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60. Dans la société de la connaissance qui caractérise la contemporanéité, le savoir scientifique a la valeur d’une information358, susceptible d’une utilisation stratégique par les membres de la société. Le savoir juridique n’est pas à l’abri d’un tel emploi. Le principe de sécurité juridique en tant qu’« idéal de fiabilité d’un droit accessible et compréhensible, qui permet aux sujets de droit de prévoir raisonnablement les conséquences juridiques de leurs actes ou comportements, et qui respecte les prévisions légitimes déjà bâties par les sujets de droit dont il favorise la réalisation »359, est-il susceptible d’une instrumentalisation dans la société de la connaissance ? Les deux volets susmentionnés de la sécurité juridique mettent en évidence le caractère non- instantané de la positivité juridique. Au regard de ce caractère, la sécurité juridique assure, d’une part, à la fois une fonction épistémologique pour les membres de la société (§1) et la sécurité à l’encontre de l’arbitraire des institutions (§2). D’autre part, elle soulève la question de savoir dans quelle mesure elle contribue à (im)poser également une certaine connaissance des comportements sociaux (§3).

§1. La fonction épistémologique de la sécurité juridique

61. Les règles juridiques en tant que source de connaissance. La règle en tant que norme substantielle360 est considérée « l’élément juridique de base, la composante élémentaire des manifestations du droit »361. Le positivisme lui attache une importance considérable en tant que « phénomène caractéristique du

358 V. Ph. BRETON, « La “société de la connaissance” : généalogie d’une double réduction »,

Education et sociétés, 1/2005, pp. 45-57. Pour l’auteur, « la notion de société de la connaissance est le produit d’un double déplacement : d’une part la connaissance est assimilée à la science, plus précisément à la technoscience, d’autre part la connaissance scientifique est réduite à l’information ».

359 Th. PIAZZON, op.cit., n° 48, p. 62.

360 P. MAYER, La distinction...., p. 10, n°13 : « les normes qui ont directement pour objet

d'imposer des obligations ou de conférer des droits, et non de définir le mode d'élaboration ou d'application d'autres normes. »

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droit »362. Pour Batiffol, la norme est une « prescription de caractère général, formulée avec une précision suffisante pour que les intéressés puissent la connaître avant d'agir »363. Pour M. Mayer elle est « toute disposition émanant d'un organe étatique qui contribue à énoncer les droits et les obligations des individus »364. Ces définitions ont toutes à la base une vision dans laquelle une fonction essentielle de la règle juridique est de fournir un modèle de comportement.

Cette fonction correspond à la représentation selon laquelle c’est à la règle juridique qu’il est « assignée la vocation de donner la mesure de la possibilité

de l’avoir lieu de choses »365. Selon M. Amselek, la catégorie modale peut ȇtre fixe (0 ou 100% dans le cas des règles impératives et prohibitives) ou variable (entre 0 et 100% dans le cas des règles permissives)366. Cette marge d’appréciation est assortie cependant de ce qui constitue, selon Hart, la « pénombre d’incertitude » (« penumbra of uncertainty »)367 quant à sa représentation concrète. L’évolution des relations sociales rend nécessaire l’interprétation368 de la règle par les sujets de droit, à la fois dans leur qualité de

personnes privées ou d’organes compétents (e.g. juges). Au regard du fait que « le vocabulaire juridique est par nature équivoque »369, l’exercice usuel consiste dans la déconstruction des concepts juridiques jusqu’au traitement de l’environnement factuel au moment de l’adoption de la règle.

362 Id., n° 203, p. 271.

363 H. BATIFFOL, Communication du 18 décembre 1962 à la Faculté de droit de Paris, cité par

B. GOLDMAN, « Frontières du droit et « lex mercatoria », APD 1964. 177, spéc. p.187s. V. aussi Liste des critères de l'Etat de droit adoptée par la Commission de Venise à sa 106e session

plénière, préc.

364 P. MAYER, La distinction...., p. 10, n°13. V. aussi p. 11s, n°16 : Pour M. Mayer l’organe de

l’Etat doit être spécialement désigné comme tel, ce qui exclut les personnes privées comme organes créateurs de droit, contrairement à la perspective de Kelsen.

