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La phénoménologie de l’expérience subjective

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PREMIÈRE PARTIE : INTRODUCTION

Encadré 2. Sous-types de schizophrénie

2.1. La phénoménologie de l’expérience subjective

Nous avons abordé la schizophrénie à travers le modèle neuro-développemental pour

essayer de comprendre son origine, et également à travers ses manifestations cliniques.

Nous pouvons tenter de comprendre la schizophrénie par rapport à ce que vit le patient,

c'est-à-dire, à travers son expérience subjective. Avant de présenter les descriptions des

anomalies de l’expérience subjective dans la schizophrénie, il paraît essentiel d’exposer

brièvement les concepts de la phénoménologie de l’expérience subjective tels qu’ils ont été

abordés par la philosophie, la psychologie et les neurosciences.

2.1.1. Du point de vue de la philosophie

La phénoménologie (du grec phainómenon «ce qui apparaît», et lógos «étude») est l'étude

philosophique des structures de l'expérience subjective et des phénomènes qui apparaissent

dans les actes de la conscience. Le philosophe Georg W. F. Hegel (1770-1831), dans son

ouvrage Phénoménologie de l’Esprit (1807), tente de cerner la nature fondamentale et les

conditions de la connaissance et de la conscience humaine. Mais, il revient à Edmund

Husserl (1859-1938) d’avoir développé le concept de la phénoménologie tel qu’il a été repris

en psychiatrie. Pour Husserl (Idées directrices pour une phénoménologie, édition de 1985),

la phénoménologie prend pour point de départ la description des phénomènes vécus dans le

temps et l’espace, tels qu’ils apparaissent à la conscience, avec une approche dite « en

première personne ». La phénoménologie vise donc à essayer d’extraire les composantes

essentielles des expériences subjectives, c'est-à-dire, l'essence de ce dont le sujet fait

l'expérience. Pour Husserl, la phénoménologie permet de comprendre le rapport qu’un sujet

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2.1.2. Du point de vue de la psychologie

Pour William James (1842-1910), le sens donné à l’expérience ainsi qu’à l’intentionnalité de

la conscience est fondamental (James, 1890). Il considère l’observation introspective comme

essentielle à l’étude des phénomènes mentaux subjectifs. Le mot introspection n’a, selon

James, nul besoin d’être défini car cela signifie tout simplement rechercher dans notre esprit

et rapporter ce que nous y découvrons : pensées et émotions. L’expérience subjective est

ainsi liée à la mémoire, car c’est justement à travers la remémoration que nous accédons à

nos expériences passées, nos émotions et nos pensées. Ces « choses » que nous trouvons

dans notre mémoire nous confèrent « cette chaleur et cette intimité » qui sont d’ordre

« phénoménologique » ou subjectif.

Dans la continuité des travaux de James et Husserl, Pierre Vermersch (1999)

propose d’introduire le concept de la phénoménologie en psychologie en tenant compte du

point de vue en première personne du sujet. Selon Vermersch, la psycho-phénoménologie

se base sur « l’entretien d’explication ». Cette approche est fondée sur la possibilité

d’accéder à l’expérience subjective d’un individu et de la décrire de manière objective. Pour

Vermersch, l’expérience subjective des événements vécus par un individu reste une

« pensée privée » car elle est inaccessible à autrui. Pour pouvoir y accéder, il convient de

considérer le point de vue en première personne du sujet qui s’exprime sur son vécu, en plus

de l’observation clinique en troisième personne (où le sujet est l’objet de l’observation). Cela

permet ainsi d’accompagner le sujet dans les différentes étapes de prise de conscience

d’une situation, en créant les conditions nécessaires pour que le sujet puisse se livrer, non

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2.1.3. Du point de vue des neurosciences

Développée par le neuroscientifique Francisco J. Varela (1946-2001), la phénoménologie en

neurosciences vise à explorer les phénomènes de la conscience et de l’expérience

subjective à travers des études expérimentales. Cela implique l’utilisation de méthodes et

d’outils des neurosciences (questionnaires en auto ou hétéro-évaluation, électro-

encéphalogramme ou imagerie cérébrale). Varela (1996) considère également l’expérience

subjective comme étant la partie de notre cognition dont nous avons accès à partir d’un point

de vue subjectif en première personne. L’expérience subjective est indissociable de la

conscience. Le but est de comprendre les expériences subjectives et la conscience de soi en

termes d’activités cérébrales et de processus cognitifs. Pour les étudier de manière

expérimentale, il est nécessaire d’entraîner les sujets à rapporter des récits précis et

détaillés de leurs expériences subjectives au cours d’un test ou paradigme expérimental afin

d’obtenir des mesures qualitatives et/ou quantitatives. L’approche de la phénoménologie en

neurosciences permet d’étudier l’expérience subjective de la perception, des capacités

attentionnelles, de la proprioception, des émotions, du mouvement et des actions, de la prise

de décision, du sentiment d’agentivité et de la mémoire (Damasio, 2010 ; Gallagher et

Brøsted-Sørensen, 2006). Elle permet donc d’étudier les expériences subjectives chez les

sujets sains et dans diverses pathologies neurologiques et psychiatriques.

