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Le choix d’une démarche de recherche-intervention

Dans le document Projets et conception innovante (Page 52-56)

2. M ETHODOLOGIE : UNE PRATIQUE DE RECHERCHE - INTERVENTION

2.1. Le choix d’une démarche de recherche-intervention

Si l’étude de l’innovation et des projets recourt à des méthodologies extrêmement variées (encadré 7 page suivante), nos recherches s’inscrivent dans la tradition méthodologique du Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique et du Centre de Gestion Scientifique de l’Ecole des Mines de Paris. Ces deux laboratoires ont, depuis leur origine, développé et théorisé une pratique de recherche qui se fonde sur l’intervention des chercheurs au sein des organisations. Les origines de ces méthodologies sont anciennes (Levin, 1951) et ont donné lieu à la constitution de différents courants qui entretiennent des rapports assez différents avec le « terrain » (voir la synthèse de David, 2000a). De manière générale, l’objectif de ces méthodes est de « combiner l’étude des problèmes pratiques avec la recherche qui contribue à la

construction et au test de théories » (Argyris & al. cité dans Lundin & Wirdenius,

1990), ce qui revient à reconnaître qu’un problème empirique, quand on cherche à le résoudre, pose inévitablement des questions théoriques. Le rattachement de cette méthode au courant constructiviste est évident. Nous ne reviendrons ici ni sur les principes de cette épistémologie et ce qui la distingue d’une épistémologie positiviste, ni

sur la question de son application aux sciences de gestion (Martinet, 1990 ; Lemoigne, 1995 ; David, 1998 : Thiétard, 2003). Contentons-nous de rappeler que dans cette épistémologie « les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens

du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas de question, il ne peut y avoir de connaissances scientifiques. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit » (G. Bachelard, 1989, p. 14).

Encadré 7. La diversité des méthodes de recherche sur les projets et l’innovation

L’étude de l’innovation et/ou des projets, tant il est parfois difficile de distinguer les deux, s’est depuis toujours faite en mobilisant des méthodologies très variées en fonction de l’objet étudié et/ou de l’origine disciplinaire des auteurs. Garel (1998) classe ainsi les méthodes de recherches en management de projet en croisant deux critères (inductif/déductif et descriptif/normatif) et montre que toutes ont été mobilisées

Descriptif Normatif

Déductif

Les enquêtes par questionnaires

Ces travaux sont orientés vers la comparaison, souvent internationale, des

pratiques d’entreprises sur un certain nombre de variables (la structure, le

portefeuille, la performance).

Les travaux prescriptifs formalisés

A partir de l’étude de problèmes organisationnels, ils ont pour objet d’élaborer et d’appliquer des algorithmes à des problèmes concrets de gestion de projet afin d’aider les organisations à les résoudre.

Inductif

Les études de cas typiques

Il s’agit, à partir d’études cliniques ou par questionnaires, de réaliser, généralement, a

posteriori, des monographies afin de constituer des typologies. L’intérêt de cette

démarche est de comprendre la cohérence des cas et de mesurer la distance qui les sépare pour aboutir à la formalisation de

types idéaux.

Les études cliniques

Le chercheur intervient dans des organisations à leur demande pour suivre, généralement, en temps réel, le déroulement

d’un projet.

Source : Garel, 1998

On retrouve la même diversité en ce qui concerne le management de l’innovation. Ainsi Burns & Stalker (1961) ou Akrich & al. (1988) mobilisent la tradition des recherches de terrain sociologiques pour comprendre les problèmes rencontrés par les entreprises qu’ils étudient alors que Cooper ou Maidique & Zirger, dans la tradition du marketing, recourent à des démarches hypothético-déductives par questionnaire. Certains, plus rares, utilisent des modèles mathématiques normatifs pour discuter les problèmes soulevés par l’innovation (Cohen & Levinthal, 1994 ; Sastry, 1997).

D’autres auteurs encore ont mobilisé plusieurs types de méthodologies. Le MIRP, dirigé par A. Van de Ven, croise ainsi des études de cas longitudinales extrêmement fouillées (14 années d’histoire pour certaines d’entre elles) puis, après un travail de codage des événements observés, des méthodes de modélisation mathématiques dont l’objectif est de représenter la dynamique observée, le déroulement du processus. De même le travail de Clark, Chew & Fujimoto (1987) mobilise à la fois la collecte et le traitement de données quantitatives sur l’organisation et la performance des équipes de développement, et des enquêtes de terrain pour comprendre les origines des écarts observés et reconstituer le déroulement précis des projets. D’autres chercheurs enfin, principalement européens, s’inscrivent eux dans la tradition de la recherche-intervention. C’est ce point que nous développons.

Notons pour conclure, et il s’agit là d’une différence notable avec les recherches en management de projet (l’ouvrage de Morris, 1994, constituant une exception), qu’il existe sur la question de l’innovation technologique une importante historiographie (voir par exemple, Rosenberg, 1982 ou Freeman & Soete, 1997), régulièrement mobilisée par les chercheurs, qu’il s’agisse d’histoire d’entreprise, de secteurs ou d’innovateurs(citons, par exemple, le remarquable travail d’A. Millar sur Edison, 1990).

Plus précisément, notre démarche s’inscrit dans la tradition de la recherche clinique qui « peut se définir comme l’interaction instituée entre le chercheur et son

terrain d’étude » (Girin, 1981, p. 1883, nous soulignons). Elle consiste à entrer dans les

organisations pour les aider à formuler et à résoudre les problèmes qu’elles ont ressentis ou formulés. Si l’on se réfère à la typologie établie par Schein (1987) le chercheur-clinicien se situe dans le cadre du modèle de la « consultation dynamique » dans lequel il travaille avec l’entreprise à la formulation du problème et à la mise en œuvre de la solution. L’appellation « clinique » renvoie ainsi à « ceux qui aident des professionnels,

ceux qui sont impliqués auprès des personnes avec un rôle d’aide » (Schein, op. cit.).