365 P. AMSELEK, Cheminements philosophiques…, préc., p. 62. 366 Id.., pp. 87s.

367 H. L. A. HART, Le concept de droit, trad. M. van de Kerchove, 2e éd., Facultés universitaires

Saint-Louis, 2005, p. 30. H. L. A. HART, The concept of law, 2nd ed., OUP, 1994, p. 12.

368 Sur le caractère inhérent de l’interprétation et le rejet de la théorie de l’acte clair v. D.

SIMON, L'interprétation judiciaire des traités d'organisations internationales. Morphologie des

conventions et fonction juridictionnelle, Pedone, 1981, pp. 117s., spéc. p. 118 : « la clarté ou

l’obscurité du texte ne peut pas être le point de départ, encore moins une condition sine qua non de la mise en œuvre du processus interprétatif, mais la constatation de la clarté du texte est le résultat de l’interprétation ».

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62. Que « voit » le législateur et de quelle manière voit-il. La formulation d’une règle de droit est dépendante de ce qui est apparent ou prévisible par rapport à l’état de connaissances dans la société à un moment donné. L’abstraction prend la forme d’une synthèse : dans sa généralité, la loi exclut des circonstances précises, des éléments qui restent ainsi indifférents, donc factuels370. Ce qui apparaît, du point de vue de sa fréquence, comme la situation-type, est le plus facile à intégrer en tant qu’hypothèse de la règle, soit-elle permissive ou prohibitive. En revanche, l’atypique prend le plus souvent la forme de l’exception, à travers un catalogue, dans la mesure où il est représenté. Par exemple, le Code civil français prévoit à titre de règle l’existence du consentement, et énumère les vices du consentement. La teneur qualitative d’une règle permissive dépend par conséquent également de ce qui à un certain moment apparaît comme la situation-type souhaitable du point de vue de sa fréquence (e.g. la validité des contrats). D’où une certaine opacité, voire indifférence téléologique du système juridique, par rapport à ce qui apparaît comme l’atypique, comme s’il était moins fréquent en pratique371.

63. L’inconnu et la certitude d’un « devoir être ». Si la textualité de la règle ne peut « tout prévoir »372, cela ne signifie pourtant pas que n’importe quelle situation ne puisse tomber sous l’appréhension du droit, en tant que rapport de

droit. Selon Kelsen, tout comportement serait réglé soit positivement soit

négativement ; ce dernier devrait être considéré comme « juridiquement réglé […] dans le sens où il peut devenir l’objet d’une norme juridique, en particulier être juridiquement commandé ou interdit »373. Or, la prémisse de cette certitude quant à la concrétisation du « devoir être » est la garantie procédurale de l’accès au juge374. La représentation de la possibilité d’une action en justice influence ce que, selon Niklas Luhmann, apparaît comme « un dédoublement du caractère d’attente normative en une valeur positive et une valeur négative »375. Cette

370 V. supra n°49.

371 Sur le développement exponentiel des dérivés de manière invisible par rapport aux

transactions sur les marchés réglementés v. supra n°29.

372 D. SIMON, L’interprétation judiciaire..., préc., p. 125. 373 H. KELSEN, Théorie générale des normes, PUF, 1996, p. 171.

374 Sur l’importance de la fonction juridictionnelle pour la positivité juridique v. infra nos 93s. 375 N. LUHMANN, « L’unité du système juridique », APD 1986. 163, spéc. p. 179.

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représentation de l’imputation376 dans le langage de Kelsen, conditionne et est conditionné par la qualité de sujet de droit, qui implique la capacité d’attribuer une valeur positive ou négative à ses comportements, au moins provisoirement. En tant qu’exigence de la production législative, le principe de sécurité juridique vise par conséquent à réduire l’incertitude quant à l’objectivation de l’imputation par les juges : il faut que leurs décisions soient prévisibles377. Il demande que la textualité des règles juridiques permette une représentation raisonnable de l’imputation, pour que « les sujets du droit [puissent] orienter leur conduite d’après les décisions juridictionnelles prévisibles »378. Le problème de l’équivoque de la textualité qui prend la forme de la « polysémie diachronique du langage juridique »379 boucle sur la représentation du raisonnable à travers le sens assigné à la rationalité.

