluant certains secteurs du champ d’application de l'accord. Les autorités canadiennes, par exemple, stipulent le droit de mener une politique d'achats publics inéquitable favorisant leurs producteurs nationaux dans les domaines précis : de « construction navale et réparation de navires ; chemins de fer urbains et matériel de

transport urbain […] ; marchés portant sur les […] approvisionnements (matériel de communication, matériel de détection des radiations et d’émission de rayonnement

cohérent) » (OMC, 2014d).

De nombreux signataires de l’Accord établissent également des discriminations portant sur la nationalité des fournisseurs. L’Union européenne formule ainsi des dérogations aux

dispositions de l’AMP concernant les domaines suivants « électricité, aux fournisseurs et aux prestataires de services du Canada, et du Japon ; aéroports, aux fournisseurs et aux prestataires de services du Canada, de la Corée et des États-Unis ; transports urbains: aux

fournisseurs de produits et de services du Canada, d’Israël, du Japon, de la Corée et des

États-Unis ». La Communauté européenne, précise également, que ses réserves à l’égard de l’AMP ne seront pas levées « tant qu'elle n'aura pas constaté que les Parties concernées

102 assurent aux entreprises de la CE un accès comparable et effectif aux marchés considérés »90 (OMC, 2014d).

Les tentatives suivantes pour étendre la couverture de l’AMP à d’autres secteurs, à d’autres

acteurs ou entités publics se sont soldées par un échec. En 1996, lors de Conférence ministérielle de Singapour, les pays signataires ont décidé de créer un « groupe de travail de la transparence des marchés publics » chargé « d’effectuer une étude sur la transparence des pratiques de passation des marchés publics » et « sur la base de cette étude, d’élaborer des

éléments à inclure dans un [nouvel] accord». Ce dernier devait donner à l’AMP une nouvelle dimension avec comme objectif la mise en place d’un droit administratif global dans les

marchés publics. Beaucoup de pays en développement (comme la Chine et l’Inde) ont

considéré ce nouveau dispositif comme un cheval de Troie conçu pour limiter leur marge de

manœuvre dans le domaine de marchés publics. Sans surprise, ils se sont fortement opposés à une nouvelle loi sur le sujet (Hoekman & Kostecki, 2009, p. 525). Incapable de parvenir à un consensus, ce groupe est resté inactif depuis 2004.

Le respect formel des règles de l’AMP en vigueur ne garantit pas que les appels d’offres ne favorisent pas les fournisseurs nationaux d’une manière détournée. Les pays membres

peuvent, par exemple, adopter d’autres stratégies d’approvisionnement non concurrentielles pour contourner l’AMP : on pense ici aux marchés publics de gré à gré portant sur des commandes réservées aux petites et moyennes entreprises. Ils peuvent également opter pour une subdivision des marchés importants. En effet, les marchés mineurs ne sont pas tenus par les règlements de passation sur les marchés publics internationaux puisque l’AMP n’est pas applicable en dessous d’un seuil requis de conformité (Mattoo, 1996; Trionfetti, 2000).

L’exception attachée à l’intérêt public rend l’AMP encore plus évasif du point de vue juridique. Selon l’article XXIII §2 : « rien dans le présent accord ne sera interprété comme empêchant une Partie quelconque d’instituer ou d’appliquer des mesures : nécessaires à la protection de la moralité publique, de l’ordre public ou de la sécurité publique, à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux, ou à la protection de la propriété intellectuelle ; ou se rapportant à des articles fabriqués ou des services fournis par des personnes handicapées, ou dans des institutions philanthropiques, ou dans les prisons » (OMC, 1994). Cette exception peut donner lieu à

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Cela met en évidence le caractère mercantile des négociations commerciales à l’OMC (Hoekman & Kostecki, 2009).

