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La commercialisation, une variable de conception négligée

Dans le document Projets et conception innovante (Page 144-147)

3. R ESULTATS DES RECHERCHES (1) : GERER LES PROJETS D ’ INNOVATION

4.5. Utilisation du modèle (2) : analyser le processus de conception. Vers l’exploration

4.5.3. La commercialisation, une variable de conception négligée

Restait toutefois à expliquer ce phénomène. Le travail de formalisation des données réalisé a permis en premier lieu de montrer la pertinence, dans le cas des services, des résultats mis en évidence par les recherches sur la montée en cadence dans le cas des produits : le déroulement du travail de conception en amont du lancement et l’organisation du lancement proprement dit permettent ainsi de mieux comprendre les données collectées. Pourtant ceci n’explique pas la stabilité des taux de souscription. L’analyse du cas SUAL nous a ainsi permis de mettre en évidence un domaine peu étudié par les recherches sur la conception de nouveaux produits : la conception des processus de vente.

A. L’importance du travail de préparation en amont

Les difficultés rencontrées par PSA s’expliquent en premier lieu par la qualité du travail effectué en amont. Dans leur étude de 1991, Clark & Fujimoto lient ainsi la supériorité des entreprises japonaises à la qualité du travail de conception réalisé en amont qui leur permet d’anticiper les problèmes soulevés par la montée en cadence. Ces firmes retrouvent ainsi dix fois plus vite que leurs concurrentes occidentales, les niveaux antérieurs de productivité et de qualité. Nous pensons que les mêmes phénomènes sont à l’œuvre dans le cas du service d’appel d’urgence, et expliquent en partie les différences constatées entre les dimensions techniques et commerciales.

Notre article montre ainsi que la mise au point de l’infrastructure technique a fait l’objet d’un intense travail de conception même si de nombreuses difficultés sont apparues (pour une présentation complète du cas voir Lenfle & Midler, en cours de soumission) : une équipe dédiée a travaillé sur la question, impliquant les fournisseurs, des tests ont été effectués en conditions réelles et ont permis, si ce n’est d’éliminer tous les défauts, au moins d’identifier les différentes causes possibles de « défauts ». Les tests préalables ont par exemple conduit à modifier les scripts des opérateurs de la plate-forme de service et à renforcer leur formation (partie droite de la figure 28). L’équipe était donc préparée à gérer les difficultés qui sont apparues lors de la commercialisation. Ainsi le faible taux d’appels localisés observé lors des premières semaines de commercialisation révèle plus la difficulté qu’il y a à mettre au point une infrastructure de télécommunications qui n’avait pas d’antécédents, que l’insuffisance du travail de conception en amont.

A l’inverse, le travail de conception du processus de commercialisation a été beaucoup moins intense. En effet, sur cette dimension du projet, le déroulement du processus de conception s’apparente au mode de fonctionnement séquentiel dont Wheelwright & Clark (1992), ont montré les limites. On retrouve donc fort logiquement les travers de ce type d’organisation :

• Les métiers de l’aval, en particulier la Direction Commerciale, n’ont été intégrés que tardivement dans l’équipe projet (Lenfle & Midler, 2003 : Figure 31 ) ; • Des conflits sont alors apparus qui ont conduit à remettre en cause le travail

réalisé jusque-là. Le processus de commercialisation a donc été modifié tardivement ;

• Ceci a conduit à négliger les phases de test réel avec une ou plusieurs concessions pour évaluer l’efficacité de la procédure. On ne peut alors compter sur les connaissances accumulées lors de ces tests (Thomke, 2003) et la commercialisation devient la seule épreuve de vérité.

• De même la formation du réseau n’a pu être réalisée de manière satisfaisante, ni la conception d’un système d’incitation adéquat.

Figure 31. Les principaux évènements et acteurs du processus de conceptions

2001 2002 2003

Trimestre 1 2 3 4 1 2 3 4 1

Process 1 : service

infrastructure design Design and implementation of the infrastructure

Failure of the tests redesign

Final agreement

Process 2 :

sales process design First version of the sales process

Conflict with sales dep.

Sales person involved (april) / design v2 Final agreement Departments involved Telematic platform Information systems* Product** CRM* After-sales* Sales Legal

* = 1 person dedicated to telematics but not full time on the E/B call ** = 2 persons dedicated to telematics but not full time on the E/B call

Service launch (12 month delay)

Au final, le travail de marketing interne, fondamental pour le succès d’une innovation de service (Lovelock, 1984 ; Flipo, 2001), n’a pu être mené de manière efficace. Ceci constitue incontestablement une première explication du faible taux de souscription observé.

