autobiographique et schizophrénie
5.5. L’organisation de la mémoire autobiographique chez les patients schizophrènes
L’intégration des souvenirs autobiographiques au self serait déficitaire chez les
patients schizophrènes, et démontrerait une construction fragile du self conceptuel. De plus,
l’ensemble des troubles de la mémoire autobiographique, tels que le manque de spécificité
et de détails des souvenirs, ainsi que les difficultés des patients à attribuer un sens aux
événements personnels vécus reflèterait des anomalies dans l’organisation de la mémoire
autobiographique dans la schizophrénie.
5.5. L’organisation de la mémoire autobiographique chez les
patients schizophrènes
Les premiers éléments de réponses concernant l’organisation de la mémoire
autobiographique dans la schizophrénie, notamment l’organisation élémentaire et
conceptuelle des souvenirs, ont été apportés à travers une étude (Morise, Berna & Danion,
2011) réalisée auprès de 18 patients schizophrènes et 17 sujets témoins. Les auteurs ont
104
mots-indices (par exemple, voiture, restaurant). Après chaque rappel, les participants ont
donné un titre à chaque souvenir ; le titre servant d’indice pour le rappel d’un autre souvenir.
Cette procédure a été répétée pour le rappel de souvenirs supplémentaires, créant ainsi une
chaîne de 6 souvenirs19. Les participants ont ensuite indiqué le lien entre le souvenir servant d’indice et le souvenir indicé. Les 2 événements sont considérés comme un « cluster » (ou
groupe) lorsqu’un lien était établi d’une des manières suivantes : les 2 événements faisaient
partie d’un événement plus large, un événement est la cause de l’autre ou un événement
faisait partie de l’autre. Les événements n’étaient pas considérés comme un cluster s’ils
étaient liés d’une autre façon ou en l’absence de lien. L’intensité émotionnelle et le caractère
distinctif des souvenirs ont également été évalués. Les résultats ont montré, chez les sujets
témoins, une organisation élémentaire de la mémoire autobiographique basée sur les
aspects sensoriels, perceptifs et cognitifs de leurs souvenirs, alors que chez les patients,
cette organisation se ferait principalement sur des caractéristiques émotionnelles. Les
composantes temporelles de l’organisation élémentaire, c'est-à-dire, l’occurrence des
événements d’une même chaîne de souvenirs dans le temps, semblent préservées chez les
patients. Cette étude a également établi que l’organisation conceptuelle, suggérée comme
étant altérée dans la schizophrénie, semble préservée chez les patients. La proportion de
clusters (souvenirs ayant des liens) n’était pas significativement différente entre patients et
sujets témoins. Les auteurs notent qu’il est important de considérer ces résultats avec
prudence car les liens établis entre les souvenirs ont été évalués uniquement par les
participants. Il sera donc nécessaire de mener une étude qui proposerait, à la fois, une auto-
et une hétéro-évaluation pour vérifier la force des liens entre les souvenirs chez les patients
schizophrènes.
19
Le 1er souvenir obtenu à partir d’un mot-indice a servi d’indice au 2ème souvenir et le 2ème au 3ème, ainsi de suite jusqu’au 6ème souvenir.
105
Les nombreuses études que nous avons présentées mettent en lumière l’ensemble
des troubles de la mémoire autobiographique, connu à ce jour, dans la schizophrénie. Nous
avons, ainsi, vu que les patients schizophrènes rappellent généralement un nombre réduit de
souvenirs autobiographiques et de faits sémantiques personnels. Les souvenirs des patients
sont moins spécifiques et contiennent peu de détails. En référence au modèle SMS
(Conway, 2005), il est fortement suggéré que le manque de spécificité et de détails des
souvenirs des patients peut être expliqué par des déficits dans les processus d’encodage
des différents éléments présents à l’occurrence des événements et/ou par des déficits de
récupération stratégique des informations autobiographiques à partir de la base de
connaissances autobiographiques. Ces déficits suggèrent des anomalies au niveau des
processus exécutifs du working self impliqués dans la construction des souvenirs. Les
différentes études montrent également que le rappel des souvenirs chez les patients
schizophrènes est moins fréquemment accompagné d’une remémoration consciente,
reflétant la difficulté des patients à revivre mentalement leurs expériences personnelles
passées. Ces déficits marquent une perturbation de la composante expérientielle du working
self. Les patients schizophrènes peinent à s’éprouver dans leurs souvenirs, c'est-à-dire, à
avoir ce sentiment même de soi lorsqu’ils rappellent des événements personnels passés.
Plusieurs études ont également montré la difficulté des patients à se projeter dans le futur
afin de construire et d’anticiper des événements futurs cohérents, spécifiques et détaillés.
Concernant la composante conceptuelle du modèle SMS dans la schizophrénie, les
différentes études qui se sont intéressées aux souvenirs en lien étroit avec le self et
contribuant à la construction de l’identité personnelle (souvenirs en lien avec le pic de
réminiscence, les SDMs, les croyances délirantes persécutives et les images de soi)
montrent des perturbations lors du rappel de tels souvenirs. A l’exception des SDMs, ces
souvenirs en lien avec le self et l’identité personnelle sont peu spécifiques, peu détaillés et
106
à attribuer un sens ou une signification personnelle, de manière spontanée, aux SDMs est
perturbée. Les patients parviennent, néanmoins, à améliorer leurs performances s’ils sont
explicitement amenés à donner un sens à leurs SDMs. D’autres études menées pour
explorer la composante conceptuelle du self ont montré un concept de soi peu élaboré et
des images de soi passives chez les patients.
L’ensemble de ces travaux tendent à montrer une perturbation des liens entre le self
et les souvenirs autobiographiques. Conjugués à un défaut des processus d’intégration des
souvenirs au self, ces travaux suggèrent que des traits de personnalité instables dans le
temps, des images de soi passives et des croyances délirantes persécutives peuvent
également contribuer à la construction d’un self fragile chez les patients schizophrènes et à
une désorganisation de leur mémoire autobiographique.