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Approche phénoménologique

2. La présentation des résultats

Cinq thèmes ont émergé de l’analyse réalisée auprès des six participants à l'étude. Un tableau présente les thèmes et les sous-thèmes puis les résultats sont présentés.

Table 2: Thèmes et sous-thèmes issus de l’analyse de données

Thèmes Sous-thèmes

Vivre le changement du statut

socioéconomique • Vivre sous le seuil de la pauvreté • Expérimenter des moyens financiers médiocres

• Vivre les problèmes d’accès aux programmes de pension

Expérimenter le changement du

mode de vie • Vivre dans la dépendance • Vivre une perte d’identité

• Vivre un sentiment de solitude et d’isolement

Vivre l’exclusion, la discrimination et

la marginalisation • Expérimenter la non reconnaissance des titres de compétences étrangers • Traverser une discrimination qui baisse

l’estime de soi

• Réfléchir sur le problème de langue Subir de l’oppression dans la sphère

publique ou sur le marché du travail • Endurer le manque de travail • Expérimenter l’iniquité salariale, l’exploitation et le désespoir

• Vivre la victimisation et la résignation Vivre l’impact d’un faible statut

socioéconomique sur la qualité de vie • Manquer de pouvoir socioéconomique • Expérimenter le stress et la dépression • Devenir malade

Vivre le changement du statut socioéconomique

Les six PAIA qui ont été interviewées, ont partagé leur expérience du changement de leur statut socioéconomique comme étant la cause principale les ayant fait vivre dans une extrême pauvreté après leur migration au Canada. Chaque participant a décrit son expérience personnelle, expliquant comment il est devenu pauvre jusqu’à vivre sous le seuil de la pauvreté. Les points communs entre les réponses des participants montrent que les six PAIA ont tous fait l’expérience de vivre sous le seuil de la pauvreté à cause surtout du déclin de leur statut socioéconomique, d’un salaire très bas lorsqu’ils ont pu trouver du travail, du manque d’emploi et du problème d’accès au programme de pensions du Canada. Février expose le récit de son vécu où, à la suite d’une réflexion sur la source de sa pauvreté, il nomme plusieurs causes à la détérioration de son statut économique:

Je vis dans des conditions précaires. Juste dans un petit appartement avec un modeste équipement. Je suis frustré, je n’ai pas pu trouver un emploi dans mon domaine professionnel. Personne ne veut considérer mon éducation et mon expérience antérieure. Je vis dans la misère, puisque ni ma femme, ni moi n’a pu se dénicher un bon travail. Je travaille à temps partiel dans le domaine d’aide aux soins de santé. Je pense que la détérioration de mon statut socioéconomique est en raison de l’impossibilité d’être employé convenablement. Je n’ai pas d’horaire fixe, on ne m’appelle souvent que quand il y des cas difficiles que mes collègues ne veulent pas gérer ou dans leurs absences.

Vivre sous le seuil de la pauvreté

Pour ces participants, le déclin de leur statut socioéconomique est une adaptation préjudiciable à un mode de vie très différent dans le nouveau pays. Les PAIA interrogées ont été invitées à réfléchir sur l’expérience de devenir pauvre. Les participants ont décrit leurs différentes expériences. Bien que certains d’entre eux parlent d’essayer de trouver des moyens pour s’adapter à des changements de leur vie, quelque soit la durée du séjour au Canada, aucun n’a indiqué qu’il aimait vivre dans la pauvreté. À ce propos, Mai explique qu’elle pense que son statut socioéconomique a diminué de façon significative, car elle ne dispose pas de suffisamment de revenus et que sa pension (du pays d’origine) est très faible après la conversion en dollars canadiens :

Depuis mon arrivée dans ce pays mes conditions économiques ont trop décliné, et ce changement impacte sur ma vie dans tous les domaines. Je mène une vie misérable, je ne dépense pas beaucoup d’argent sur la

nourriture chère et les vêtements ou autres choses de luxe. La plupart de mes vêtements ont été achetés dans mon pays d’origine. J’ai une pension de 15,000 francs provenant de mon pays d’origine. Ça sera bien si je vis là-bas, mais pas au Canada. C’est seulement environ 125 dollars canadiens après avoir converti.

La majorité de ces PAIA interviewées ont indiqué expérimenter des conditions économiques qui sont très en dessous du seuil de pauvreté. Quand nous leur avons demandé comment ce changement agit sur leur vie au Canada, elles ont répondu qu’elles se sentent marginalisées. À ce sujet Mars dit:

Pour gérer ces différences, j’essaie de trouver des moyens pour m’adapter à ces changements, mais la pauvreté est une autre chose. Je me sens tellement marginalisé, mais je ne peux pas changer ça. C’est le système. Oui, c’est ça. De toutes façons j’essaie de me contenter de ce que j’ai. D’améliorer ma situation avec ce que je peux trouver. (…) Je me sens très seul et ça me rend triste. C’est comme si je ne vis pas dans la société.

