• Aucun résultat trouvé

La prise en considération des intérêts des clients

Selon les tenants de la thèse pluraliste, la création de la valeur pour les actionnaires devrait être annulée par une répartition de la valeur créée entre toutes les parties prenantes de l’entreprise (Bogliolo, 1996, 2000). En effet, Charreaux et Desbrières (1998)24, considèrent que la vision moniste de la firme selon laquelle les actionnaires, créanciers résiduels exclusifs, étant les seuls apporteurs de ressources à recevoir la rente crée par la firme, est d'une part incomplète, car les décisions de la firme entraînent des conséquences pour l'ensemble des stakeholders, d'autre part semble incompatible avec la représentation contractuelle selon laquelle la firme est un noeud de contrat entre les différents stakeholders, actionnaires, mais également, créanciers, salariés, dirigeants, clients, fournisseurs, pouvoirs publics, ou celle selon laquelle la firme constitue un jeu coopératif entre les différentes parties prenantes (Aoki M, 1984).

De même, Charreaux (1997a, b) souligne que l’assimilation de la notion d’efficacité à celle de création de valeur pour les actionnaires suppose des conditions encore plus stricte, notamment qu’ils soient les propriétaires exclusifs de la firme, en définissant la propriété de la firme comme la détention simultanée des droits de contrôle résiduels et des droits à l’appropriation des gains résiduels. Sous cette hypothèse les actionnaires supportent l’intégralité des conséquences des décisions prises et il est équivalent de maximiser la valeur totale de la firme ou la valeur pour les actionnaires, seuls créanciers résiduels. Cependant, avec cette définition de la propriété, l’identification des propriétaires devient complexe, par exemple les actionnaires, notamment ceux des grandes sociétés cotées de type managériale qui ne sont ni

24

les décideurs résiduels, ni les seuls créanciers résiduels, ne peuvent être considérés comme les détenteurs exclusifs des droits de propriété.

Dans le même cadre d’analyse retenue par cette théorie, Hill et Jones (1992) formulent une théorie de l’agence généralisée, qui intègre la théorie des parties prenantes à la théorie de l’agence (Hirigoyen et Pichard-Stamford, 2006), en considérant que la position centrale du dirigeant lui assure un différentiel de pouvoirtoujours positif pour arbitrer le conflit entre les différentes parties prenantes de la firme. Dans cette théorie la notion de coût d’agence est élargie et remplacée par celle de coûts contractuels, relatifs aux réductions d’utilités supportées par les différentes parties prenantes pour faire fonctionner les mécanismes disciplinaires et aux pertes d’utilités résiduelles. La notion de structure institutionnelle se substitue à celle de structure de gouvernement de manière à incorporer, en sus des mécanismes disciplinaires, les garanties afférentes à l’exécution des contrats implicites entre le dirigeant et les différents partenaires.

A la différence des auteurs cités ci-dessus, qui adoptent les principes de la théorie de la théorie des parties prenantes. Jensen (2001) affirme que cette théorie où les dirigeants doivent prendre des décisions dans le but de tenir compte des intérêts de toutes les parties prenantes de la firme, ne précise pas comment faire le choix nécessaire entre ces intérêts compétitifs25 et laisse les dirigeants avec une théorie qui ne leur permet pas de prendre des décisions performantes. Pour combler cette insuffisance, Jensen a formulé une théorie éclairée de la maximisation de la valeur qui considère, la maximisation de la valeur de la firme sur le long terme, comme critère de choix entre les intérêts de ses parties prenantes. Dans cette vision, c’est l’intérêt des clients qui doit être privilégié tout en tenant compte des intérêts des autres parties prenantes. L’entreprise doit être orientée clients pour maximiser sa valeur sur le long terme (Deshpandé et al, 1993).