64. Raisonnable et déraisonnable dans la conduite humaine. Comme l’indique également son étymologie380, la norme est un outil de mesure, « créé[e] et manipulé[e] par l’Homo Faber »381. Si l’observation a été faite par rapport à la logique de la création de la règle par les organes habilités en ce sens, elle est également applicable par rapport aux sujets de droit qui n’ont pas cette qualité. Lorsque les règles posées octroient une certaine liberté à ceux-ci, il est prévisible qu’ils vont en user. Cependant, surtout en ce qui concerne les règles permissives, il est difficile d’anticiper les limites de l’exercice de la liberté ainsi octroyée. L’« art de se faufiler dans l'interstice des lois »382 est une donnée anthropologique, que ce soit dans le sens de la réclamation d’une liberté ou

376 V. supra n°58.

377 H. KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 250. 378 Ibid.

379 D. SIMON, L’interprétation judiciaire..., pp. 114-115 et 384.

380 Du latin « norma » – v. P. AMSELEK, Cheminements philosophiques…, préc., pp. 56s. R.

LIBCHABER, L’ordre juridique et le discours du droit. Essai sur les limites de la connaissance

du droit, LGDJ, 2013, n° 206, p. 273.

381 P. AMSELEK, « Avons-nous besoin de l’idée de droit naturel ? », APD 1978. 343, spéc. p.

347; J. DABIN, La technique..., p. 28 : « La règle de droit n'existe nulle part à l'état de donné ; partout et toujours elle est « fabriquée » par l'homme ». V. aussi P. AMSELEK, « La Phénoménologie et le Droit », APD 1972. 237.

382 L. DABIN, « L'aménagement des pouvoirs normatifs selon une perspective commune aux

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d’une prohibition383. Ce sont les conflits qui rendent visibles les limites de l’exercice des droits, lorsque, par exemple, un certain comportement est contesté en justice, y compris à titre d’un abus de droit. En ce sens, il est possible d’affirmer que l’action en justice existe justement pour que ces limites

deviennent visibles et ainsi débattues. Au regard de cette possibilité, un

comportement sera adopté, sur la base d’une certaine connaissance du droit, en fonction d’un calcul de rentabilité sociale, dans lequel l’imputation se présente seulement comme un risque, et non comme une certitude. La connaissance du droit devrait entraîner son efficacité, mais de cela il ne peut en résulter une réalité. Le caractère abstrait de la règle384 est susceptible de caractériser également la représentation de l’imputation. De plus, s’agissant des recours de droit privé dont les parties ont la disponibilité, ce risque abstrait est susceptible d’être aménagé, selon une perspective économique385. La rationalité de l’usage stratégique de la connaissance de la règle juridique, quel rapport entretient-elle avec le caractère raisonnable de la représentation de l’imputation sur la base de la textualité de la règle juridique ?

65. La rationalité du déraisonnable. Perelman notait que « chaque fois qu’un droit

ou un pouvoir quelconque, même discrétionnaire, est accordé à une autorité, ou à une personne de droit privé, ce droit ou ce pouvoir sera censuré s’il s’exerce d’une façon déraisonnable »386. Il serait par conséquent raisonnable d’avoir l’attente normative que l’abus de droit entraîne l’engagement de la responsabilité de celui qui l’a commis. Cependant, il est également rationnel d’avoir l’attente normative qu’un certain comportement n’engage pas la responsabilité de son auteur aussi longtemps que le type de comportement en cause n’a pas été

effectivement censuré, que cette tolérance ait été intentionnelle ou non.

Si la positivité de l’imputation n’est pas une certitude, il s’ensuit qu’aussi

longtemps qu’un certain comportement n’est pas censuré à travers l’engagement de la responsabilité, la représentation (rationnelle) des limites de

383 Id., n°5, p. 50 : « De tout temps, l'homme d'affaires est enclin à se prévaloir des bienfaits de la

libre concurrence lorsque tout va bien et à réclamer l'intervention vigoureuse des pouvoirs publics, lorsque les conditions du marché tournent à son désavantage ».

