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La valorisation économique du domaine public

Les restructurations du secteur public n'ont pas constitué les seuls des chan-gements relati fs à l'utilisation du domaine public. Plus directement encore, la volonté de l'ensemble des propriétaires publics de mieux mettre en valeur leur domaine a conduit à des évolutions sensibles de la réglementation. Le rappel du contexte juridique de ces changements est un préalable nécessaire à leur présentation et à la formulation d'un premier bilan.

1. Le contexte juridique

Le régime des utilisations privatives du domaine public a toujours été conçu à partir de l'impératif de protection de l'affectation principale des biens et de leur intégrité physique. Ce régime est fondé sur le principe d'autorisation, Sur l'exigence d'une redevance et surtout sur la notion de précarité de l' occupa-tion. Les autorisations d'occupation du domaine public, qu'elles soient unila-térales ou même contractuelles, sont précaires et révocables. Les titulaires d'une autorisation sont dans une situation inconfortable: ils ne bénéficient d'aucun droit au maintien de leur titre, ni d'aucun droit à leur renouvelle-ment. L'indemnisation des préjudices nés d'une fin d'occupation prématurée n'est envisageable que lorsque les utilisateurs sont liés à l'administration par contrat et qu'aucune faute ne peut leur être reprochée.

Plus encore, le principe d'inaliénabilité a été interprété de façon extensive empêchant la constitution de droits réels, tels que la conclusion de baux de longue durée ou la constitution d'une hypothèque sur les biens construits par des personnes privées sur le domaine conformément à une autorisation. Ces droits, qui ont l'avantage de pouvoir être cédés, échangés, transmis ou, pour l 'hypothèque, de permettre de garantir un emprunt, sont perçus comme un démembrement du droit de la propriété incompatible avec la protection du domaine public.

L'objectif de mise en valeur de cette ressource collective, passé au second plan derrière des préoccupations de conservation du domaine, n'a toutefois jamais été complètement ignoré ni par l'administration, ni par le jugel4

L'ad-ministration a progressivement pris conscience de la valeur économique de son domaine, ce qui s'est traduit par des augmentations substantielles des redevances exigées des utilisateurs. Le juge a suivi cette évolution: il a admis

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Pour une vue d'ensemble des problématiques: Actes du colloque «Domaine public et activités économiques», Cahiers juridiques de "électricité et du gaz oct. 1991 nO hors série.

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L'utilisation du domaine public en droit français

une gestion des autorisations privatives d'occupation du domaine public fon-dée sur des considérations financières. Le refus du renouvellement d'une autorisation peut ainsi être justifié par des motifs d'ordre financierl5 . Du coup, cette précarité supplémentaire a participé à dissuader les entreprises de venir s'implanter sur le domaine public.

2. La nature des changements

Dans ce contexte, deux réformes sont intervenues.

La première est relative aux biens des collectivités territoriales. Elle est issue de la loi du 5 janvier 1988, qui a autorisé les collectivités territoriales à con-clure des baux emphytéotiques pour l'occupation de leur domaine public dans les conditions prévues par le Code ruraJl6: il s'agit de contrats d'une durée minimum de 18 ans et maximum de 99 ans qui confèrent un droit réel au cocontractant de la personne publique. La loi limite toutefois le champ d'ap-plication de cette prérogative. D'abord, elle exclutle domaine public routier.

Ensuite, elle précise qu'une dépendance du domaine public ne peut faire l'objet de ce type de bail qu'en vue de l'accomplissement d'une mission de service public pour le compte de la collectivité territoriale. Le texte élargit cette finalité aux opérations d'intérêt général relevant de la collectivité pro-priétain:.

Les conditions d'utilisation des droits réels ainsi créés sont envisagées par la loi. Dans certaines limites, les droits résultant du bail peuvent être cédés et sont susceptible d'hypothèque. Le domaine public des collectivités secondai-res peut, dès lors, servir à l'implantation de bâtiments abritant des activités d'intérêt général réalisées par une personne morale quels que soient son statut (public ou privé) et son objet social (d'intérêt public ou pas): il peut s'agir, par exemple, de la construction d'une maison de retraite, d'un casino, d'un équipement sportif, de stations d'épuration ou encore d'un local destiné à être loué ensuite à la collectivité propriétaire du terrain, ce qui constitue une forme de financement privé des constructions utiles à l'administration.

La seconde législation est encore plus remarquable dans le sens où elle étend les droits reconnus aux occupants privatifs du domaine pour assurer le

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JEAN-JACQUES ISRAËL, «L'activité commerciale sur le domaine public», Les petites qffiches mai 1993 nO 54, p. 6.

La loi du 5 janvier 1988 a été codifiée aux articles L 1311-2 et 3 du Code général des collectivités territoriales.

PASCALPlANCHET

loppement d'une activité économique. C'est une loi du 25 juillet 1994 qui réalise ces avancées au bénéfice exclusif, cette fois, du domaine public de l'Etatl l. L'ensemble de ce domaine est concerné, même si ce texte est prin-cipalement destiné à encourager les investissements privés dans les zones portuaires. Le domaine public maritime, déjà trop convoité, est toutefois ex-clu du dispositif. La loi pose le principe que le titulaire d'une autorisation d'occupation unilatérale ou contractuelle dispose d'un droit réel sur les ouvra-ges, constructions et installations qu'il réalise pour l'exercice de son activité, renversant ainsi l'effet traditionnel du principe d'inaliénabilité du domaine.

