autobiographique et schizophrénie
5.1. Distribution temporelle des souvenirs des patients schizophrènes
Les premières études réalisées auprès des patients schizophrènes se sont intéressées au
nombre de souvenirs autobiographiques que peuvent rappeler les patients et la répartition de
ces souvenirs dans le temps. Feinstein et collaborateurs (1998) ont examiné le gradient
temporel des souvenirs autobiographiques de 19 patients schizophrènes (âge moyen de
38.80 ans) et de 10 sujets témoins (âge moyen de 31.80 ans) en donnant aux participants
des indices pour récupérer des informations autobiographiques sémantiques (par exemple,
l’école fréquentée) et épisodiques (par exemple, un incident à l’école). Trois périodes de vie
ont été explorées : l’enfance, l’âge adulte et le passé récent. Les résultats ont montré que les
patients schizophrènes rappelaient significativement moins de souvenirs autobiographiques
(faits sémantiques et événements épisodiques) que les sujets témoins. Plus précisément, le
nombre de souvenirs pour la période de l’enfance ne différait pas entre les 2 groupes de
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significativement inférieur à celui des sujets témoins. De plus, cette réduction du nombre de
souvenirs était plus marquée pour les souvenirs qui s’étaient produits au début de l’âge
adulte, donnant ainsi lieu à une courbe en U. Ce résultat particulièrement intéressant a
conduit les auteurs à lier les déficits du rappel des souvenirs autobiographiques des patients
à l’entrée dans la pathologie car les anomalies observées correspondent à la période de vie
où débute généralement la schizophrénie.
Une autre étude (Elvevåg, Kerbs, Malley, Seeley, & Goldberg, 2003), demandant à
21 patients schizophrènes et à 21 sujets témoins de rappeler spontanément 50 souvenirs
autobiographiques et de les dater, a permis d’affiner les résultats obtenus par la précédente
étude. Les souvenirs des participants ont ensuite été classés par les expérimentateurs selon
3 périodes : les 10 premières années de la vie, les années intermédiaires et les 10 dernières
années, sachant que les patients étaient âgés de 34.10 ans en moyenne et les témoins, de
35.40 ans. Selon les auteurs, cette procédure serait plus efficace pour étudier la distribution
temporelle des souvenirs des patients et l’éventuel lien entre une réduction du nombre des
souvenirs et le début de la pathologie. Dans l’ensemble, les patients ont évoqué moins de
souvenirs que les sujets témoins. En examinant leur nombre absolu, les auteurs ont constaté
une baisse significative du nombre de souvenirs des patients pour les 10 dernières années.
Toutefois, concernant le lien entre le nombre réduit de souvenirs et l’entrée dans la
pathologie, les résultats ne sont pas très concluants. Lorsque le nombre de souvenirs
évoqués à chaque période était analysé, la différence observée entre les groupes pour la
dernière décennie n’était plus significative. En d'autres termes, les groupes étaient
comparables pour les 3 périodes.
Dans leur ensemble, les résultats de ces études suggèrent qu’il est difficile d’affirmer
l’influence de l’entrée dans la pathologie sur les troubles de la mémoire autobiographique
chez les patients schizophrènes. Pour mieux préciser cette éventuelle influence, une étude a
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symptômes de la pathologie (Riutort, Cuervo, Danion, Peretti, & Salamé, 2003). Les faits
sémantiques (prénoms d’amis), ainsi que les événements autobiographiques uniques ont été
évalués chez 25 patients schizophrènes (âge moyen de 31.80 ans) et 25 sujets témoins (âge
moyen de 32.80 ans). Les résultats ont indiqué un nombre significativement réduit de
souvenirs autobiographiques spécifiques et de faits sémantiques personnels chez les
patients en comparaison aux sujets témoins. De plus, le déficit de mémoire autobiographique
épisodique et sémantique personnelle semblait plus apparent après l'apparition des premiers
symptômes cliniques. D’autres recherches ont montré que quelle que soit la sévérité des
symptômes cliniques et le sous-type de schizophrénie, les patients schizophrènes rappellent
moins de souvenirs spécifiques que les sujets témoins (Kaney, Bowen-Jones, & Bentall,
1999 ; Neumann, Blairy, Lecompte, & Philippot, 2007).