Expérimenter des moyens financiers médiocres

Ce second sous-thème apparaît, pour l’ensemble des participants, comme un moyen important par lequel chacun espérait devenir indépendant financièrement. Pour les participants, venir au Canada était l’espoir de vivre une vie meilleure, mais leur espoir s’est vite volatilisé. À ce propos, Janvier décrit son expérience avec un revenu insuffisant :

Je n’ai jamais su que ma vie sera comme ça. Je deviens pauvre parce que je n’ai pas d’autres ressources financières. C’est une adaptation préjudiciable (…) Mon salaire est tellement petit pour me permettre une vie convenable. Je ne sais même pas comment diviser mon revenu entre mes dépenses.

Février à son tour déclare :

Si nous ne disposons pas de moyens suffisants pour pouvoir satisfaire nos besoins, dans ce cas, nous ne pouvons pas dire que nos conditions de vie sont bonnes. (…) De plus, l’incapacité de se prendre en charge peut produire des effets nuisibles à notre santé comme des stress, mal fonctionnement du métabolisme, maladies, etc. Comme chez moi, par exemple je n’ai plus d’espoir de pouvoir un jour m’acheter une maison et de mieux vivre chez moi, sauf si le gouvernement change des choses, autrement, pas d’espoir.

Quant à Juin, il exprime une idée similaire à propos de l’aide sociale insuffisante: Je pense que mon statut socioéconomique est devenu très médiocre. Je vis de l’aide sociale qui est vraiment très minime pour me permettre une vie

normale. (Il ajoute ce qui suit avec une expression d’exaspération) : ce que je désire le plus est d’avoir ma propre maison, puisque je déménage beaucoup plus souvent à cause du manque de loyer.

Pour l’ensemble de personnes interrogées, l’épisode de chômage expérimenté a influencé significativement leur vie dans le nouveau pays. Les participants ont expliqué qu’ils ont fait l’expérience de devenir très pauvres. Et que cette pauvreté qu’ils rencontrent est en grande partie attribuée au chômage et à une aide financière insuffisante qui se traduit par le déclin de leur statut socioéconomique. Ils semblent vivre dans un désespoir incommensurable. À cause de ce déclin, certains participants ont dévoilé qu’ils rencontrent même des problèmes dans leurs foyers, dont des disputes et des séparations. Mars et Juin ont exprimé une idée semblable face à leur désespoir. Mars a dit :

Ma femme et mes enfants ne me comprennent plus. Ils veulent que je sois toujours le pourvoyeur de la famille, mais je n’y parviens pas. Cela me stresse davantage.

Juin a déclaré :

Ma femme et mes enfants veulent que je prenne en charge les dépenses de la famille comme avant, mais c’est impossible pour moi. Je n’ai pas d’emploi et un salaire comme avant, et l’aide sociale que je reçois est tellement peu pour permettre une aisance matérielle de ma famille comme avant.

Vivre les problèmes d’accès aux programmes de pension

Tous les participants ont indiqué que lorsqu’ils sont venus au Canada qui est un pays riche et très développé par rapport à leur pays d’origine pauvre, ils ne s’attendaient pas à ce que leur statut économique et leur mode de vie baissent. Ces personnes nous ont informé que le déclin de leur mode de vie est attribué en grande partie aux revenus insuffisants qu’ils rencontrent. Trois PAIA interviewées ont parlé de leur expérience de ne pas être en mesure d’accéder aux programmes de pension du Canada, ce qui contribue à leur pauvreté. À ce propos, ces participants identifient non seulement le sentiment d’être victime d’une injustice systématique, mais aussi, de vivre une marginalisation accrue. Mai exprime son sentiment de déception en disant :

Le programme de retraite du Canada devrait reconnaitre notre statut de retraite de notre origine. La Caisse de retraite canadienne est un programme universel; chaque personne âgée devrait avoir droit d’y accéder sans se soucier qu’elle est immigrante ou canadienne de naissance.

Avril explique son expérience comme suit:

Je deviens pauvre comme je ne parviens pas à accéder à la retraite universelle canadienne même si j’ai dépassé 65 ans, et vis au Canada depuis 9 ans. Je n’ai pas travaillé au Canada. En plus, je ne peux pas accéder à la prestation de la Sécurité de la vieillesse, parce que je ne remplis pas la condition de résidence de 10 ans au Canada. Je souhaite que je puisse avoir suffisamment de pension afin que je puisse vivre de façon autonome.