Parallèlement, en s'appuyant sur le principe d'efficacité, Williamson (1985) analyse les mécanismes organisationnels qui permettent de gérer les différentes transactions entre la firme et ses parties prenantes, selon le critère de minimisation des coûts de transaction, ces derniers

25 La concurrence entre les intérêts des différentes parties prenantes de la firme signifie que les clients demandent des prix plus bas, une bonne qualité des produits et un service complet. Les salariés réclament des salaires élevés et de bonnes conditions de travail. Les fournisseurs du capital exigent un risque minimum et des rendements élevés. Les fournisseurs des produits exigent des paiements au comptant ou à crédit. La communauté demande des contributions charitables élevées, des dépenses sociales, des investissements locaux et des emplois stables (Jensen, 2001).

incluant les coûts d'agence. Ils opposent les mécanismes intentionnels issus d'un dessein de contrôle de la transaction de nature institutionnelle, aux mécanismes spontanés de nature contractuelle. Les premiers permettraient de gérer plus efficacement les transactions mettant en jeu des investissements fortement spécifiques. Ainsi, le conseil d’administration interviendrait pour contrôler les transactions avec les actionnaires censés financer les investissements spécifiques à la firme. Le fait que d’autres parties prenantes peuvent avoir les mêmes qualités dépend de leur relation contractuelle avec la firme. Inversement, la relation de prêt associée au financement d’actifs redéployables serait plus efficacement protégée par un mécanisme spontané et contractuel sous forme de clauses ou de garanties.

Ainsi, les salariés qui dans le cadre de la relation salariale, effectuent des investissements en capital humain spécifique à la firme, encourent un risque lié à la nature à long terme des contrats de travail. Des mécanismes tels que la cogestion ou la participation au conseil d’administration permettraient de préserver leurs intérêts et contribueraient à minimiser les coûts liés à cette transaction particulière.

La protection des clients serait le plus souvent assurée indépendamment de tout mécanisme institutionnel, grâce notamment à la marque qui fait intervenir la réputation de la firme et aux contrats de garantie. Du côté des fournisseurs, pour garantir leurs intérêts, il n’est pas nécessaire d’avoir ni une gouvernance spécialisée, ni une participation au conseil d’administration, la protection que permet le marché est suffisante.

A la différence de Williamson qui s’est intéressé à l’analyse de ces mécanismes, Blair (1995,1999, 2001) et Rajan et Zingales (1998) affirment que les dirigeants devraient gérer les sociétés en prenant en compte les autres ayants droit potentiels tels que les salariés, les clients, les fournisseurs, les créanciers et la communauté. L'objectif de la firme n'est plus de maximiser la valeur actionnariale, mais la valeur totale de l'entreprise26.

Dans la même vision, pour garantir son succès, l’entreprise devrait tenir compte des intérêts de l’ensemble de ses parties prenantes (Clarkson, 1995 ; Donaldson et Preston, 1995). Aussi, il a été montré que la réussite de l’entreprise est conditionnée par la satisfaction des intérêts de

26 Jensen (2001) considère que l’objectif de maximisation de la valeur ne peut être réalisable du fait des externalités existantes qui rendent multidimensionnels les critères de maximisation de la valeur. A ce propos, l’auteur pointe une limite centrale en ce qui concerne l’approche partenariale. En effet, cette considération multidimensionnelle de la création de valeur et de sa répartition empêche tout comportement réellement maximisateur (In « Du processus d’élaboration d’un cadre conceptuel en gouvernance d’entreprise », Trébucq et Chatelin, (2002)).

ses diverses parties prenantes et que la non satisfaction de leurs intérêts pourrait détruire sa performance (Clarkson, 1995).

Dans le même ordre d’idées, Kandampully et Duddy, (1999) estiment que l’avenir de la firme dépend, non seulement de la valeur de durée de vie du client mais aussi des relations qu’elle peut nouer avec les autres parties prenantes. Dans un contexte relationnelle, la tâche du management s’étend au delà de la principale relation de la firme avec ses clients pour inclure à la fois les relations internes et externes qu’elle estime développer, consolider et maintenir.