384 V. supra n°51. 385 V. infra nos 274s.

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l’exercice raisonnable des droits demeure théorique. Par conséquent, il est

possible d’affirmer qu’un sujet de droit, soit-il personne privé ou organe étatique, demeure raisonnable, aussi longtemps qu’il se représente la certitude de l’imputation du déraisonnable, c’est-à-dire la représentation de la

responsabilité engagée en cas de dépassement de certaines limites qu’il est censé anticiper. Lorsque cette représentation n’existe pas, il devient apparemment raisonnable de penser que les limites n’existent pas, ou, en tout cas, qu’elle

n’ont pas été atteintes. La rationalisation du droit par le modèle économique du marché387 crée les prémisses pour une distorsion des rapports entre rationalité et

raisonnable, avec des conséquences non négligeables pour la portée sécuritaire

de la prévisibilité. Car si la rationalité est susceptible d’une déclinaison subjective, individuelle, le raisonnable est l’affaire de tous, car il vise l’intersubjectivité.

§2. La portée sécuritaire de la prévisibilité juridique

66. L’association des sujets de droit à la création de la positivité. Le principe de sécurité juridique est une exigence de la production normative dans toutes ses formes : législative, administrative et judiciaire388. Au regard de la portée générale des règles, il commande la non-rétroactivité de la loi. Au regard de la portée relative, individuelle, des normes, il impose le respect, par les autorités administratives et le juge, des prévisions légitimes et raisonnables bâties par les sujets de droit. En ce sens, le système juridique associe, à travers le principe de sécurité juridique, la société toute entière à la représentation du « devoir être », à la création de la positivité. La contingence du droit positif dépend, en dernier lieu, de la dynamique sociale.

67. Épistémologie de la systématisation juridique de la dynamique sociale. La dynamique sociale constitue, d’une part, l’objet de la normativité juridique, en tant qu’environnement factuel, « être ». D’autre part, elle est source de normativité, posée en tant que telle par le droit lui-même. Dans cette dernière

387 M. WEBER, Économie et société, t. 1, Plon, 1971, p. 350, cité par Th. PIAZZON, op.cit., n°

71, p. 98.

388 Certains auteurs considèrent que « les sujets de droit, sont aussi les destinataires de la sécurité

juridique » - J.-B. RACINE, F. SIIRIAINEN, « Sécurité juridique et droit économique. Propos introductifs », in L. BOY, J.-B. RACINE, F. SIIRIAINEN (dir.), Sécurité juridique et droit

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perspective, la normativité répond au schéma d’une « opération intellectuelle […] [dont] [la matrice constructive [est] factuellement déterminée »389. L’empirisme boucle sur le volontarisme en opposant l’effectivité à la légalité formelle.

68. L’opposition entre le droit délibéré et le droit spontané en termes de

compétence. Compétence institutionnalisée et compétence anonyme. Le

caractère artificiel du normativisme volontariste qui correspond à une vision

institutionnalisée de la société a été dénoncé par la constatation empirique du

droit spontané390. Cependant, c’est précisément cette opposition qui permettrait de caractériser ce dernier de normativisme anonyme. Car à un modèle normatif qui suppose l’institutionnalisation391 de la compétence normative, soit-elle

centralisée au niveau législatif ou décentralisée au niveau juridictionnel392, on oppose un modèle qui rend cette compétence anonyme. Dans les mots de Habermas, à un schéma de légitimation par le haut s’oppose un schéma de légitimation par le bas393.

69. Le caractère spontané du droit. Le droit spontané serait caractérisé, selon Mme Deumier, d’un double point de vue : la spontanéité du comportement qui sert d’« acte originel »394 et la spontanéité de son caractère normatif395. Une distinction est ainsi opérée entre « l’acte juridique ainsi crée [par le comportement en cause], et la règle de droit objectif virtuellement contenue dans cet acte »396. La spontanéité du comportement est opposée au caractère délibéré de la proposition : « la proposition implique une idée de réflexion, de rationalité,

que l’on ne retrouve pas dans le comportement »397. Pour ce qui est de la spontanéité du caractère normatif, elle consisterait dans la circonstance que les

389 A. GARGANI, op.cit., p. 166. V. supra nos 26 et 55.

390 Cette constatation empirique est néanmoins présenté en tant qu’axiome (donc de manière

scientifique) hérité à travers le dicton « Ubi societas, ibi jus ».

391 Sur ce processus v. A.-J.ARNAUD, Critique de la raison juridique, LGDJ, 1981, p. 323, cité

par M. VAN DE KERCHOVE, F. OST, Le système juridique…,préc., p. 167.

