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119. Une naissance libérale. Comme l’indique son étymologie, l’économie se

rattache à l’idée d’une « bonne gestion »654, témoignant de sa nature d’outil, de technologie à utiliser par l’homme lorsqu’il dispose des choses. La systématisation de ce savoir à travers la science économique relève d’un processus d’autonomisation des mécanismes de régulation sociale. Il est possible d’identifier ce que Niklas Luhmann appelle un « sous-système social », qui, pour cet auteur, est susceptible d’autonomisation lorsqu’il « assume une fonction spécifique qui ne se trouve remplie nul part ailleurs dans la société »655. Selon cette logique, il devient pertinent de se demander comment les théories économiques ont cristallisé leur objet d’étude, dans quelle mesure l’ont-elles détaché de l’objet d’autres sciences sociales, et quelles fonctions ont-elles revendiqué ou assigné à leur objet et au savoir élaboré. La dynamique dont nous nous proposons de rendre compte passe, d’une part, par la fonction technocratique attribuée à la science économique (§1) et d’autre part, par l’émergence du marché comme concept phare et consubstantiel au libéralisme économique (§2).

§1. La fonction technocratique de la macro-économie

120. La « science de la richesse »656. La revendication de l’économie en tant

que science date du XVIIIe siècle. Son objet est d’analyser « les faits, les lois ou les rapports qui s'établissent entre les choses qui ont la propriété de satisfaire les besoins des hommes »657. L’économie apparaît comme la science des rapports entre « les besoins […] et les objets qui ont la propriété de les satisfaire […,] les richesses »658.

Les recherches débutent de manière empirique, par l’observation de certaines régularités sociales qui amènent à la formulation des hypothèses et des liens de

654 V. « Économie » in Dictionnaire historique de la langue française, préc. : « économie a

désigné dans son premier emploi l’art de bien administrer une maison puis la bonne gestion des biens d’autrui ».

655 N. LUHMANN, « L’unité du système juridique », préc., p. 180.

656 Ph. MONGIN, sous « Économie théorique » in Dictionnaire d’histoire et philosophie des

sciences, préc.

657 G. KLOTZ, Y. BRETON, « Jules Dupuit : de la nécessité des lois en économie », in A.

BERTHOUD, B. DELMAS, T. DEMALS (coord.), Y a-t-il des lois en économie ?, 11e Colloque

International de l’A.C.G.E.P.E., Presses Universitaires du Septentrion, 2007, pp. 219-238, spéc. p. 221.

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causalité qui bénéficient d’un certain degré de certitude, à travers leurs vérifications successives659. L’emploi d’un appareil méthodologique emprunté aux sciences dures660 fait que l’économie accède peu à peu au statut scientifique. 121. Science de la nature ou science sociale. Le problème de savoir si

l’économie relève des sciences de la nature ou des sciences sociales a des profondes implications par rapport à son autorité scientifique. Une réponse en ce sens dépend, d’une part, des critères employés pour la distinction entre les deux types de sciences, et d’autre part, de la manière dans laquelle la nature et la société sont distinguées. Comme il a été observé, « les lois proprement scientifiques sont censées permettre d’expliquer ou de prédire les phénomènes propres à leur domaine »661. De ce point de vue, même si les résultats des théories économiques restent débattus, la discipline s’est assignée un tel projet à travers une recherche fondée sur la causalité de la richesse. En même temps, lorsque Polanyi analyse la marchandisation de la nature, il identifie la confusion des physiocrates qui avaient assimilé « la nature de l’homme » à la « nature physique », apparemment corrigée par Adam Smith lorsqu’il avait circonscrit le

phénomène économique au facteur humain662. En ce sens, c’est

l’épistémologique scientifique qui maîtrise la distinction entre nature et société, donc y compris la perméabilité des fonctions de connaissance et d’ordonnancement y imparties. Quoi qu’il en soit, les vertus du savoir scientifique de fournir les moyens pour atteindre un certain résultat, de nature technique, assumées par l’économie, constituent la prémisse de sa fonction technocratique.

