• Aucun résultat trouvé

Exploitation, exploration et management de projet

Dans le document Projets et conception innovante (Page 93-96)

3. R ESULTATS DES RECHERCHES (1) : GERER LES PROJETS D ’ INNOVATION

3.3. Peut-on encore parler de projet ?

3.3.2. Exploitation, exploration et management de projet

L’intérêt des ces travaux est de revenir au fondement même de la notion de projet au-delà des formes qu’il a pu prendre dans les entreprises, de prendre de la distance par rapport aux pratiques managériales, de faire du projet un concept fondamental en sciences de gestion. Les travaux de Boutinet posent ainsi le projet comme forme générique qui va ensuite s’incarner et se gérer différemment selon que l’on traite de projets techniques, pédagogiques, politiques, etc. Mais, s’il cherche à distinguer des « éléments pour une méthodologie de la conduite de projet » (chap. 8), ce n’est pas l’objet principal du travail de Boutinet. S’appuyant sur cette contribution J.P. Bréchet & A. Desreumaux (2004) proposent eux, dans un article passionnant, de faire du projet un concept central en management susceptible de fonder une théorie stratégique de l’entreprise.

93

Il s’agit de textes de management destinés aux cadres et aux managers. Les publications académiques sont donc volontairement exclues.

94

Le point commun à ces travaux est de faire du projet un mode essentiel de d’anticipation, de construction d’une réalité qui n’existe pas encore (qu’il s’agisse d’une entreprise, dans le cas de Bréchet & Desreumaux, d’un nouveau produit, d’un projet pédagogique, etc.). Ce lien entre nouveauté et projet est d’ailleurs central dans la littérature en management de projet. Ce point est très clair dans le travail de Cleland & Ireland cité précédemment (2002), dans les définitions courantes du projet95, ou encore dans la distinction maintenant classique entre projets et opérations (Figure 18, Declerk, Debourse & Navarre, 1983). Le projet est à chaque fois conçu comme un moyen de dépasser les limites de la division taylorienne des tâches entre grandes fonctions qui, seules, sont incapables d’innover, comme mécanisme essentiel de l’intégration. C’est d’ailleurs cette capacité des projets à organiser le développement de nouveaux produits, activité transversale par essence, qui explique l’engouement actuel pour cette forme d’organisation.

Figure 18 : La distinction projet / opération (Declerk & al, 1983)

Projet Opération Irréversibilité Réversibilité

Forts degré de liberté Actions encadrées

Organisations évolutives et temporaires Organisations permanentes et stables

Cash-flows négatifs Cash-flows positifs

Influence des variables exogènes Influence des variables endogènes.

Reste que cette assimilation projet / innovation est, comme nous l’avons dit, trompeuse. Elle ne correspond de surcroît pas à la littérature. Une contribution essentielle des recherches sur le management de projet nous semble être d’avoir mis en évidence et formalisé la diversité des pratiques et des modèles de management de projet. Boutinet distingue ainsi différents types de projet (architectural, pédagogique, technique, politique.…) et discute leur spécificités. On trouve également chez Wheelwright & Clark (1992) une discussion intéressante sur l’adéquation des différents modèles de management de projet à des situations de gestion différentes (chap. 6). De même les travaux du groupe ECOSIP (1993) ont montré et analysé la diversité des pratiques entre les secteurs (BTP, aéronautique, pharmacie, automobile…). Les recherches de Brown & Eisenhardt (1995 & 1997) mettent elles aussi en évidence des modes de gestion de projet différents en fonction des incertitudes auxquelles ils sont soumis. Enfin la littérature sur le management de projet s’attache de plus en plus à construire des typologies montrant la diversité des situations que le management de projet est amené à gérer. Les travaux de Shenhar & Dvir (1996, 2001, 2004, 2007) insistent notamment sur la nécessité d’adapter les modes de fonctionnement selon le

95

En 1992, la norme X50-105 de l’AFITEP-AFNOR définit ainsi le projet comme « une démarche

spécifique permettant de structurer méthodiquement et progressivement une réalité à venir. » De même le

PMI (Duncan, 1996) définit le projet comme « a temporary endeavor undertaken to create a unique

niveau d’incertitude technique associé au projet, sa complexité et sa temporalité. Il n’existe donc pas un mais des management de projets en fonction des situations de gestion auxquelles ils sont confrontés et des pratiques d’entreprise, et l’on ne peut assimiler les projets au seul développement de nouveaux produits. Ils recouvrent des réalités diverses que la littérature permet maintenant d’analyser pour éviter de tomber dans le piège du conceptacle.

Plus fondamentalement, ceci montre que le management de projet est, lui aussi, traversé par la tension fondamentale mise en évidence par J. March (1991) entre exploitation et exploration. Il est ainsi possible d’identifier schématiquement deux visions, d’ailleurs non exclusives, des projets.

La première, dans la tradition nord-américaine représentée par le PMI, conçoit le management de projet d’abord comme un ensemble de méthodes permettant d’organiser la convergence des acteurs concernés vers un objectif précis formalisé dans un cahier des charges. Elle met l’accent sur la dimension instrumentale du management de projet (PERT, valeur acquise, management de la qualité, des risques…) dans une logique d’exploitation des connaissances de la firme. L’objectif est alors de garantir le respect des objectifs de coût, qualité, délais, sur des projets potentiellement extrêmement complexes. Le travail de Clark & Fujimoto sur la performance de développement, bien que mettant l’accent avant tout sur les dimensions organisationnelles et cognitives des projets, s’inscrit dans cette logique d’exploitation des compétences de la firme.

La seconde, plus récente, voit dans le projet un moyen d’organiser l’exploration de domaines ou de champs d’innovation nouveaux pour l’entreprise. On assiste ainsi à une extension de l’usage des projets d’univers relativement stable (les projets de développement, d’ingénierie…) vers des univers marqués par une forte incertitude (« soft projects » pour reprendre le terme d’Atkinson & al (2006)). Les travaux de Shenhar & Dvir constituent là une étape importante. Le risque est d’appliquer les critères de gestion des projets d’exploitation à l’exploration. Loch, DeMeyer & Pich (2006) montrent ainsi admirablement l’incapacité des méthodologies classiques du management de projet, en l’occurrence la gestion des risques, à gérer des situations d’innovation96. Dans ce contexte il n’est possible de définir ni la cible à atteindre ni, a fortiori, le chemin pour y parvenir, encore moins d’anticiper les problèmes97. Ils plaident alors pour la diffusion des méthodologies favorisant l’apprentissage par essai-erreur et/ou la poursuite de plusieurs solutions en parallèle, la meilleure étant sélectionnée a posteriori98. Ce courant de recherche naissant, dans lequel nous nous inscrivons, conçoit le projet comme organisation de l’exploration d’un champ d’innovation (Lenfle, 2001 ; Lenfle & Midler, 2003), comme vecteur d’apprentissage (Bowen & al., 1994 ; Davies & Hobday, 2005 ; Lindkvist, 2007) permettant d’ouvrir de

96

Qu’ils caractérisent en termes de complexité, d’ambiguité et de nouveauté (voir également Pich, Loch et DeMeyer, 2002)

97

Loch & al. utilisent le terme de unknown unknowns (ou ‘unk unks’) pour caractériser ces situations marquées par des « unforseeable uncertainties ».

98

nouvelles possibilités à la firme. Adler & Obstfeld (2007) voient ainsi dans les « projets créatifs » une composante essentielle des processus de search (Nelson & Winter, 1982) qui permettent de faire évoluer les routines de l’organisation.

Dans le document Projets et conception innovante (Page 93-96)