Reste que, si le déroulement du processus de conception explique le démarrage difficile des services, il ne peut à lui seul rendre compte de l’évolution des deux performances dans le temps.

B. Le rôle des structures de suivi du lancement

Ceci nous conduit à l’étude de l’organisation de la montée en cadence proprement dite. Celle-ci constitue en effet la deuxième variable expliquant les différences de performances observées entre les firmes dans le cas des produits. L’apprentissage induit (Dutton & Thomas, 1984) joue ici un rôle essentiel. Terwiesch & al. (2001 & 2001) montrent ainsi que les stratégies d’expérimentation suivis par les managers pendant la phase de lancement expliquent les différences de performance entre firmes. De même Adler & Clark (1991) ont mis en évidence l’impact de la formation sur la forme des courbes d’apprentissage.

Sur cette question, le suivi en temps réel du déroulement de la commercialisation nous a permis de mettre en évidence des différences fondamentales entre les dimensions techniques et commerciales du service. Nous pensons qu’elles permettent d’expliquer l’absence d’apprentissage du front-office de commercialisation du service (partie gauche de la figure 28).

La dimension technique

Ainsi, dans le cas de l’appel d’urgence, l’infrastructure de communication est gérée par une équipe technique dont c’est la principale mission et qui a elle-même conçu et mis en place l’infrastructure. Sa connaissance des modes de défaillances possibles du système est donc importante. De surcroît, dès mars 2003 une procédure est mise en place qui conduit à analyser systématiquement chaque appel défectueux pour comprendre les origines du problème. On assiste donc à un apprentissage très important qui va permettre de gérer la « crise » survenant au moment de la commercialisation du service. L’évolution du taux de fiabilité entre le 4ème et le 8ème mois montre ainsi la difficulté mais également l’efficacité de l’apprentissage. L’équipe a ainsi su détecter et résoudre rapidement les différents problèmes observés. Ceci est visible à la fois dans la courbe de la figure n°1 et dans la corrélation calculée entre le taux de fiabilité et le nombre cumulé d’appels. Reste que nous sommes ici dans une situation assez proche de celle étudiée dans la littérature sur les produits : une équipe gère un système largement automatisé. La difficulté est alors de comprendre les dysfonctionnements du système, mais ce dernier est connu et le travail de conception a permis de comprendre son (dys)fonctionnement.

La dimension commerciale

La situation est différente si l’on considère maintenant la dimension commerciale du service. La difficulté est ici de gérer l’apprentissage d’un réseau très hétérogène152 et dispersé sur l’ensemble du territoire. Toute la difficulté va donc être 1)

152

Certaines concessions sont des entreprises moyennes situées dans les grands centres urbains, d’autres sont des très petites entreprises familiales, etc.

de suivre le fonctionnement de l’ensemble du réseau et 2) d’organiser la capitalisation des connaissances et le transfert des apprentissages entre les concessions. L’organisation de la gestion de la montée en cadence va donc jouer un rôle absolument essentiel dans ce processus. Compte tenu de la dispersion géographique de concessions et de la pression commerciale à laquelle elles sont soumises, il est en effet peu probable que le transfert des connaissances se fasse spontanément.

Or, dans le cas du service d’appel d’urgence, on ne peut que constater la faiblesse des structure de suivi et de support du lancement. Ceci explique probablement en partie l’absence de corrélation entre le nombre de contrats cumulés et le taux de souscription. En effet, compte tenu de la dispersion du réseau, le nombre de contrat signés par concession reste très faible153. Aucune concession ne dispose donc seule d’une base d’expérience suffisante pour maîtriser la procédure. De surcroît, elles n’ont pas d’interlocuteur susceptible de répondre à leur question en cas de problème. L’existence d’une structure de support du lancement constitue donc à notre avis la condition sine qua non à l’existence d’un processus d’apprentissage154. Son rôle va consister à centraliser les apprentissages réalisés par les différentes concessions et, à partir des connaissances accumulées, modifier les procédures et assister le réseau en cas de difficulté.

D’autres cas étudiés dans la même entreprise montrent l’efficacité de ce type de structure quand elle existe. Son absence dans le cas de l’E/B-Call explique en grande partie la stabilité des courbes et l’absence de corrélation observée entre le nombre de contrats cumulés et les taux de souscription et d’appels de mise en main. De surcroît, l’observation de l’évolution des courbes nous amène à penser que, dans le cas des services, les effets de cette absence sont cumulatifs dans le temps. L’innovation a alors toutes les chances de ne jamais rattraper le retard accumulé. L’implication tardive de la Direction Commerciale (Figure 31) et les délais qui en ont résulté explique pour une large part cette situation typique des démarches séquentielles.

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