659 V. E. ROTHSCHILD, « Adam Smith’s Laws », in A. BERTHOUD, B. DELMAS, T.

DEMALS (coord.), Y a-t-il des lois en économie ?, préc., pp. 37-40, spéc. p. 39 : « A substantial number of the most creative of all economists have believed that they were seeking to identify laws „like those of the physical order”. They would have been horrified at the thought that these laws were to be imposed by force, or even by law. But these same economists would have been inhuman if they had not been satisfied when their explanations of economic theory proved to be convincing: to other economists, to economic opinion, and to political opinion. They were satisfied, that is to say, when the laws „imposed themselves” ».

660 G. KLOTZ, Y. BRETON, « Jules Dupuit : de la nécessité des lois en économie », préc., p.

224.

661 M. LAGUEUX, « Y a-t-il des lois en économie ?», in A. BERTHOUD, B. DELMAS, T.

DEMALS (coord.), Y a-t-il des lois en économie ?, préc., pp. 63-67, spéc. p. 65.

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122. Une fonction technocratique. L’autonomisation scientifique de

l’économie lui permettait d’acquérir l’autorité nécessaire pour accéder à l’influence de l’autorité politique : « la promotion de l’économie comme science devrait permettre aux professionnels de jouer le rôle de conseiller du Prince »663. La dénomination initiale d’« économie politique » témoigne également en ce sens. Cependant, Napoléon n’y était pas favorable apparemment, à cause du libéralisme dont les théories économiques étaient porteuses, ce qui fait que la discipline économique s’est développée en France en dehors du modèle universitaire classique664. L’apparition du mouvement technocratique au XXe siècle par opposition au pouvoir détenu par le savoir économique dans les décisions politiques665 confirme le rôle de cette dernière. Paradoxalement, la discipline économique avait déjà déployée sa fonction technocratique avec la révolution industrielle. Elle va reprendre ouvertement ce rôle avec le rétablissement de la science économique au milieu du XXe siècle et le développement du caractère scientifique des théories de la finance à partir des années 1960666.

123. Un conventionnalisme scientifique hétérodoxe. Représentation factuelle et normative du savoir économique. Sous l’influence de William

James, Bergson et Poincaré, les scientifiques doutent d’eux-mêmes à partir du début du XXe siècle : « la notion de loi scientifique est toujours relative. La loi dégagée ne vaut que pour les phénomènes observés et dans la mesure où ils ont été bien observés. Elle n’est normative que dans cette mesure »667. Cependant, la théorie économique est restée pour longtemps immune au conventionnalisme. Ce n’est que récemment que le paradigme a commencé à l’intégrer : observant la « porosité politique, sociale et même matérielle qui affecte [l]es

663 G. KLOTZ, Y. BRETON, « Jules Dupuit : de la nécessité des lois en économie », préc., spéc.

p. 219.

664 S. SCHWEITZER, L. FLOURY, Droit et économie : un essai d’histoire analytique, préc., pp.

26s., qui citent la première chaire d’économie créée en 1820 aux Arts et Métiers occupée par Jean-Baptiste Say.

665 V. « Technocratie » sous « Technique » in Dictionnaire historique de la langue française,

préc.

666 G. HIRIGOYEN, « Brève histoire de l'évolution de la pensée financière scientifique », LPA

1994, n°108, pp. 12-18.

667 E. ANTONELLI, « Rapports du politique et de l’économique », in Mélanges Truchy, Sirey,

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catégories [économiques]»668, il devient évident que « les phénomènes économiques sont, en effet, inséparables des représentations mentales que les agents peuvent en avoir »669. De plus, l’analyse empirique de l’histoire des faits économiques apte à fournir « des régularités propres à un système de règles contingentes »670 ne devrait pas être confondue avec le savoir technique qui offre le moyen pour atteindre une fin. Cependant, le glissement d’un paradigme épistémologique fondé sur les sciences naturelles vers un autre qui relève des sciences sociales reste hétérodoxe671.

124. La méta-normativité du savoir à fonction technocratique. Même si

les théories économiques se sont présentées comme ayant une « valeur empirique douteuse »672 aux yeux des juristes, la portée technocratique du savoir économique ne doit pas être sous-estimée. Le choix politique fondé sur le savoir économique présente des avantages incontestables, lorsque ce savoir permet d’éliminer les scénarios invalidés par l’histoire économique. Cependant, lorsque ce choix est relégué à une théorie économique sans que le conventionnalisme scientifique soit saisi, il risque d’absorber la méta-normativité d’un tel savoir comme absolu et non relative. C’est, dans une certaine mesure, « demander à la

science plus qu’elle […] peut donner […] exiger de cette discipline un critérium des choix, c’est la faire sortir de son objet propre. »673.