392 H. KELSEN, Théorie pure du droit, préc., p. 252. 393 V. supra n°23.

394 P. DEUMIER, op.cit., n° 15s, p. 26. 395 Id., n° 11, p. 22.

396 Id., n° 29, p. 35. 397 Id., n° 220, p. 202.

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comportements « n’étaient pas déterminés par une volonté de poser une règle »398, contrairement au caractère délibéré de la normativité du droit posé. 70. Déconstruction de la distinction. L’épistémologie de la construction de la

distinction entre le droit délibéré et le droit spontané appelle une déconstruction au regard du conventionnalisme scientifique.

71. Le comportement en tant que réaction, ordonnancement. Premièrement,

l’idée du comportement en tant qu’acte non-réfléchi équivaudrait à un acte reflexe, automatique. Cependant, la découverte de la notion de « rétroaction » (feedback) a montré que même l’acte réflexe n’a pas lieu ex nihilo, il est une ré-

action à un stimulus, ce qui implique la préexistence d’une action. Ainsi, le

comportement qui sert d’« acte originel » est nécessairement la réaction, plus ou moins réfléchie, à au moins un acte de connaissance. Mais sa nature de réaction le distingue essentiellement par la qualité d’agir, de la volonté. Dans le langage de la coproduction, le comportement n’est pas un acte de connaissance, mais d’ordonnancement (réaction). Le caractère accidentel de l’originalité de cet acte ne lui enlève pas cette nature. L’homme s’est mis à l’abri du froid parce que son corps a réagi de manière négative au froid, et qu’il a pris connaissance cognitive de cette réaction organique. S’il l’a fait en utilisant des grottes, en portant des vêtements ou en construisant des maisons, dans chaque cas, ce comportement constitue un acte de décision, de volonté dont la spontanéité n’est que la vision instantanée. Celle-ci est une fiction dans la mesure ou il est procédé comme si la chaîne causale infinie n’existerait pas. Mme Deumier admet implicitement la prédétermination de l’« acte originel » dans la mesure où il est admis que cet acte « répond à un besoin ressenti par son auteur »399. Comme le souligne Djuvara, « les règles [de droit coutumier] sont également des règles pensées, d'abord individuellement et puis collectivement, pour pouvoir devenir des règles positivement obligatoires »400.

72. La normativité spontanée, conditionnée par la connaissance du

comportement originel. À son tour, le caractère spontané de la normativité

398 Id., p. 203, n°220.

399 P. DEUMIER, op.cit., n° 36, p. 39.

400 M. DJUVARA, « La notion de droit positif », Annales de la Faculté de Droit de Bucarest, n°4

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d’un acte, conduisant à un mode d’organisation sociale, est prédéterminé par un acte de connaissance, celui de l’acte originel. Pour qu’il soit répété et ainsi acquérir la capacité de modèle de comportement, l’acte originel doit être connu,

il doit être visible, public pour ceux qui sont susceptibles de le reproduire.

L’attribution de valeur normative à ce comportement est également un acte de

décision, d’ordonnancement, même s’il est considéré comme mimétique. Le choix de répéter ou pas un comportement existe, il n’est pas annulé. Sauf que,

dans ce cas, le « devoir être » prend à la limite la forme de la sélection naturelle, à travers l’annihilation du comportement contraire. Les hommes qui ne se sont pas mis à l’abri du froid ont certainement développé une certaine résistance, mais n’ont pas survécu au delà de certaines températures, par conséquent le mode d’ordonnancement social s’est imposé par la nature des choses, à travers

les choix stratégiques et anonymes des membres d’une communauté.

73. La sélection naturelle, contrainte du droit spontané. Le droit spontané s’identifie, in fine, à la dynamique sociale qui résulte de la somme des choix individuels anonymes, et à la sélection naturelle en tant que valeur juridique. Ce « darwinisme » a été saisi en la doctrine par Hayek401. La normativité spontanée est tout simplement anonyme au lieu d’être institutionnalisée, et correspond à un projet totalisant sans que la distinction entre la nature et la société aient des conséquences épistémologico-normatives. Le « devoir être » est ce qui est, ou ce qui est doit être402. Cette fusion de la connaissance et de l’ordonnancement,

impossible logiquement pour Kelsen403, rend visible, paradoxalement, la contingence de tout modèle scientifique.

74. Contingence des modèles scientifiques. Comme l’observe Kelsen, « si […] un

corps se comporte autrement que ne le voudrait une prétendue loi naturelle, cela