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La fraude existe-t-elle dans les cursus montpelliérains ?

Dans le document Faire sa médecine au XVIIIe siècle (Page 197-200)

Les cursus

II- La fraude existe-t-elle dans les cursus montpelliérains ?

1- Une fraude institutionnalisée ?

Il est assez difficile de se rendre compte des fraudes qui ont pu exister dans le cadre des cursus des étudiants qui ont fréquenté la Faculté de médecine de Montpellier ; cependant des « complicités » à de multiples niveaux ont pu les faciliter. La première s’est en quelque sorte institu-tionnalisée entre les Facultés d’Orange et de Montpellier. Ici, le terme de fraude est quelque peu exagéré, car statutairement les jeunes gens qui viennent s’immatriculer à Montpellier demandent que leurs inscrip-tions antérieures soient validées. Mais on peut tout de même souligner l’extraordinaire complicité ou complaisance qui existe entre les deux centres. Les étudiants inscrits à Orange disposent d’appuis à l’intérieur

de leur Faculté. Ils se sont ingéniés à mettre en place une pratique dou-teuse que dénonce un des membres du corps professoral de la Faculté d’Orange. L’accord tacite du doyen de cette Faculté d’Orange pour enté-riner cette pratique conduit le professeur François Vitalis à informer ses collègues montpelliérains au début du mois d’octobre 1782:

« Les moyens que nous avions pris pour arrêter le commerce d’inscrip-tions que fait depuis longtemps notre doyen avec vos élèves ont frustré notre attente. Nous savons, à n’en pas douter, que ce commerce conti-nue ; ainsi vous pouvez vous attendre à vous voir présenter à la rentrée de vos études la preuve complète de ce que nous avons l’honneur de vous avancer […] Nous nous bornerons à vous instruire et Messieurs vos col-lègues que tous les certificats qui partiront d’ici doivent être de nul effet, lorsqu’ils ne seront pas munis de notre seing ou de celui de l’un de nous. Il y a apparence que vous en recevrez peu, dès que votre école mettra à l’index tous ceux qui ne seront pas revêtus du sceau de l’authenticité 1. »

Il est vrai que la réprobation de cette pratique est bien tardive, quand on sait que le circuit Orange-Montpellier existe depuis le début du xviiie siècle. Les remarques formulées en ce qui concerne la mobi-lité étudiante attestent, pour ceux qui choisissent l’option Orange-Montpellier, la prise d’une ou deux inscriptions seulement2. L’ouvrage de D. Julia et J. Revel montre que ces « étudiants fraudeurs » ont la particularité de se faire inscrire au cours de la période estivale et en particulier au mois d’août. Ils disent tous s’inscrire le 10 de ce mois et ces inscriptions trimestrielles ne sont jamais authentifiées par la signa-ture d’un professeur3. La dénonciation que formule François Vitalis lui est d’autant plus coûteuse qu’il est lui-même un ancien étudiant formé à Montpellier4 ; il se devait cependant de tenter de sauvegarder un minimum d’intégrité pour sa Faculté.

1. B.I.M.M., F. 67, pièce n° 15. Correspondance de la Faculté. Lettre de Vitalis à Monsieur René, professeur au Ludovicée de médecine à Montpellier, le 11 octobre 1782.

2. Cf. dans la deuxième partie de ce travail le chapitre consacré à « la mobilité étudiante » et, en particulier, l’ensemble des liens privilégiés qui existent entre les Facultés d’Orange et de Montpellier.

3. Ji-Rv, p. 284-285.

4. B.I.M.M., S 46-f°19, première inscription de François Viis, originaire de Bollène dans le diocèse d’Apt le 1er novembre 1751. S 61-f°23-r°, baccalauréat le 14 février 1754. S 61-f°170-r°, licence le 11 décembre 1754. S 61-f°194-v°, doctorat le 19 décembre 1754.

En revanche, au-delà de ce type de fraude dont ont pu profiter bon nombre de jeunes gens qui ont fait de substantielles économies sur le prix des inscriptions, on sait que la Faculté de Montpellier ne prati-que pas des validations d’acquis systématiprati-ques, ce qui introduit des dif-férences entre les étudiants. Les étudiants originaires de la Faculté de Pont-à-Mousson ou de celle d’Avignon sont régulièrement rétrogradés dans leurs études et doivent à nouveau satisfaire à des inscriptions com-plémentaires à Montpellier : la rivalité entre les Facultés se répercute alors dans les cursus des étudiants qui subissent ces rétrogradations. Ces particularités sont laissées à la libre appréciation du corps professo-ral qui est seul juge1.