103 diverses interprétations de la « moralité publique, de l’ordre public » et « de la sécurité publique », ce qui limite encore la portée juridique de l’AMP en cas de litige. Cette dérogation peut par exemple être utilisée pour justifier les offsets liés à l’importation des

médicaments de base jugés nécessaires (l’existence du contrat repose sur cette interprétation)

pour la protéger la vie humaine ou préserver la santé publique (Howse, 2010). Cet article

laisse entendre qu’il est entièrement laissé à la discrétion des entités publiques de formuler les spécifications techniques des produits faisant l’objet de l’appel d’offre. Or, une caractérisation

très détaillée des produits qui seront uniquement acceptés à des fins de qualification au marché public peut se traduire de facto par une discrimination en faveur de certains soumissionnaires.

Nous pouvons déduire de ces analyses que l’AMP est au stade de pré-régulation et que les offsets imposés aux contrats d’acquisition publique, relevant aussi bien du domaine militaire que du domaine civil, échappent largement à la réglementation de l’OMC. Malgré les mesures transitoires adoptées pour faciliter l'accession des pays en développement à l'AMP, le nombre

d’adhésions à ce dernier reste faible. Notons par exemple qu’aucun des pays BRICS (Brésil,

Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) n’est signataire de l’accord. La Chine a engagé une démarche d’accession à l’AMP depuis 2007, mais « il y [a] encore beaucoup à faire avant de pouvoir envisager l'aboutissement de ce processus » (OMC, 2011, p. 4).

Face à ce manque relatif d’efficacité des accords multilatéraux et à la prolifération croissante

des offsets dans les marchés publics, de nombreuses voix se sont levées en faveur de la

nécessité de trouver une alternative à l’AMP ou d’essayer d’encadrer ces pratiques à l’aide d’autres mécanismes développés par l’OMC (National Research Council (US) Board on

Science, Technology, and Economic Policy, 1997; Udis & Maskus, 1996; Youssef & Ianakiev, 2009). Un pas supplémentaire dans l’analyse juridique des offsets serait donc de les confronter, un par un, à d’autres articles de l’OMC. Nous montrons dans l’Annexe 2 qu’une restriction même forte au recours à ce mécanisme ne peut être assimilée à leur disparition légale. Les offsets montrent au passage les limites du droit existant91. Ces pratiques ne sont

pas en contradiction avec les obligations et les codes de conduite de l’Accord Général.

91Certes, l’offset reste une pratique complexe, difficile à négocier, à mettre en place et à vérifier ce qui peut nuire à la transparence du système de passation des marchés publics et constituer un terrain fertile pour la corruption, le népotisme, les subventions dispendieuses et inutiles, ou encore les manipulations monétaires qui

risquent de fausser la concurrence. Même dans ce cas, il n’est pas possible d’affirmer que l’offset serait une

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3.2. Les autres dispositifs institutionnels et financiers

Puisqu’il n’existe aucun encadrement juridique international véritablement contraignant et efficace, il semble opportun d’examiner la position des autres organismes internationaux, en charge du commerce et du financement du développement, sur ces pratiques. Le Fonds monétaire international (FMI) accorde une légitimité à ces pratiques en tant qu’outil de politique socio-économique et n’évoque aucune disposition contraignante à leur égard dans

les conditions de prêt (3.2.1). La position de la Banque mondiale est plus ambigüe. Elle n’encourage pas les accords d’offset, mais elle ne les interdit pas explicitement (3.2.2.). La Commission européenne (ci-après CE), quant à elle, autorise les offsets dans les marchés

d’armement et les proscrit dans les marchés publics portant sur l’acquisition de produits

civils. Elle juge ces pratiques comme étant contraires à la réglementation communautaire de la commande publique (3.2.3.). Toutefois, face à la multiplication des mesures discriminatoires dans les pays tiers à l’Union, la Commission Européen compte introduire des dispositifs contraignants dans sa nouvelle directive sur les marchés publics. Des initiatives de ce type sont également menées par les États-Unis dans le domaine des marchés publics

d’armement (3.2.4.).