Dans cette logique, « l’art du chercheur en gestion intervenant sur un terrain est de

faire parler les faits à partir d’une théorie qu’il maîtrise et, qu’en même temps, il élabore dans son interaction avec le terrain » (Garel, 1998, p.11).

Cette pratique de la recherche est spécifique en ce qu’elle suppose justement une interaction entre le chercheur et son terrain d’étude, ce qui n’est pas le cas de toutes les démarches d’intervention, ni de toutes les méthodologies qualitatives. Ainsi dans la tradition de la recherche-action telle que formalisée par K. Levin, « les exigences de la

recherche sont premières et l’emportent sur celles de l’action auxquelles il ne prête pas beaucoup d’attention. […] Le chercheur, ou l’équipe de recherche, reste seul maître à bord de la définition de la recherche. Les membres du terrain interviennent au mieux pour accepter les contraintes exigées par la science et au pire pour en limiter le déploiement, dans le cas où les contraintes sont incompatibles avec le fonctionnement quotidien de l’institution. K. Lewin n’envisage pas qu’elles puissent modifier la détermination des objectifs de la recherche » (M. Liu, 1986, p. 20 in Garel, 1998). De

même la littérature anglo-saxonne sur les « case study »59 (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 2003) aborde peu la question de la relation au terrain60. Elle le présente fréquemment comme un lieu de collecte de données et la question de l’interaction, de la réponse du terrain, est très peu traitée (Pettigrew, 1990, constitue ici une exception notable).

La tradition française de recherche-intervention considère, au contraire, que l’interaction avec le terrain constitue une source de connaissance essentielle et que le chercheur est susceptible d’aider l’organisation à formuler puis résoudre les problèmes auxquels elle est confrontée. Hatchuel & Molet (1986) distinguent ainsi 5 étapes dans une recherche intervention (figure 9 page suivante), articulées autour de la notion de « mythe rationnel » qui renvoie à l’élaboration d’un modèle permettant d’envisager des pistes d’action sans totalement la contraindre. Ainsi précise Hatchuel (1994, p. 74) : « la

59

Eisenhardt définit ainsi ce courant de recherche : « The case study is a research strategy which focuses

on understanding the dynamics present within single settings. (…) Case studies can be used to accomplish various aims : to provide description (Kidder, 1982), test theory (Pinfield, 1986 ; Anderson, 1983), or generate theory (Gersick, 1988 ; Harris & Sutton, 1986) » (Eisenhardt, 1989, p. 534 & 535)

60

Plus précisément le protocole proposé par Yin, 2003, p. 67-68 montre bien que ce type de recherche n’est pas interactive. Le cas est avant tout perçu comme un lieu où l’on collecte des données pour répondre à une question. L’idée de co-construction de modèles est complètement étrangère à ce courant.

plupart des techniques managériales, les grands mots d’ordre organisationnels comme

la décentralisation, ou la gestion participative61 fonctionnent comme des mythes

rationnels : il faut un peu y croire, ou se contenter d’imiter les autres pour s’y lancer mais l’efficacité du processus viendra du « réalisme » avec lequel les événements que le projet provoque seront interprétés et rationalisés à mesure que le processus avance. »

Figure 9 : les étapes d’une recherche-intervention (Hatchuel & Molet, 1986 ; in David, 2000)

Précisant ultérieurement les principes sous-jacents à une démarche d’intervention, Hatchuel (1994) en distingue quatre qu’il est utile de rappeler ici :

• Le principe de rationalité accrue souligne que le rôle du chercheur intervenant consiste à « favoriser une meilleure adéquation entre la connaissance des faits et les

rapports qu’ils rendent possibles entre les hommes » (p. 68). Il souligne ainsi la

nécessité d’une interaction entre le chercheur et son terrain pour élaborer conjointement des solutions aux problèmes identifiés ;

• Le principe d’inachèvement reconnaît l’impossibilité à spécifier complètement l’objectif à atteindre. Il reconnaît la nécessité de faire évoluer la recherche en fonction de son déroulement ;

• Le principe d’isonomie indique lui que « l’effort de compréhension doit s’appliquer

également à tous les acteurs concernés » (p. 68). Nous rejoignons là la 5ème règle de

méthode proposée par B. Latour (1989) qui conduit à reconnaître la même importance à tous les acteurs et à les insérer également dans le dispositif de recherche ;

61

• Le principe des deux niveaux d’interaction précise qu’une recherche intervention suppose à la fois un dispositif d’intervention, qui va organiser les relations (nécessairement évolutives) entre le chercheur et l’organisation, et une démarche de connaissance qui constitue précisément l’objectif de la démarche. Ainsi « les

relations nouvelles que créent le dispositif d’intervention ont pour objet de créer une nouvelle dynamique de connaissance et la confrontation entre les savoirs de l’intervenant et ceux des acteurs concernés » (p. 69).

Dans cette perspective, le terrain est bien plus qu’un lieu de collecte de données pour le chercheur. En effet, comme le précise Hatchuel, « l’intervention n’est pas seulement

l’exploration d’un système mais la production de savoir et de concepts qui permettent de penser les trajectoires dans lesquelles un collectif pourrait s’engager » (p. 70). Le

recours à des modèles (les mythes rationnels) joue donc un rôle central à la fois dans la production de connaissances nouvelles et dans l’interaction avec le terrain, nous y reviendrons62.

2.2. Forces et faiblesses de l’intervention : les principaux éléments du

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