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Les équipes étrangères à Montpellier au xviii e siècle

Dans le document Faire sa médecine au XVIIIe siècle (Page 176-184)

Binômes et trinômes étudiants dans la ville universitaire

V- Les équipes étrangères à Montpellier au xviii e siècle

1- Des spécificités dans les équipes étudiantes

Tableau n° 28 : Les équipes étrangères à la Faculté de médecine de Montpellier au xviiie siècle

Origine des équipes Binômes Trinômes

Irlande 7 1 Cantons suisses 8 0 Flandres 2 0 Espagne 1 0 Portugal 3 0 Total 21 1

Dans l’effectif total des étudiants étrangers, les binômes et trinômes constituent 11,4 %, ce qui est légèrement supérieur au pourcentage des régnicoles soit 8,3 %, mais il est vrai que le nombre des inscrits étran-gers est bien moindre que celui des régnicoles (392 contre 4290). On remarque que la communauté irlandaise est la principale pourvoyeuse, puiqu’elle représente avec les Cantons suisses 38 % du compagnonnage universitaire (on a 17 irlandais en équipes contre 16 pour les Cantons suisses). Par rapport aux effectifs totaux de chacune de ces deux nations, les pourcentages sont les suivants : 22 % d’équipes pour les Irlandais et 18,6 % pour les Cantons suisses. Ensuite, les résultats sont assez maigres pour les autres pays, et seul le Portugal se distingue avec trois binômes qui représentent 14,2 % des inscrits (deux sont originaires du Brésil). Les royaumes espagnols n’envoient qu’une seule équipe au cours du xviiie siècle, mais leur effectif est peu important, puisqu’ils ne sont que 56 sur l’ensemble de la période. En ce qui concerne les Flandres, 2 binômes représentent 4,5 % du total des inscrits de cette nation.

2- Les équipes irlandaises

Au cours du xviiie siècle, les matricules de la Faculté de Montpellier attestent la présence de 7 binômes et d’un trinôme irlandais ce qui représente près de 10 % de l’ensemble de ces étudiants. Très peu de binômes sont originaires de la même ville ; celui composé en novembre 1768 par Guillaume O’Brien et Michel O’Ryan, originaires de Limerick

est une exception1. Il est aussi probable que l’inscription de Patrice Fitzgerald, Jacques Tyrell et de Domondus French, le 23 mai 1730, soit un trinôme, mais on n’a aucun renseignement sur le lieu d’origine de ces trois étudiants2. On remarque que certaines villes comme Galway, Corck, Dublin ou Limerick ont été des cités pourvoyeuses d’équipes étudiantes, tout en étant les lieux d’origine de la plupart des autres étu-diants irlandais qui n’ont pas constitué de tandems. En 1726, André Cantwell de Limerick et Ambroise Lynch de Galway s’inscrivent tous deux le 31 août sur la matricule montpelliéraine3 et en 1772 Thomas Egan de Dublin et André O’Flaherty de Galway prennent aussi leur pre-mière inscription au mois d’août4.

La période 1721 à 1730, où les étudiants irlandais sont fortement représentés à Montpellier, est assez exceptionnelle, il faut attendre le début de la décennie 1770 pour que l’on retrouve la présence de ce type de groupements. De 1721 à 1730, l’Irlande envoie 3 binômes et un tri-nôme à Montpellier ce qui représente 23 % des équipes si l’on y ajoute les régnicoles. Cette présence irlandaise est surprenante par son nombre et par sa vitalité, comme les travaux de L.-M. Cullen l’ont bien montré5. La première association est composée de deux étudiants originaires de Dublin : Jean Brickell et Patrice Archbold s’inscrivent à Montpellier au mois d’août 17236 ; Jean Monighan, originaire du diocèse de Tuam et Guillaume O’Riordan, natif de Cork, prennent leur première inscrip-tion le 28 février 17257 ; en 1726 ce sont André Cantwell et Ambroise Lynch qui s’inscrivent le 31 août8. Au cours de la décennie 1721-1730, le recrutement irlandais à Montpellier est composé de 10 étudiants, les

1. B.I.M.M., S 38, première inscription de Guillaume O’Bri et Michel O’Ry, originaires de la ville de Limerick au trimestre de novembre 1768.

2. B.I.M.M., S 26 f°156, première inscription de Patrice Fizr, Jacques Tyr et Domondus Frh, d’origine inconnue, le 23 mai 1730.

3. B.I.M.M., S 26 f°37, première inscription d’André Cw de Limerick et d’Ambroise Lyh de Galway le 31 août 1726.

4. B.I.M.M., S 38, première inscription de Thomas E et d’André O’Fhry au trimestre d’août 1772.

5. L.-M. C, « The Irish diaspora of the Seventeenth and Eighteenth Centuries », N-P. Canny (ed.), Europeans on the Move : Studies on European Migration 1500-1800, Oxford, 1999.

6. B.I.M.M., S 24 f°114, binôme constitué par Jean Brik et Patrice Arhb. Tous deux s’inscrivent le 2 août 1723.

7. B.I.M.M., S 26 f° 10, première inscription de Jean Mih, originaire du diocèse de Tuam et de Guillaume O’Rir, originaire de Cork, le 28 février 1725.

binômes-trinômes représentent 9 étudiants : donc, la quasi-totalité des Irlandais qui se sont inscrits à Montpellier au cours de cette décennie a choisi la pratique du groupement entre deux ou trois jeunes gens. Pour cette communauté, la pratique est assez nouvelle, car la recherche entre-prise pour le xviie siècle1 montre que sur l’ensemble de la période, seuls 6 étudiants irlandais viennent faire des études de médecine à Montpellier ; aucun ne choisira de faire le voyage universitaire avec un compagnon d’études. Il en est de même pour le xvie siècle : les travaux de Marcel Gouron ne mentionnent qu’un seul étudiant irlandais venu au xvie siècle faire ses études à Montpellier2.