2.2. Le self

On ne peut parler d’expériences subjectives sans évoquer le self (le soi). Les expériences

conscientes de la pensée, du langage, des actions ou du vécu s’accompagnent

généralement d’un sentiment de soi et de continuité de soi. Du point de vue de la

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vivre sa vie dans une perspective en « première personne » en étant le sujet de ses propres

expériences (Zahavi, 2003). Le self représenterait une entité autonome dans le présent et

dans la continuité du temps. Toutefois, à ce jour, la notion de self connaît plusieurs

définitions qui rendent sa compréhension et son étude difficile. Le self connaît également

plusieurs dimensions telles que le self spirituel, le self écologique, l’égo, le self mental, le self

social etc. qui reflètent sa complexité. Dans le cadre de notre travail, nous essayons de

comprendre la dimension expérientielle du self impliquée dans l’expérience subjective,

notamment lors du rappel d’expériences personnelles passées.

James (1890) distingue deux dimensions du self, le Me-self et le I-self. Le Me-self

renvoie aux représentations, images, et changements de soi, ainsi qu’aux pensées et

croyances qu’un individu possède sur lui-même et qui lui permettraient de répondre à la

question « qui suis-je ? ». Le I-self renvoie à la conscience de soi, et est en étroite

association avec la mémoire, donc avec le souvenir des expériences personnelles passées.

Le I-self agit comme un processus dynamique qui contrôle les expériences subjectives du

sujet. Il confère au sujet ce sentiment même de soi, c'est-à-dire de s’éprouver soi-même. Le

I-self reflète ainsi la composante expérientielle du self. L’unité entre le I-self et le Me-self

permet une identité personnelle cohérente d’un individu. Cette identité se compose donc de

connaissances sur soi, de traits de personnalité et d’images de soi, de valeurs et des

objectifs de vie personnels qu’une personne va intégrer et faire évoluer tout au long de sa

vie.

Gallagher (2000) retient aussi deux composantes du self : le self minimal et le self

narratif. Le self minimal renvoie à la conscience de soi, en tant que sujet qui fait une

expérience immédiate, sans que ce self soit étendu dans le temps. Il intègre également le

sens de propriété de soi et d’agentivité donnant ainsi le sentiment à un sujet d’être l’auteur

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image de soi plus ou moins cohérente qui est constituée d’un passé et d’un futur,

comprenant le souvenir d’expériences passées et les intentions futures du sujet. Le self

narratif est donc étendu dans le temps et assure le sentiment d’une continuité temporelle de

soi et une identité personnelle cohérente. Mais cela n’est possible qu’avec le bon

fonctionnement du self minimal, des capacités d’intégration temporelle et d’organisation d’un

récit, de la mémoire, et des processus métacognitifs qui permettent le raisonnement

autobiographique et la réflexion sur soi.

D’autres auteurs tels que Sass et Parnas (2003) et Zahavi (2000, 2003) en s’inspirant

des travaux des philosophes Paul Ricœur (1913-2005) et Michel Henry (1922-2002), et du

concept de self de Gallagher, décrivent le self comme une entité qui fonde notre existence et

notre rapport avec le monde. Ainsi, la conscience de soi pré-réflexive est décrite comme

étant le sentiment subjectif d’être en contact et en accord avec soi-même, et d’avoir

l’assurance que celui qui vit l’expérience subjective et celui qui s’éprouve au cours de cette

expérience sont les mêmes. Lors d’une expérience subjective, le self fournit non seulement

les capacités nécessaires pour apprécier l’expérience, mais également un sentiment

subjectif2 qui donne « une tonalité et une luminosité » à la conscience et permet d’éclairer et d’extraire les objets de cette conscience (les pensées, émotions, réflexions).

A travers ces définitions, nous constatons que les différentes approches pour définir

et étudier le self convergent vers l’idée générale que le self est intimement lié à la

conscience de soi, l’expérience subjective et l’identité personnelle. L’expérience subjective et

l’implication du self ne concernent pas uniquement des expériences immédiates qui sont

vécues à un moment précis dans le temps et l’espace, mais touchent également l’expérience

que nous faisons lors de la remémoration d’événements personnels passés.

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2.3. Les anomalies de l’expérience subjective dans la

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