125. Fonction technocratique, macro-économie et micro-économie. La

division scientifique entre micro-économie et macro-économie est acquise au début du XXe siècle avec les travaux de Keynes, considéré le père fondateur de

668 C. SCHMIDT, « Comment la croyance dans les lois économiques peut devenir un obstacle au

progrès de la science économique », in A. BERTHOUD, B. DELMAS, T. DEMALS (coord.), Y

a-t-il des lois en économie ?, préc., pp. 69-79, spéc. p. 79.

669 Id., p. 78.

670 N. POSTEL, « Les économistes, de la recherche de lois universelles à la découverte des

règles contingentes », in A. BERTHOUD, B. DELMAS, T. DEMALS (coord.), Y a-t-il des lois

en économie ?, préc., pp.563-583, spéc. p. 580.

671 Id., p. 582 ; J. GÉNÉREUX, Les vraies lois de l’économie, préc., p. 28 : « LES LOIS DE

L’ÉCONOMIE SONT LES LOIS DES HOMMES. Si elles existent, les lois de l’économie ne sont pas une mécanique naturelle et invariable. Elles sont fondées sur des conventions, des règles et des institutions créées par et amendables par les hommes ».

672 D. DANET, « La science juridique, servante ou maîtresse de la science économique ? »,

RIDE 1993. 5, spéc. p. 19.

673 G. LEDUC, « Sur la nature et les limites du problème économique », in Mélanges Henri

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la macro-économie674. Cependant, l’économie néoclassique, bien qu’elle élabore une synthèse entre les principes keynésiens et la loi de l’équilibre général de l’économie développée par l’approche micro-économique, se situe plus proche de la dernière que des premiers675. En ce sens, la fonction technocratique de la macro-économie s’est développée dans le contexte spécifique de l’économie étatique et notamment des mesures prises à la suite de la crise économique de 1929. En revanche, la théorie néoclassique s’est émancipée de la dimension étatique, en empruntant néanmoins la fonction technocratique pour les outils micro-économiques qu’elle propose.

§2. Du marché libéral au marché rationnel

126. L’autonomisation politique du concept de marché. L’échange comme lien social. La liberté commerciale et le libre échange international. La

naissance de la science économique est marquée également par une fonction libérale : l’échange relève d’une liberté naturelle, qui a la particularité de créer un lien social d’interdépendance676. La théorisation de la liberté économique peut être attribuée, selon une interprétation, à une « émancipation de l’activité économique vis-à-vis de la morale […] comme une réponse aux problèmes non résolus par les théoriciens politiques du contrat social »677. Le marché, à la base expression matérielle et empirique de l’échange, devient un concept à travers lequel l’échange est systématisé du point de vue théorique par les économistes. Le mouvement peut apparaître comme porteur d’un outil technique qui pourrait être mis au service d’une politique, cependant cette perspective technocratique serait réductrice du point de vue épistémologique678. Un auteur identifie dans le concept de marché tel que développé par le libéralisme un « modèle politique

674 Ph. MONGIN, sous « Économie théorique » in Dictionnaire d’histoire et philosophie des

sciences, préc.

675 Ibid.

676 J.-M. DANIEL sous « Libéralisme » in Dictionnaire de l’économie, préc. : « Les philosophes

libéraux […] vantent les mérites du commerce qui unit les hommes et les rendant dépendant les uns des autres ». V. aussi G. FACARELLO, « La « liberté du commerce » et la naissance de l’idée de marché comme lien social », in Ph. NEMO, J. PETITOT, Histoire du libéralisme en

Europe, pp. 205-253 ; Ph. NEMO, Préface de F.A. HAYEK, Droit, liberté, législation. Vol.2 Le mirage de la justice sociale, PUF, 2013, p. 30.

677 P. ROSANVALLON, Le libéralisme économique. Histoire de l’idée de marché, Seuil, p. II. 678 Ibid. L’auteur voit dans le concept de « marché » de la littérature du XVIIIe siècle non pas une

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alternatif »679, essentiellement indépendant « des formes de pouvoir et d’autorité »680, qui constitue une critique de l’État681. Cette représentation est soutenue par l’incompatibilité per se que les économistes classiques identifient entre l’économie et toute forme d’« organisation artificielle »682, y compris étatique. En ce sens, la nature de « construit » théorique du concept de marché, ainsi que sa contingence, sont occultées.

