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3 CHAPITRE III

3.8 La posture vis-à-vis des organismes partenaires

3.8.4 La participation

Il existe un concept passe-partout, à l'allure inoffensive qui peut se révéler à double tranchant. Je parle de la notion de participation. Il me semble important de clarifier le concept d'autant plus que nous nous adressons constamment aux « participants ». L'organisme ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne), dans un article portant sur la participation citoyenne précise que :

Construire un projet « avec » plutôt que « pour » une population donnée change radicalement la nature des problèmes soulevés et des solutions qui y sont données. D'autre part, c'est un garde-fou pour éviter que le projet soit récupéré par le système, ou institutionnalisé, que les objectifs initiaux soient perdus à cause de la routine, ou que le pouvoir soit accaparé pour le bénéfice personnel de quelques- uns. (Spirale alternative, r.e.)

Toutefois, de la même manière qu'il ne suffit pas d'affirmer qu'on travaille avec la population, l'usage de pratiques participatives ne garantit pas qu'il y ait un réel partage de pouvoir. Dans le même article, les intervenants d’ATTAC préviennent que la participation est une notion galvaudée :

Au minimum, il s'agit d'informer les citoyens, de consulter pour éventuellement enrichir le projet à la marge. Dans l'idéal, elle permet de se concerter, quand les différents partenaires, les groupes de citoyens, d'élus, de techniciens apportent leur part au projet. Mais au bout du compte, les dirigeants, les élus tranchent. Le processus ne va que rarement jusqu'à la décision ou codécision et à la possibilité réelle d'une nouvelle répartition des pouvoirs. (Spirale alternative, r.e.)

Que ce soit dans les milieux de gauche ou dans les discours officiels néolibéraux, certains concepts circulent abondamment : participation, consultation, concertation, transparence et décentralisation des pouvoirs. Dans ce contexte, plusieurs auteurs ont créé leur propre échelle de participation. Il me semble intéressant de m'y arrêter. Déjà

en 1969, Sherry R. Arnstein (1969) crée une « échelle de la participation en trois stades » pour analyser la manière dont les pouvoirs publics informent et font participer les citoyens aux prises de décision. Arnstein identifie, en haut de l'échelle, le pouvoir effectif des citoyens qui comprend, selon elle, le contrôle citoyen, à délégation du pouvoir et le partenariat. Elle nomme ensuite, au centre de l'échelle, la coopération symbolique qui comprend la conciliation, la consultation et l'information. Finalement, en bas de l'échelle elle nomme la non-participation qui intègre la thérapie et la manipulation.

Dans ma pratique en théâtre communautaire, je tente d'atteindre un niveau de participation le plus haut possible. À noter que les deux stades supérieurs d'Arnstein, la délégation du pouvoir et le contrôle citoyen, sont difficilement atteignables, car les participants manquent souvent de connaissances techniques et artistiques pour devenir totalement autonomes et l'artiste professionnel doit être là pour accompagner le processus. L'on peut cependant tendre au maximum à ce qu'il y ait appropriation et co- construction. Idéalement, une pratique communautaire autogérée serait souhaitable, mais demeure improbable dans les conditions actuelles. L'autogestion implique, comme l'affirmait Saul Alinsky (r.e.), que les organisateurs transmettent et partagent leurs compétences, qu'ils sachent s'effacer à temps et se rendre progressivement inutiles. Je crois que cette finalité autogestionnaire est intéressante à garder en mémoire, mais qu'il faut rester réaliste et ne pas sauter trop vite les étapes. Il y a des passages nécessaires et un temps pour chaque chose. Toutefois, cette échelle m'aide à confirmer à quel niveau je souhaite travailler. Définitivement, je tiens à éviter une participation qui se limiterait aux étapes de l'information et de la consultation et je pense que l'implication est nettement insuffisante. Participer reste, au sens étymologique du terme « donner en partage ». Il s'agit encore une fois de « partager le pouvoir ». À partir d'une gradation dans la participation, j'ai ainsi construit mon propre schéma des pratiques théâtrales à caractère social, que je peux utiliser pour clarifier ma position auprès des partenaires.

Figure 4 Schéma des pratiques théâtrales à caractère social (Malacort et April, 2016)

En théâtre d'intervention, un organisme commande une pièce de sensibilisation, sur un sujet déterminé et visant un public ciblé. L'artiste devient un professionnel porteur de messages.

En théâtre communautaire, l'artiste-formateur indique la direction menant à la création collective d'une œuvre dans laquelle les co-créateurs vont exprimer leur vision du monde. Tous sont responsables des processus de création et de décision.

Dans le théâtre en lien avec la communauté, l’artiste récolte des données auprès de citoyens ciblés et crée une œuvre personnelle. Il s'inspire des témoignages et se fait porte-parole, intégrant à son gré les citoyens consultés56.

56

Le concept d'art en lien avec la communauté, est un concept souvent utilisé par les bailleurs de fonds ainsi que dans les nouveaux programmes de médiation culturelle. Il peut inclure des pratiques fort diverses. Il s'agit moins d'art réalisé par et avec les citoyens que de productions réalisées par un artiste qui produit une œuvre en s'inspirant des citoyens, de leurs vécus et de leurs réalités. Même si cette pratique a un caractère social, il est rare qu'on les considère comme faisant partie des arts communautaires. C'est la raison pour laquelle je n'en ai pas fait mention, lors de l'étude terminologique du chapitre 1.