5.2. Caractéristiques
des souvenirs des patients
schizophrènes
La spécificité des souvenirs, ainsi que la qualité et la quantité des détails présents sont des
caractéristiques importantes des souvenirs autobiographiques. L’ensemble des études
réalisées auprès de patients schizophrènes a montré que leurs souvenirs autobiographiques
manquent de spécificité. Les patients schizophrènes ont des difficultés à rappeler et à relater
des événements autobiographiques d’une durée de moins de 24 heures situés dans un
contexte spatio-temporel précis (Cuervo-Lombard et al., 2007 ; Danion et al., 2005 ; Harrison
et Fowler, 2004 ; Wood, Brewin, & McLeod, 2006). Les souvenirs des patients restent très
généraux et manquent de détails. Riutort et collaborateurs (2003) ont constaté un manque
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événements qui ont eu lieu après l’entrée dans la pathologie. Toutefois, Danion et
collaborateurs (2005), en explorant les souvenirs sur différentes périodes de vie17, ont montré que les souvenirs des patients étaient moins spécifiques que ceux des témoins
quelle que soit la période de vie explorée (de l’enfance à l’âge adulte). Dans une étude
utilisant des images émotionnelles pour induire des souvenirs autobiographiques chez 20
patients schizophrènes, Neumann et collaborateurs (2007) ont montré que les souvenirs
évoqués par les patients étaient moins spécifiques que ceux des sujets témoins, quelle que
soit leur valence émotionnelle. Les auteurs notent toutefois que ce manque de spécificité
était plus marqué pour les souvenirs positifs des patients.
Le manque de spécificité et de détails des souvenirs, retrouvé systématiquement
dans la schizophrénie, est également observé dans d’autres pathologies psychiatriques
telles que la dépression. En comparant les souvenirs de patients schizophrènes non-
dépressifs et des patients souffrant de dépression à ceux d’un groupe témoin, Warren et
Haslam (2007) ont décrit une spécificité réduite des souvenirs autobiographiques dans les 2
groupes de patients psychiatriques. Les auteurs ont également observé que le manque de
spécificité et de détails des souvenirs était plus marqué chez les patients schizophrènes que
chez les patients dépressifs. De plus, les patients schizophrènes mettaient plus de temps
pour rappeler leurs souvenirs autobiographiques que des faits non-autobiographiques en
comparaison aux patients dépressifs et aux sujets témoins. Selon les auteurs, ces résultats
suggèrent que les processus de traitement des informations autobiographiques seraient
altérés de manière différente dans les 2 groupes de patients. Ils font l’hypothèse d’un
processus d’évitement des souvenirs personnels traumatiques chez les patients
schizophrènes ; le processus d’évitement pouvant jouer un rôle dans le maintien de la
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récupération d’informations autobiographiques générales. Cependant, une autre étude
menée auprès de 38 patients schizophrènes (Harrison et Fowler, 2004) semble montrer que
le processus d’évitement n’est pas lié au manque de spécificité des souvenirs des patients
schizophrènes.
En référence au modèle SMS (Conway, 2005), une autre hypothèse peut être
avancée pour expliquer le manque de spécificité des souvenirs des patients schizophrènes.
Nous avons déjà évoqué que lors de la reconstruction d’un souvenir autobiographique sous
le contrôle du working self, plusieurs cycles de recherche d’informations sont initiés par
l’élaboration d’indices qui permettent la récupération stratégique d’informations dans tous les
niveaux hiérarchiques de la base de connaissances autobiographiques. Un souvenir
autobiographique spécifique est reconstruit suite à la récupération d’informations générales
et d’informations hautement épisodiques. Dans la schizophrénie, un défaut dans les
processus d’initiation et d’élaboration de stratégies peut interrompre précocement les cycles
de recherche et freiner l’accès aux informations hautement épisodiques. Cela a pour
conséquence la construction de souvenirs peu spécifiques chez les patients. Toutefois, il
n’est pas exclu que les patients schizophrènes aient également des difficultés majeures à
initier des stratégies efficaces lors de l’encodage des informations autobiographiques à
l’occurrence des événements. L’hypothèse des troubles de l’encodage a reçu de nombreux
appuis des différentes études menées sur la mémoire en général et sur la mémoire
autobiographique en particulier (Danion et al., 2007 ; Gold et al., 2000 ; Sonntag et al.,
2003). Au moment où se produit un événement personnel, l’encodage des informations
perceptives, sensorielles et contextuelles, effectué sous le contrôle du working self, ne se
ferait pas de manière stratégique (Danion et al., 2005 ; Elvevåg et al., 2003 ; Riutort et al.,
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