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47. Le droit en tant que système juridique est souvent défini exclusivement par sa composition, celle d’ « ensemble de normes », ou « d'énoncés à fonction prescriptive produits par les acteurs juridiques »293. Cependant, une approche dynamique du système juridique ne peut pas se contenter d’une morphologie des normes juridiques. Il faut également identifier les fonctions de l’abstraction (§1), de la normativité (§2) et de l’imputation (§3) à travers lesquelles les normes juridiques ont été caractérisées.

§1. La fonction de systématisation de l’abstraction

48. La réduction de la complexité de la réalité294. La conceptualisation des

relations sociales à travers des normes juridiques qui forment un système assure une dimension compréhensible et maîtrisable du droit en tant que savoir

289 M. VAN DE KERCHOVE, M., F. OST, Le système juridique entre ordre et désordre, préc.,

p. 24, note de bas de page n°20.

290 R. LIBCHABER, op.cit., n° 310, p. 421.

291 Pour une analyse ayant au cœur cette distinction et constatant une « coexistence forcée » de

ses termes v. P. DEUMIER, Le droit spontané, Economica, 2002, n° 435, p. 444.

292 J. CHEVALLIER, « L’ordre juridique », in J. CHEVALLIER, D. LOSCHAK et al., Le droit

en procès, PUF, 1983, pp.7-49, spéc p. 14.

293 V. CHAMPEIL-DESPLATS, M. TROPER, « Proposition pour une théorie des contraintes

juridiques », in M. TROPER, V. CHAMPEIL-DESPLATS, C. GRZEGORCZYK, Théorie des

contraintes juridiques, Bruylant, LGDJ, pp. 11-23, spéc. p. 13.

294 N. LUHMANN, The self-production of law and its limits, Document European University

Institute, p. 3 cité par M. VAN DE KERCHOVE, M., F. OST, Le système juridique entre ordre

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construit par l’homme. En ce sens, Niklas Luhmann assimile le droit à un acte

de communication, qui suppose nécessairement une synthèse295. La

systématisation est par conséquent, au premier rang, un processus d’assignation de significations qui assure la différenciation du système de son environnement296. Un nouveau langage est créé, qui sert à établir les liens qui caractérisent le système. Synthétisant la doctrine orthodoxe, M. Libchaber observe que : « Le droit constitue en effet une sorte de structure posée sur la

réalité, par laquelle les choses du monde réel acquièrent une signification obligatoire. Il est ainsi la grille de lecture qui ne permet pas seulement de tracer les limites entre le licite et l’interdit, mais surtout de faire pénétrer l’ensemble des objets du monde réel dans des catégories juridiques, qui en déterminent un statut particulier »297.

Il s’agit d’un processus créateur d’une catégorie, car le résultat de la désignation n’a plus la même nature que ce qui en constitue l’objet : « désigner c’est créer une réalité juridique »298. Ce processus de représentation299 est essentiellement artificiel.

Deux aspects méritent d’être soulignés en ce sens: la conceptualisation juridique et le lien organique entre l’abstraction et la normativité.

49. Conceptualisme et dimension du système juridique. L’assignation de

significations donne lieu aux concepts juridiques qui servent à la formulation des règles juridiques. Les concepts visent ainsi la « modalité d’ȇtre », tandis que les règles visent la modalité de « l’avoir lieu des choses »300. En tant que porte entre le fait et le droit, les concepts juridiques déterminent, au moins provisoirement, la dimension du système juridique : ils fixent la limite des circonstances, des

295 N. LUHMANN, « L’unité du système juridique », APD 1986. 163, spéc. p. 169.

296 Ibid. : « La différenciation du droit se trouve, par conséquent, tout d’abord dans le réglage

thématique des processus de communication. [...] la différenciation du système juridique exige de faire une généralisation des éventualités qui en relèvent et de les réduire à une auto- description en tant que systèmes d’action ».

297 R. LIBCHABER, L’ordre juridique..., préc., n°19, p. 22. Même si l’auteur rejette une

approche scientifique du droit (n° 2, p. 3,) son paradigme gravite autour de l’ordre juridique.

298 M. VAN DE KERCHOVE, F. OST, Le système juridique entre ordre et désordre, préc., p.

163.

299 V. M.-L. MATHIEU, Les représentations…, préc. V. aussi J.-L. LE MOIGNE, « Les

systèmes juridiques sont-ils passibles d’une représentation systémique ? », RRJ 1985. 155.