Quant à Juin, il explique qu’il trouve difficile les conditions de prestation de retraite et qu’il a perdu tout espoir :

J’étais un homme retraité avant de venir au Canada, mais ici, je ne suis pas éligible pour la Caisse de retraite canadienne. Dans mon pays d’origine, la retraite est à 55 ans, mais ici, à 65 ans. Même à cet âge, je n’espère pas recevoir aucune prestation de retraite, parce que je n’ai pas travaillé depuis mon arrivée au Canada.

Cette situation représente un manque de pouvoir pour les PAIA dans la pauvreté. Les conditions d’accès aux programmes de retraite les mettent dans une situation financière dans laquelle elles se sentent exclues et dépouillées des droits d’accès à la pension universelle. Avril déclare à ce propos :

Concernant des services sociaux, le gouvernement peut réviser les conditions d’éligibilité pour accéder à toute sorte de prestation, que ce soit de retraite, de vieillesse ou d’autres. Ces conditions sont difficiles à remplir pour les immigrants. Ça devient comme une punition pour être un immigrant âgé. Moi, ça me cause de toujours me sentir que je suis immigrant. Ça donne le sentiment d’être indésirable.

Expérimenter le changement du mode de vie

Les participants estiment notamment qu’ils sont exclus et discriminés non seulement par le système canadien de la retraite, mais aussi dans certains services sociaux. Pour ces personnes, cette sorte de discrimination diminue leur capacité de pouvoir se prendre en charge.

Vivre dans la dépendance

Trois participants expriment de l’indignation à vivre dans la dépendance soit face aux membres de leur famille ou soit parce qu’ils sont dépendants de l’aide sociale. Les verbatim suivants reflètent leur expérience. Avril relate ses sentiments en disant:

Je n’arrive pas à accéder à la prestation de vieillesse comme les autres personnes de mon âge. J’éprouve d’énormes stress. Je ne m’attendais pas à une dépendance, mais je suis obligé de rester avec ma fille qui me prend en charge (…). Je suis tellement frustré. Pour chaque chose, je dois compter sur ma fille, comme je vis avec elle depuis que je suis venu ici, même si je préfère vivre seul.

De son côté, Mai a dit :

Je me sens frustrée chaque fois que je suis obligée de demander quelque chose qui coûte même un peu d’argent à mon fils ou à sa femme. Je devrais contribuer. Depuis mon arrivée au Canada, je sens beaucoup de stress. La dépendance à la famille de mon fils se prolonge, mais, que faire ? le chômage ne me permet pas de me prendre en charge moi-même. Ma belle-fille pense que je suis pauvre, parce que je n’ai pas beaucoup de pension. Elle ne veut pas de moi pour vivre avec eux. Cela me met tellement en désarroi.

Quant à Juin, il exprime sa souffrance de ne pas pouvoir se prendre en charge et de dépendre de l’assistance sociale.

Je vis tellement dans la solitude. Je ne peux pas me permettre d’inviter des amis. L’aide sociale est tellement petite. (…) Même pour m’acheter des bons habits, s’il y a une cérémonie, ce sont des amis ou mes enfants qui achètent pour moi. Je ne peux même pas voyager, on me contrôle tout le temps. On me demande comment j’ai utilisé l’argent.

Vivre une perte d’identité

Pour la majorité de participants, le manque de travail n’entraine pas seulement le manque de moyens financiers, mais aussi leur fait perdre leur identité. À ce propos, Janvier dit :

Qui puis-je dire que je suis! Je ne suis rien, puisque je n’ai rien. Si je ne suis pas capable de me trouver un bon travail ou une maison où je peux appeler chez moi, à mon âge et à mon niveau. C’est à dire que je ne suis pas celle que je devais être. Alors je ne suis rien. Un rien du tout!

Les participants pensent que le fait d’exercer un travail dans la société permet non seulement de rencontrer d’autres personnes, mais aussi, de faire des choses qui avantagent toute la société. Certains trouvent que le fait de ne pas pouvoir rendre quelque chose à leur nouvelle société les dégrade. Par exemple, Février dit :

D’un autre côté, je comprends que par intégration socioéconomique, je dois quelque chose à la société, c’est à dire que la communauté puisse bénéficier de mes potentialités. (…) C’est comme si vivre ici nous dégrade. On n’a plus de valeur puisqu’on ne peut même pas faire profiter notre nouvelle société. Si

je te dis qu’un ingénieur serve au station d’essence ou qu’un docteur-médecin conduit maintenant un gros camion, tu peux comprendre combien de services importants le pays perd.

De son côté Juin pense que les immigrants devraient avoir l’occasion de pouvoir participer à la construction de leur nouvelle société. L’impossibilité de participer à la société entraîne un sentiment de dévalorisation important chez lui:

Je ne fais que consommer le gouvernement sans rien produire. J’ai mes bras et la force (…) Je pourrais contribuer au lieu de consommer seulement. (…) Je me sens coupable de manger l’argent du gouvernement sans que moi je produis quelque chose pour la communauté, alors que j’ai la force de travailler. Suis fatigué de tendre la main, alors que je suis capable de me prendre en charge. Dans mon pays d’origine (…) Tous les matins j’étais toujours debout, faire quelque chose. Ici je ne fais que croiser les bras comme un fainéant.