2- Les fraudes estudiantines

Très peu d’éléments permettent de saisir une fraude éventuelle de la part des étudiants sans que ceux-ci aient pu bénéficier de complicités. Quelques indications cependant sont mentionnées dans la correspon-dance de la Faculté de Montpellier qui doit répondre d’un certain nombre d’irrégularités. Deux exemples montrent que celle-ci a contrevenu à deux moments précis aux termes de l’Édit de 1707. Ces deux cas sont révéla-teurs d’un système qui semble exister dans le cadre universitaire et ils sou-lignent les liens entre les étudiants et le bedeau de la Faculté2. Si fraude il y a, elle n’atteint jamais la réputation du corps professoral, mais toujours le personnel subalterne. Il n’est malheureusement pas possible de trouver d’autres cas de fraudes. Ce silence des sources est assez révélateur et on peut penser que les quelques exemples dont nous disposons ne mettent pas en lumière l’ampleur du phénomène : il faut être prudent et parler d’une sous-évaluation vraisemblable. Les deux exemples dont nous disposons et qui ont donné lieu à d’abondants échanges épistolaires entre la Faculté de Montpellier et ses détracteurs proviennent de l’absence de vérification systématique des certificats antérieurs des jeunes gens. Ils montrent les carences de l’institution qui sont utilisées par quelques étudiants.

1. Voir à ce sujet les développements consacrés à ces problèmes de rétrogradations dans le cha-pitre de cette partie consacré à « la mobilité étudiante à Montpellier au xviiie siècle » chapitre iii.

2. Di, p.64-65. Le bedeau assure à Montpellier les fonctions de secrétaire de la Faculté. Au cours du xviiie siècle, à Montpellier, et en particulier au cours de la deuxième moitié de celui-ci, c’est une « dynastie », la famille Vincent qui occupe ce poste. Traditionnellement les bedeaux de la Faculté sont également notaires à l’exception de la dynastie Vincent qui cumule les fonctions de bedeau, secrétaire et trésorier.

a) L’affaire Jean-Marie Rousse

Jean-Marie Rousse fait l’objet d’une attention particulière de la part de la Faculté de médecine de Toulouse qui voit dans son cas une possibilité de précédent administratif, et charge de l’affaire l’avocat général au Parlement, Resseguier, qui va entretenir avec les professeurs de Montpellier une correspondance suivie. Le sieur Jean-Marie Rousse se présente à Montpellier au dernier trimestre de l’année 1783 et men-tionne qu’il a déjà satisfait à huit inscriptions à Toulouse. Montpellier lui demande donc de prendre deux inscriptions complémentaires avant qu’il ne se présente au baccalauréat. Or, l’avocat Resseguier attaque la légèreté de la Faculté de médecine de Montpellier qui a accepté en son sein Jean-Marie Rousse sans lui demander de prouver ses certificats antérieurs :

« […] au lieu de vous contenter de la parole du sieur Rousse (voie qui me paraît très illégale et très dangereuse par ses conséquences) vous eussiés exigé de lui, qu’avant de se faire inscrire sur les registres de votre Faculté et de subir son examen [à cette date l’étudiant a déjà passé le baccalau-réat] il rapportât ses certificats signés par les professeurs de la Faculté de Toulouse, ces derniers les lui auraient refusés, parce que l’arrêt de 1766, les inhibe d’en expédier qu’autant que les inscriptions ont été sui-vies de l’examen, ce à quoi le sieur Rousse n’a jamais satisfait 1. »

Ce débat montre deux interprétations des textes relatifs à l’Édit de 1707. Le sieur Rousse aurait dû passer son premier grade à Toulouse avant de se diriger vers Montpellier. Pour Toulouse, cet incident laisse la porte ouverte à une fuite des effectifs. Il s’agit surtout d’éviter que le cas de Jean-Marie Rousse ne fasse des émules au sein du monde médical estu-diantin toulousain. Toulouse à cette époque, même si la médecine n’est pas le fleuron de son Université, doit faire face à une baisse de ses effectifs et elle est directement en concurrence avec Montpellier qui attire de plus en plus de jeunes gens issus de son aire de recrutement traditionnel. Cet argument est d’autant plus intéressant que Jean-Marie Rousse est origi-naire du diocèse de Tarbes, un des plus fidèles « clients » de la Faculté toulousaine2. Cette bataille de procédure montre que Toulouse défend

1. B.I.M.M., F. 69, pièce n° 14, correspondance de la Faculté. Lettre de Resseguier, avocat général de Toulouse aux professeurs de médecine le 14 février 1784.

2. Patrick Fr, « Les étudiants du diocèse de Tarbes à l’Université de Toulouse de 1679 à 1788 », Congrès de la Fédération des Sociétés académiques et savantes Pyrénées-Languedoc-Gascogne, Tarbes, 1978.

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