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faits qui sont pertinents pour ce système. Ils créent, dans une certaine mesure, un dédoublement des significations, un univers parallèle à travers une sélection des circonstances potentiellement causales, perceptibles ou (encore) imperceptibles, qui sont infinies dans l’absolu.

50. Temporalité des fictions juridiques. Le fait d’occulter délibérément certaines circonstances, s’effectue par le biais des présomptions et des fictions. Si les premières concernent le terrain de la preuve, les dernières se placent « sur le terrain de l'être »301 ; la fiction « énonce comme vraie aux yeux du droit une proposition qui, par hypothèse, est fausse »302, elle est une « négation délibérée de la réalité certaine ou possible »303. Le besoin d’accompagner la fiction d’une dimension temporelle et par conséquent d’une relativité, s’impose par rapport à deux aspects : a) d’une part, la réalité qu’elle est censée nier est telle qu’elle ressort d’autres représentations scientifiques du monde, elle est elle-même le

construit d’autres sciences, susceptibles de révision ; b) d’autre part, la fiction

« manifeste les limites de la systématisation du droit en soulignant l’insuffisance des concepts qu’elle met en œuvre »304, d’où la nécessité d’un renouvellement périodique.

51. Le lien organique entre l’abstraction et la normativité, expression du

processus connaissance < > ordonnancement. Pour Kelsen, le «

comportement [humain] n’est […] objet [de la science du droit] qu’en tant que et dans la mesure seulement où il est prévu par des normes juridiques, où il figure en qualité soit de condition soit de conséquence, ou, en d’autres termes, qu’en tant que et dans la mesure où il apparaît comme contenu de normes juridiques »305. Cette approche met en évidence le lien organique entre l’abstraction et la normativité, repris par M. Mayer dans l’analyse du caractère

301 J. DABIN, La technique de l’élaboration du droit positif. Spécialement du droit privé,

Bruylant, Sirey, 1935, p. 275.

302 Ibid. Dabin, comme Geny, envisage la fiction seulement en tant que contraire à la « réalité

matérielle, [...] extérieure au droit » - v. G. WICKER sous « Fiction » in Dictionnaire de la

culture juridique, préc.

303 J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique, préc., p. 69.

304 V. G. WICKER sous « Fiction » in Dictionnaire de la culture juridique, préc. 305 H. KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 77.

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abstrait, distinctement du caractère général, de la règle de droit306. En ce sens, après avoir retenu « qu’une proposition est abstraite lorsque l’idée qu’elle exprime est en correspondance avec un caractère qu’elle prend en considération »307, M. Mayer déduit qu’une norme « est abstraite lorsque l’ordre qu’elle énonce se rattache au caractère retenu »308. Le lien entre l’abstraction et la normativité est d’autant plus saisi par cet auteur lorsqu’il distingue le caractère abstrait de la généralité de la norme : « Il ne suffit pas que le caractère [qui exprime l’abstraction] ait été choisi indépendamment de la personnalité du sujet (exigence négative relative à la généralité), il faut aussi qu’il l’ait été en fonction de certains effets à produire, qui lui sont rattachés (exigence positive relative à l’abstraction) »309.

Il est possible de qualifier ce lien entre abstraction et normativité en tant qu’organique, car il est l’expression directe de l’influence de l’ordonnancement sur le processus de connaissance. En ce sens, la normativité boucle sur la conceptualisation juridique, tandis qu’à son tour la conceptualisation en tant que processus de connaissance est influencée par l’autorité scientifique des autres disciplines310.

D’où l’importance de déconstruire, d’une part, la normativité de ce qu’on appelle droit positif et d’autre part, la méta-normativité de la science du droit.

§2. La fonction sécuritaire de la normativité

52. L’empirisme de la distinction entre l’« être » et le « devoir-être ». Héritée en tant qu’axiome, les manuels n’attachent pas beaucoup de discussions à l’affirmation que « la distinction entre le fait et le droit est au cœur du système

juridique »311. La constatation empirique de cette distinction s’impose avec une évidence qui rendrait en principe tout questionnement inutile. Kelsen s’y remet également, en précisant que la distinction entre Sein et Sollen « ne peut pas être expliqué[e] davantage […] [étant] donnée à notre conscience de façon

306 P. MAYER, La distinction entre règles et décisions et le droit international privé, Dalloz,

1973, n°54s., p. 38.