Le titre d'occupation peut toutefois prescrire le contraire. Il en al' obligation lorsque les ouvrages réalisés sont nécessaires à la continuité du service pu-blic. Sans reprendre les durées fixées par la loi de 1988, la loi de 1994 prévoit une durée de l'occupation pouvant aller jusqu'à 70 ans. A l'expiration de l'autorisation, les ouvrages sont démolis sauf si l'Etat accepte, sans contre-partie financière, qu'ils soient maintenus. La loi envisage expressément la cession, la transmission, les conditions de l'hypothèque des droits réels re-connus aux occupants. La conclusion d'un contrat de crédit-bail par le titu-laire de l'autorisation est également autorisée, à condition de ne pas être destinée au financement de bâtiments devant appartenir au domaine public.

3. Premier bi/ail

Le bilan de ces législations très novatrices est modeste et largement en deçà des attentes de leurs initiateurs. Depuis 1988, selon un recensement effectué en 1998, une centaine d'opérations aurait donné lieu à la conclusion d'un bail emphytéotique par les collectivités territoriales 18. Le nombre annuel de baux paraît même diminuer ces dernières années. Les résultats de la loi de 1994, pourtant plus ambitieuse, sont aussi très décevants. Les principaux gestion-naires du domaine public de l'Etat affirment n'avoir utilisé le nouveau dispo-sitif que pour quelques opérations. RFF et les voies navigables de France qui assurent la gestion du domaine public fluvial annoncent chacun moins de cinq conventions génératrices de droits réels. Ainsi, l'extension du bénéfice de la

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Loi nO 94-631 du 25 juillet 1994 ponant réfonne du code du domaine de l'Etat, JO du 26juillel 1994, p. 10749; CHRISTIAN LAVIALLE, «La constitution de droits réels sur le domaine de !'Etao). Revuefrançaisede droit adminislralifnov.-déc. 1994, p. 1106;

PHILIPPE GODFRIN, «Une prudente audace: la loi du 25 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public)}, Cahiers juridiques de l'électricité ef du gaz janv. 1995, p. 1.

CHRISTINE COMBE, «Les droits réels sur le domaine public: ambiguïtés et limites», Droit administratif déc. 2001, p. 4.

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loi de 1994 au domaine public des collectivités territoriales, envisagée à l'ori-gine, ne semble plus à l'ordre dujour.

Le peu d'enthousiasme des entreprises à venir s'implanter sur le domaine public pour y développer leur activité s'explique de plusieurs façons. D'abord par le contenu de la loi de 1988. Ce texte est principalement destiné à assou-plir les conditions de réalisation de projets d'intérêt public. Ce n'est que de façon incidente qu'il peut être un moyen de valorisation économique du do-maine public local. Ensuite, les droits réels reconnus aux titulaires des auto-risations ne sont pas vraiment assimilables à ceux reconnus dans le cadre de la propriété privée. L'administration est omniprésente dans l'utilisation de ces droits: l'agrément du propriétaire du domaine est constamment exigé à l'occasion d'une cession des droits, de leur transmission ou de la conclusion d'un contrat de crédit-bail. Autre contrainte: l'hypothèque des droits n'est rendue possible que pour garantir un emprunt utile au financement des ouvrages construits sur la parcelle occupée.

Par ailleurs, les textes n'ont pas fait disparaître la précarité des autorisations.

C'est le cas en particulier de la loi de 1994: elle envisage expressément l'hypothèse d'un retrait anticipé du titre d'occupation, en prévoyant malgré tout l'indemni~ation de l'entrepri~e évincée. La loi reste par ailleurs muette sur l'issue normale d'une autorisation: le Conseil constitutionnel a invalidé la disposition qui permettait à l'administration d'accorder un nouveau titre d'oc-cupation porteur de droits réelsl9

En somme, les textes n'établissent pas ce climat de confiance entre les ac-teurs économiques et les propriétaires du domaine public si nécessaire au développement de la vie des affaires.

On peut également relever que le juge administratif n'a pas profité de la dynamique législative pour infléchir sa jurisprudence et accorder des garan-ties supplémentaires aux occupants privatifs du domaine public qui ne relè-veraient pas des nouveaux textes20

19 Décision n° 94·346 De du 21 juillet 1994, JO du 23 juillet 1994, p. 10635.

20 ETIENNE FATÔME, PHILIPPE TERNEYRE, «Quel est le propriétaire des ouvrages cons-truits sur le domaine public?), note sous CE, 21 avril 1997, Ministre du budget cl Société Sagifa, Revue française de droit administratifsept.-oct. 1997, p. 935.

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II. L'adaptation de la domanialité au principe de libre concurrence

La promotion du principe de libre concurrence du fait de l'intégration com-munautaire et, au-delà, des nouvelles exigences des marchés, a atteint ré-cemment les règles de gestion du domaine public 21. Une combinaison a dû s'opérer entre les nonnes du droit de la concurrence et les règles protectri-ces de l'utilisation du domaine public. Elle s'est réalisée à l'initiative dujuge et, dans des secteurs d'activité complexe, essentiellement celui de la com-munication, en application de législations spécifiques.