De la même façon Greenley et Foxal (1998) estiment qu’on peut citer deux raisons principales permettant de justifier l’orientation envers les parties prenantes. Premièrement, au niveau de l’entreprise les intérêts d’un groupe particulier comme les clients, ne peuvent pas être pris en considération sans tenir compte des intérêts des autres parties prenantes. Aussi, l’orientation envers un type particulier de ces parties prenantes doit être développée en fonction de l’orientation envers les autres, lorsqu’ elles se trouvent en compétition relativement aux ressources rares et à l’attention des managers. Deuxièmement, le succès de l’orientation envers les clients dépend en partie des orientations envers les autres groupes. Par exemple, l’orientation marché serait plus efficace si l’entreprise explique à ses salariés que le marketing constitue un élément de leur travail et que leur rôle est de servir les intérêts aussi bien des clients que de l’entreprise.

De leur côté Freeman et McVea (2001) dans leur formulation de l’approche des parties prenantes estiment que cette dernière suggère que les managers doivent formuler et mettre en œuvre un processus qui satisfait tous les groupes qui ont une part dans les affaires de l’entreprise. La tâche principale de ce processus est de gérer et intégrer les relations et les intérêts des actionnaires, des salariés, des clients, des fournisseurs et de la communauté et d’autres groupes de manière à assurer le succès de long terme de la firme. Conformément à ces principes cette approche dispose d’un certain nombre de caractéristiques :

1. Elle permet de fournir un cadre stratégique unique et flexible lui permettant de s’adapter aux changements de l’environnement sans que le manager adopte un nouveau paradigme stratégique.

2. Elle constitue un processus de management stratégique27 plutôt qu’un processus de planification stratégique28.

3. Le problème central de cette approche est la survie de la firme.

4. Elle encourage les gestionnaires à développer des stratégies en étendant leur champ d’analyse au delà de la firme tout en identifiant et en investissant dans toutes les relations qui permettent d’assurer son succès de long terme.

5. Elle est à la fois prescriptible et descriptive : Elle est descriptive parce qu’elle se construit sur la base des analyses et des faits concrets, elle est aussi prescriptible parce qu’elle dépasse le stade de la description pour recommander une direction pour la firme.

6. Son objectif principal est de développer une compréhension des parties prenantes spécifiques pour la firme et les circonstances dans lesquels elle se trouve. C’est seulement à travers ce niveau de compréhension que les gestionnaires peuvent créer les options et les stratégies qui ont le soutien des parties prenantes et seulement avec ce soutien que les gestionnaires peuvent assurer la survie de long terme de la firme.

7. Finalement, elle fait appel à une approche intégrée pour la prise de la décision stratégique. Les managers doivent trouver la manière permettant de satisfaire simultanément les diverses parties prenantes de la firme.

Dans le même mouvement Hirigoyen (1997) propose de passer d’une gouvernance d’agence à une gouvernance de partenariat, qui devrait conduire à la recherche d’un nouvel équilibre entre investisseurs financiers et acteurs industriels. Ainsi, on peut illustrer les notions de gouvernance d’agence et de partenariat en comparant le système anglo-saxon ou orienté marché par rapport au système germano-nippon interne ou orienté réseaux. En effet, dans le premier cas, la conception moniste de la firme prévaudrait, le seul objectif serait de maximiser la richesse des actionnaires. Dans le deuxième cas, ce système retient une vision organique de la firme fondée sur l’idée de coalition, où les idées des différents stakeholders seraient considérées simultanément. A l’aube du XXIème siècle ce passage s’impose, si ce n’est encore comme une réalité du moins comme une nécessité (Poulain-Rehm, 2003).

27

Le management stratégique, une approche rénovée de la stratégie, cherche à en combler ses lacunes, en privilégiant la dimension organisationnelle des choix stratégiques, en considérant les stratégies émergentes sur le même plan que les choix stratégiques explicites, et en insistant sur la mise en œuvre des intentions stratégiques (Koenig, 1990).

28

La planification stratégique peut être définie comme une procédure formalisée de prise de décision par laquelle une entreprise fixe les grandes orientations de son développement (Stratégor, 1988).

A l’instar de leur appartenance aux catégories des parties prenantes de l’entreprise, la prise en compte de leurs intérêts peut avoir aussi comme motif leur participation à la création de sa valeur. Du point de vue de l’entreprise, cette participation est étroitement liée à la valeur créée par l’entreprise pour ses clients (Hirigoyen et Caby, 2005).