307 Id., n°56, p. 40. 308 Id., n°56, p. 41. 309 Id., n°58, p. 41.

310 Sur l’autorité scientifique en tant que méta-normativité v. infra nos 82 et 138s. 311 M. FABRE-MAGNAN, Introduction générale au droit, PUF, 2e éd. 2011, p. 27.

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immédiate »312. L’auteur renforce son observation par l’impossibilité de sa réfutation : « personne ne peut nier que l’assertion que ceci ou cela « est » […]

est essentiellement différente de la proposition que quelque chose « doit être » »313. La possibilité de connaître le Sollen, objet de la science juridique, est ramenée au critère identifiable de la volonté314, qui acquiert une signification

objective à travers un autre Sollen315, dont, ultimement, le fondement n’est pas la volonté, mais la norme fondamentale316, qui est supposée317. Le caractère

empirique de la distinction entre Sein et Sollen peut être attribué par conséquent à une représentation collective constitutive d’une réalité : « Ce qui est le droit, c’est ce que nous croyons ȇtre le droit »318.

53. La valeur de la normativité. À la recherche d’une science du droit, « anti- idéologique »319 par essence, Kelsen a voulu limiter l’usage stratégique de celle- ci, notamment celui de « servir de quelconques intérêts politiques en leur fournissant les « idéologies » »320. Son projet est de « décrire le droit tel qu’il est », le droit « réel » et « possible »321, détaché de toute considération quant aux valeurs dont le droit est porteur, qui elles sont relatives322. La contradiction de la démarche est mise en évidence par M. Amselek qui identifie l’ambivalence de la notion de « droit positif » chez Kelsen : tantôt « droit posé », tantôt « droit effectif »323. Deux autres observations sont également nécessaires.

D’une part, malgré les critiques y apportées324, il est possible d’identifier dans la

Théorie pure du droit un paradigme dialectique dans cette approche scientifique

du droit positif, une absence de « projet totalisant » (« non-totalising

312 H. KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 14. 313 Ibid.

314 Id. p. 14, note de bas de page n°1 : « Le contenu du Sollen […] est déterminé par des actes de

volonté, et, lorsqu’il est ainsi déterminé, est connu ».

315 Id., p. 16. 316 Id., p. 17. 317 Id., p. 194.

318 E. LEVY cité par H. MAZEAUD, « La maxime „error communis facit jus”», RTDciv. 1924.

929, spéc. p. 964.

319 H. KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 115. 320 Ibid.

321 Ibid. 322 Id., p. 71s.

323 P. AMSELEK, « Kelsen et les contradictions du positivisme juridique », APD 1983, pp. 271-

282, spéc. p. 273.

324 F. OST, M. van de KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique

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thought »)325, à travers le maintien d’un autre : « si le droit est identifié à la justice, le Sein au Sollen, la notion de justice a perdu tout sens, de même que celle de bien »326.

D’autre part, comme Kelsen l’admet également, lorsque la normativité est détachée de son contenu substantiel, il devient possible que le droit aie

n’importe quel contenu327. Cela est envisageable lorsqu’un ordre normatif repose sur un principe d’unité dynamique, défini par Kelsen comme « le fait que la norme fondamentale présupposée ne contient rien d’autre que l’institution d’un fait créateur de normes, l’habilitation d’une autorité créatrice de normes »328. Les prémisses d’une délégation pure étant ainsi assurées, la question se pose de savoir jusqu’où peut aller le contenu du droit posé au regard de sa distinction avec le fait. Bref, jusqu’où peut aller le droit délégué tout en restant du droit.

54. La possibilité de la contingence du droit positif. Kelsen ne peut identifier le droit positif qu’à travers un dénominateur commun formel : « ce qui est commun à tous les systèmes de morale possible, c’est leur forme, c’est le Sollen, c’est leur caractère de normes »329. Cependant, cette constatation constitue elle-même une proposition, un Sein, duquel on ne peut pas déduire que le phénomène normatif doit nécessairement se reproduire, car, comme l’admet Kelsen, Sein et

Sollen « existent simplement côté à côté comme deux mondes absolument

séparés »330. La contingence de la réalité du droit positif est ainsi indirectement admise : « À la question : « Le soleil se lèvera-t-il demain ? », Hume répond

325 P. LEGRAND, « The same and the different » in P. LEGRAND, R. MUNDAY (ed.),

Comparative legal studies : Traditions and Transitions, Cambridge University Press, pp. 240-

311, spéc. p. 250 : « a thought which accepts the other as interlocutor » ; C. ATIAS, Théorie

contre arbitraire, préc., p. 50 : « Les théories de l’État, de la volonté, de la personne en général

ou celle du droit subjectif […] supposent une conception globale de la réalité et du rôle du droit à son égard ».