Pour certains participants, le fait de ne pas pouvoir contribuer financièrement au bien-être de leur famille les empêche de se sentir responsables en tant que parents. À ce propos Avril déclare :

Je pouvais financer les besoins de ma famille. Payer les frais des études de mes enfants. Mais maintenant je suis comme un mendiant. C’est honteux. Quant à Mai, elle pense qu’elle devrait contribuer plus à sa famille :

Je me sens frustrée chaque fois que je suis obligé de demander quelque chose qui coûte même un peu d’argent à mon fils ou à sa femme. Je devrais contribuer. (…) Aux yeux de ma belle fille nous (mon mari et moi) devrons contribuer beaucoup plus, surtout en terme de financement. Ca me rend malade dans mon esprit. (…) J’aide une amie de ma belle fille à s’occuper de ses enfants, afin que je puisse obtenir un peu d’argent pour contribuer dans la famille, mais surtout pour avoir une occupation.

Par ailleurs, tous les participants croient que la perte de leur identité a été grandement influencée par leur impuissance à atteindre le rang social qu’ils avaient dans leurs pays d’origine. À ce sujet, Juin exprime son chagrin de ne pas pouvoir s’offrir au moins quelque chose qui vient de lui comme il le faisait avant d’immigrer et non qu’on lui donne gratuitement:

Je juge important l’interaction avec les collègues au travail, et pense à la joie que procure le fait d’avoir une occupation, d’aimer son travail et de voir le produit de sa sueur. (…) Je ne peux pas amener mes propriétés ici ou faire la même chose ici. Ici, je ne peux rien trouver qui vient de mes efforts. Et tu sais

gratuitement. (…) Pour moi, la maison est une chose plus importante dans ma vie. (…) tu te sentiras fort dans ton intérieur. Et cela embrassera tout ton corps aussi. Tu te sentiras respecté et sûr de toi (…).

Vivre un sentiment de solitude et d’isolement

Il semble que pour les participants, la solitude soit aussi difficile à vivre que la pauvreté. Dans les extraits suivants, les participants expriment leur sentiment de solitude comme un des principaux freins à l’amélioration de leurs conditions de vie. À ce sujet, Juin raconte :

Mon mode de vie a été changé considérablement. Ce qui aggrave cette situation est le manque du travail et de l’entourage, interaction communautaire ici est nulle. Je vis tellement dans la solitude. (…) Je ne rencontre plus des amis à l’extérieur (comme au restaurant) comme je le faisais dans mon pays. Je ne suis même plus capable de les inviter à venir à ma résidence.

Mars confirme cela en disant :

Moi, j’ai traversé des moments difficiles de chômage et de manque de revenu pour me permettre de participer aux activités dans les communautés. (…) Je me sens très seul et ça me rend triste. C’est comme si je ne vis pas dans la société. Quelquefois j’ai peur des frais de transport ou des dépenses pour aller dans les rencontres. Je manque même des gens avec qui parler puisqu’on ne comprend pas les choses de même manière.

Avril expérimente aussi ce sentiment de solitude:

Pour moi la solitude est le manque d’interaction avec des gens avec qui tu te sens à l’aise de te prononcer et de te faire comprendre. La solitude est aussi le fait de manquer de contacts avec des personnes avec qui vous pouvez parler et comprendre les choses de même manière.

Certains participants trouvent que la discrimination et le manque de moyens financiers handicapent la participation sociale et l’interaction avec les autres dans les nouvelles communautés. À ce point Janvier avoue :

Plusieurs choses empêchent mon interaction sociale. (…) le manque de moyens suffisants surtout financiers handicape ma participation dans des activités sociales. Je n’arrive pas à me faire de vrais amis parce que je craigne de manquer quoi leur donner. Il y a aussi la discrimination raciale qui me fait peur d’être rejetée si j’approche les autres. Le manque de frais de participation aussi m’empêche quelquefois, puisqu’il y a des activités qui demandent de payer beaucoup d’argent pour y participer. Par exemple à YMCA pour faire du sport, certains concerts et festivals, et beaucoup d’autres. Il y a aussi les

différences culturelles qui me tiennent à l’écart de beaucoup d’activités sociales.

D’autres participants estiment qu’en plus du problème de la pauvreté, la non maîtrise des langues officielles est devenue une barrière à une vie socialement active. Ils essayent d’étudier l’anglais afin de pouvoir apprendre un nouveau métier, mais ça ne vient pas