Le mouvement d’autonomisation scientifique de l’économie suit le schéma décrit par Niklas Luhmann, d’une autonomisation d’un sous-système social à travers l’assignation d’une fonction spécifique683. Le sous-système économique s’assigne la fonction de la liberté, ce qui le situe à la fois en parallèle et en

concurrence avec le système juridique étatique684 s’agissant des prétentions de régulation sociale685. De plus, lorsque l’épistémologie juridique orthodoxe privilégiera une approche interne, technique, elle-même ouvre la voie pour que l’économie s’inscrive dans la téléologie des « fins intermédiaires » du droit686. Il est par conséquent possible de placer l’autonomisation scientifique de l’économie dans une dynamique théorique qui va « détacher l’économie politique de ses sources juridiques originelles »687. En même temps, la théorie économique va « boucler »688 sur le droit en renforçant le fondement téléologique des principes tels que la liberté contractuelle689.

679 Id., p. IV.

680 Ibid.

681 J.-M. DANIEL, « Libéralisme » préc., « Le libéralisme des origines critique l’État colbertiste

[…] Jusqu’en 1914, l’économie européenne évolue selon une référence théorique faisant du marché la solution aux problèmes, et de l’État un problème en soi ».

682 M. LETER, « Éléments pour une étude de l’école de Paris (1803-1852) », in Ph. NEMO, J.

PETITOT, Histoire du libéralisme en Europe, préc., pp. 429-509, spéc. p. 446 : « l’école de Paris est définie par la présence exclusive d’économistes, de juristes, d’historiens et de sociologues libéraux, pour qui une économie non libérale ne relève pas de l’économique mais d’une « organisation artificielle » qui perturbe les lois de l’économie conçues comme naturelles. À cette époque, l’expression « économiste libéral » que nous employons aujourd’hui aurait donc été perçue comme une tautologie ».

683 N. LUHMANN, « L’unité du système juridique », préc., p. 180. V. supra n°119. 684 Sur la fonction libérale de l’imputabilité juridique v. supra n°58.

685 P. ROSANVALLON, Le libéralisme économique. Histoire de l’idée de marché, préc., p. II. 686 V. supra n°111.

687 B. OPPETIT, « Droit et économie », APD 1992. 17, spéc. p. 18. 688 V. supra nos 19 et 41.

689 V. D. RYAN, Review of P.S. ATIYAH, The Rise and Fall of Freedom of Contract,

Clarendon Press, Oxford 1979, Australian Journal of Law & Society, 1982, vol. 1, n°1, pp. 125- 131, spéc. p. 127.

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Cette systématisation alternative de la société se cristallise à la fois en tant que liberté du commerce (concurrence) sur le plan interne, ainsi qu’en tant que libre- échange au niveau du commerce international690, qui se présente comme une meilleure alternative à la guerre691. Les prémisses pour la privatisation de l’appréhension juridique du commerce international sont ainsi assurées à la fois au niveau téléologique et technique692.

127. L’ignorance du conventionnalisme scientifique. La liberté, valeur sécrétée par le concept de marché. L’affirmation de l’économie comme la

« science des échanges »693 conduit à la notion de marché comme forme de systématicité. Cependant, du point de vue méthodologique, si le concept a la base l’induction à partir d’un phénomène observable, son traitement selon une épistémologie scientifique orthodoxe va couper les vertus du concept de l’observation synchronique de la réalité économique. L’approche scientifique de l’économie va emprunter la méthodologie propre au phénomène scientifique à l’époque. En ce sens, avant la mise en évidence du conventionnalisme scientifique au début du XXe siècle, on procédait par la construction des hypothèses par voie inductive et leur démonstration par voie déductive. Au XIXe siècle, la liberté commerciale apparaît pour les économistes « comme une déduction logique des raisonnements antérieurs »694, à travers une démarche correspondant à l’épistémologie scientifique de l’époque, c'est-à-dire à travers « un processus de rectification par la raison de ce que nous donne à croire notre perception de la réalité »695. Les régularités du marché ne correspondent plus à son observation empirique, mais procèdent d’un marché idéal épuré à titre scientifique et fondé sur une perspective micro-économique, « atomisée »696 de

690 J.-M. DANIEL sous « Libéralisme » in Dictionnaire de l’économie, préc. 691 Ibid.

692 V. infra nos 293s.

693 B. OPPETIT, « Droit et économie », préc., p. 18.

694 G. KLOTZ, Y. BRETON, « Jules Dupuit : de la nécessité des lois en économie », préc., p.

229.