326 H. KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 75.

327 H. KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 197 : « une norme juridique n’est pas valable

parce qu’elle a un certain contenu, c'est-à-dire parce que son contenu peut être déduit par voie de raisonnement logique d’une norme fondamentale supposée, elle est valable parce qu’elle est créée d’une certaine façon, et plus précisément, en dernière analyse, d’une façon qui est déterminée par une norme fondamentale, norme supposée (…) Il suit de là que n’importe quel

contenu peut être droit » (c’est nous qui soulignons).

328 Id., p. 196. 329 Id., p. 72.

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qu’il n’est d’autre réponse possible que la prédiction d’un évènement probable mais non pas nécessaire »331. Il n’y a donc aucune nécessité naturelle pour que le droit positif conçu à travers la distinction Sein – Sollen soit considéré une constante universelle.

De plus, du fait que le droit peut avoir n’importe quel contenu, la contingence du droit est contenue dans le principe dynamique de production normative, à

travers l’hypothèse théorique d’un Sollen qui prendrait la forme suivante :

« tout ce qui est, doit être ». En ce sens, la possibilité du droit posé de s’annihiler apparaît au moins comme une possibilité théorique.

55. La méta-normativité de la distinction entre droit et fait. Même si Kelsen rejette toute normativité de la science du droit332, celle-ci existe indépendamment de ses intentions333. Dans un lecture wittgensteinienne, Kelsen

construit la réalité de son objet scientifique à travers un acte de langage : la

distinction entre Sein et Sollen. C’est la décision d’assigner une signification au « devoir-ȇtre » distincte de l’ « ȇtre » qui institue la catégorie du « devoir-ȇtre ». Au regard de la contingence de cette distinction, il est possible d’affirmer que le

droit continue à être du droit aussi longtemps que le « devoir-ȇtre » est, ou plus

exactement est représenté comme distinct de l’ « ȇtre ». Cette (re)production du droit positif est identifié par Kelsen dans la valeur juridique (Rechtwert), que « le droit fonde précisément […] par le fait qu’il est norme »334. Cependant, Kelsen la considère « une valeur morale – relative »335, ce qui revient à admettre sa contingence. C’est à ce point que, peut être conscient de l’autorité scientifique de sa propre théorie, Kelsen s’empêche à identifier la méta-normativité de la valeur juridique à la norme fondamentale. Paradoxalement, ce refus rapproche Kelsen du jusnaturalisme.

56. Valeur juridique (Rechtwert) [Kelsen] et « clôture normative » [Luhmann].

La valeur juridique comme méta-normativité du système juridique ressort

331 É. MAULIN sous « Positivisme » in Dictionnaire de la culture juridique, préc. 332 H. KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 88s.

333 C. ATIAS, Théorie contre arbitraire, préc., p. 40 : « la théorie explicative est normative dans

la mesure où elle apporte nécessairement son appui à certaines positions et en condamne d’autres».

334 H. KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 73. 335 Ibid.

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cependant de l’analyse de Niklas Luhmann, qui remarque que « la normativité

n’a d’autre but ultérieur (au sens d’une « fin » intentionnelle). Sa fonction consiste en la possibilité de se créer continuellement soi-même, instant par instant, cas par cas, coup par coup, et elle est destinée précisément à ne pas trouver de fin »336 (c’est nous qui soulignons). Le contenu du droit positif trouve par conséquent une limite dans sa « clôture normative »337 : c’est le droit qui définit lui-même ce qu’il est, donc il peut ȇtre n’importe quoi, sauf du fait, car cela l’anéantirait vu qu’il se définit par opposition au fait. Selon Niklas Luhmann, « un droit qui est fortement capable de s’instruire, de s’adapter, d’ȇtre « responsable » doit éviter de discréditer sa propre normativité, faute de quoi il

se bornera à n’ȇtre qu’un instrument dans l’outillage bureaucratique du pouvoir politique »338 (c’est nous qui soulignons). D’où l’importance sécuritaire, pour la

continuité de l’idée de droit, de la normativité, ou plus exactement du couple

normativité-factualité, car l’une se définit par rapport à l’autre.

§3. La fonction libérale de l’imputabilité

57. L’imputabilité, expression de la normativité juridique. L’idée de

l’imputation chez Kelsen est censée met fin à une boucle causale que l’approche positiviste cherche à éliminer339. Kelsen avait saisi « l’essence de la causalité – la chaîne des causes et des effets est infinie dans les deux directions »340. Par conséquent, il introduit l’idée d’imputabilité pour caractériser une relation normative, ce qui élimine cette boucle infinie. Cependant, lorsqu’il identifie dans la pensée primitive la relation de l’homme avec la nature en termes d’imputation et non de causalité341, il fournit indirectement un argument pour le paradigme scientifico-juridique342. Une fois la distinction entre la science et le

336 N. LUHMANN, « L’unité du système juridique », APD 1986. 163, spéc. p. 173. 337 Ibid.

338 Id., p. 188.

339 Dans l’approche positive des phénomènes, la constatation d’une boucle infinie des causes est

éliminée par la réduction du problème à résoudre à une dimension maîtrisable, par le traçage de bornes : « La pensée se débarrasse de toute considération métaphysique de cause première ou finale et, plutôt que de spéculer sur la raison d’ȇtre des phénomènes, se contente d’établir leurs conditions d’existence. ». v. É. MAULIN, « Positivisme » in DCJ ;

340 H. KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 98. 341 Id., p. 91.

342 Id., p. 92 : « ce qui est nature du point de vue de la science moderne est, pour le primitif, une

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droit acquise, le dernier avait besoin de s’y détacher au regard du principe de causalité, ce qu’il fait par une ré-appropriation de la notion d’imputabilité. Contrairement à la série causale, « il y a un point final de l’imputation »343, postule Kelsen, et ce point final est l’homme libre et par conséquent juridiquement responsable344. Pour l’éminent juriste, l’identification de l’auteur d’un acte de conduite est une question factuelle, tandis que la question juridique est celle de l’imputation : « qui doit répondre de la conduite en question ? »345. En ce sens, l’imputabilité, assortie de la contrainte, devient l’expression caractéristique de la normativité juridique qui la distingue d’autres ordres normatifs : « On ne peut pas non plus trouver une différence entre et le droit et la morale dans ce que ces deux ordres sociaux ordonnent ou défendent respectivement ; on ne peut la trouver que dans la façon dont ils ordonnent ou défendent des actes humains »346.

58. L’équilibre liberté < > imputabilité. L’impossibilité d’évacuer toute valeur de l’épistémologie kelsenienne se retrouve dans l’apparition de l’idée de liberté de manière consubstantielle à l’imputabilité : « Imputation et liberté sont en réalité essentiellement liées l’une à l’autre »347. Kelsen établit ainsi une relation bidirectionnelle dans laquelle chaque membre boucle sur l’autre, dont le rôle instituant appartient à l’imputabilité : « On n’impute pas à l’homme parce qu’il

est libre, mais l’homme est libre parce qu’on lui impute »348. Il trouve dans la capacité humaine de représentation de l’imputabilité l’outil de l’équilibre social : comme dans la loi de l’équilibre de Pareto, à partir d’un certain point la liberté d’un ne peut s’accroître qu’en contrepartie de la liberté des autres349. La formule dynamique serait la suivante : l’homme est libre aussi longtemps qu’il se

343 Id., p. 99. 344 Id., p. 101. 345 Id., p. 100. 346 Id., p. 70. 347 Id., p. 105. 348 Ibid.

349 V. J. GÉNÉREUX, Les vraies lois de l’économie, Seuil, 2005, p. 84 : « une situation est

optimale, au sens de Pareto, quand il n’est plus possible d’améliorer le bien-ȇtre d’un individu sans détériorer celui d’au moins un autre [...] il importe de souligner que ce critère ne prétend nullement définir un optimum social. Il s’agit d’un simple critère d’efficacité, cette dernière étant elle-même comprise comme une absence de gaspillage des ressources ».

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représente en tant que point final de l’imputation350. Cette idée de « liberté sous la loi consiste […] en la garantie qu’on ne sera pas soumis à la volonté arbitraire