695 Id., p. 228.

696 D. RYAN, Review of P.S. ATIYAH, The Rise and Fall of Freedom of Contract, préc., p. 127

: « Disciples of Bentham and Ricardo supported individualism and an atomistic theory of society. “Political economy”, as Atiyah points out, abjured empiricism in favour of a priori principles derived from the model of the free market with its perfect competition. The theory was that market forces, the combination of supply and demand, would allow an individual to best allocate his resources to ensure his happiness. The sum of such individual optimal allocations was to be collective happiness ».

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la société. Cette rationalisation qui caractérise l’épistémologie scientifique orthodoxe semble avoir également contagionné le fonctionnement du marché postulé par la théorie économique, qui procède de l’hypothèse du principe de rationalité individuelle.

128. Le lien consubstantiel entre le marché et la rationalité. La rationalité économique : forme de causalité scientifique. La notion de rationalité est un

« postulat fondateur en économie »697, dans sa dimension « à la fois positive et normative : il s’agit de déterminer ce qu’est un comportement économique rationnel mais aussi ce qu’il devrait ȇtre »698. En ce sens, le concept peut ȇtre

rapproché fonctionnellement de la notion de causalité scientifique. Le modèle économique du marché comprend les relations qui s’établissent sur la base du principe de rationalité699, défini comme « la propension à préférer plus à moins, à obtenir la plus grande satisfaction à partir de ressources données ou, ce qui est équivalent, à atteindre un objectif donné avec le minimum possible de ressources »700. Les conditions de ce principe sont, d’une part, la transparence et d’autre part, la nature asociale de l’environnement dans lequel il se manifeste701. Cette forme de rationalité économique correspond à ce que les économistes ont classifié en tant que « rationalité forte (ou parfaite) [qui] suppose des individus ayant un accès parfait aux informations adéquates, une capacité de calcul et de traitement des informations optimale, au point que, dans la phase instrumentale, ils prennent les meilleures décisions, celles qui maximisent le résultat obtenu compte tenu des moyens disponibles »702. En ce sens, le principe de rationalité en tant que forme de causalité scientifique fonde un modèle de marché qui conduit, par la somme mathématique des choix individuels rationnels, à la maximisation du bien social. Ce paradigme de la rationalité forte, substantielle, issue d’une approche microéconomique a été consolidé par l’économie néoclassique (devenue orthodoxe) à travers l’autorité scientifique de son

697 N. BERTA sous « Rationalité » in Dictionnaire de l’économie, préc. 698 Ibid.

699 B. GUERRIEN sous « Marché » in Dictionnaire de l’économie, préc. 700 Ibid.

701 N. BERTA sous « Rationalité » in Dictionnaire de l’économie, préc. : « la rationalité

individuelle la plus simple suppose que l’individu prend sa décision dans un environnement donné, connu et sur lequel il n’a pas d’influence ou, plus précisément, sur lequel il pense ne pas avoir d’influence ».

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allégeance mathématique703. En revanche, le retour des recherches empiriques indiquait l’émergence hétérodoxe d’une conception procédurale et limitée de la rationalité.

129. La découverte de la rationalité procédurale, limitée. À partir de la

seconde moitié du XXe siècle, les travaux d’Herbert Simon orientent l’étude de la rationalité économique de sa dimension idéale vers sa dimension positive, en tant que « rationalité limitée » et de nature « procédurale »704, compte tenu des coûts pour l’analyse de l’information ainsi que de la variabilité de l’environnement inter-social705 : L’homo economicus redevient ainsi tout d’abord humain, la connaissance et le calcul absolus lui sont inaccessibles par définition, son choix rationnel devient un « choix raisonnable étant donné les connaissances partielles disponibles sur l’environnement »706 et le temps limité pour prendre une décision707. Selon cette perspective nouvelle, la rationalité procédurale ne garantit pas la rationalité substantielle : « l’erreur individuelle

peut ȇtre la plus élémentaire conséquence d’un comportement rationnel. Une procédure rationnelle de décision peut en effet conduire à un résultat sous-