Tout semble se dérouler comme si les Irlandais du début du xviiie siècle avaient en quelque sorte joué le rôle « d’éclaireurs » pour leurs cadets. Ils ont sûrement apporté leurs connaissances du terrain, des coutumes, de l’adaptation dans la ville universitaire et des particularités du déroule-ment d’un cursus en médecine. Ainsi, de 1730 à 1768, les 37 Irlandais qui se trouvent à Montpellier n’ont pas opté pour ce « compagnonnage universitaire ». Cette absence de binômes et de trinômes au cours de cette période d’environ quarante ans est compensée par l’implantation d’une « colonie » irlandaise dans la cité languedocienne, comme en témoigne, dans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau qui séjourne en 1737 à Montpellier3. Il faut préciser qu’à cette époque la communauté irlandaise a fort bien réussi à Montpellier dans le monde de l’Univer-sité, et dans celui de la médecine plus précisément. Le professeur Fitz-Maurice donne des cours à la Faculté et accueille chez lui en pension un certain nombre de ses compatriotes4 : il fournit le gîte et le couvert, ainsi que les répétitions des leçons. Il devient alors inutile que les étudiants qui arrivent de Cork, de Dublin ou de Galway se mettent en quête d’un compagnon d’études, puisqu’ils trouveront langue, coutumes et men-talités de leur pays d’origine dans la ville universitaire. Montpellier est donc devenu, au milieu du xviiie siècle, une étape universitaire connue de la communauté irlandaise. Celle-ci fonctionne, aux dires de Jean-Jacques Rousseau, comme une véritable nation en microcosme : le

1. Nous avons procédé à une saisie systématique des étudiants en médecine au xviie siècle dans le centre universitaire montpelliérain de manière à pouvoir permettre des comparaisons tant sur le plan des effectifs que sur celui des lieux d’origine.

2. Marcel Gr, op. cit.

3. Jean-Jacques Rss, Les Confessions, Paris, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1994, t. I, Livre 6, p. 479-480.

« voyageur-malade », qu’il est à cette époque, s’essaie même à la langue de Shakespeare au milieu de cette jeunesse qu’il trouve fort plaisante : « A midi, j’allais faire un tour à la Canourgue, avec quelques-uns de nos jeunes commensaux, qui étaient tous de très bons enfants1 […] ». Cette importance numérique des Irlandais à Montpellier est aussi le résultat d’un processus de sédentarisation. Les exemples bien connus du corps professoral montpelliérain tels messieurs Fitz-Gerald et Fitz-Maurice occultent parfois des pratiques similaires pour des étudiants qui, venus d’Irlande, ont ensuite choisi de s’installer dans le royaume. Tandis que certains sont devenus des membres éminents de la société montpel-liéraine éclairée, d’autres, anciens étudiants également, choisiront de devenir de simples médecins de campagne. C’est ce que fait Edmond O’Reilly : il est installé à Sauve dans le diocèse d’Alès en 1774 ; à cette date, il est amené à rédiger un certificat médical pour le sieur Imbert de Saint-Paul, inspecteur des manufactures, qui, atteint de tuberculose, est dans l’incapacité de se rendre à la foire de Beaucaire2. À notre connais-sance, quatre autres étudiants irlandais choisiront de résider dans le royaume de France : Patrice Archbold fera souche à Lodève et ses descendants embrasseront également la carrière médicale pour l’exer-cer dans cette petite cité du Languedoc. Cette province sera également la résidence de Valentin Quin3, Jacques Kirwan s’installe à Nantes au début de la décennie 1780 et Dominique-Michel Macnemara est, à la même époque, établi à Dunkerque4.

Il faut attendre 1768 pour que Guillaume O’Brien et Michel O’Ryan constituent un binôme. Ils sont, tous les deux, originaires de Limerick5. Deux ans plus tard, au mois d’août 1770, Patrice Fergus et Pierre Kennedy choisissent de venir étudier en France6. Un avant dernier binôme se forme en 1772, Thomas Egan, de Dublin, retrouve à Montpellier André

1. Jean-Jacques Rss, op. cit.

2. Simone Mirr, Médecine des pauvres dans les campagnes en Languedoc au xviiie siècle,

Montpellier, 1992, Thèse de médecine, 208 p. dactyl. 3. Jean de Hr, Pierre de la Srv, op. cit.

4. Bibliothèque inter universitaire de médecine de Paris, Ms. 2221., Médecins et chirurgiens du royaume entre 1780 et 1784, recensés par villes et lieux.

5. B.I.M.M., S 38, première inscription de Guillaume O’Bri et Michel O’Ry, trimestre de novembre 1768.

6. B.I.M.M., S 38, première inscription de Patrice Frs et de Pierre Ky au trimestre d’août 1770.

O’Flaherty, de Galway1. La dernière équipe étudiante date de 1777 entre Thomas Barry, de Hightown, et Denis O’Hea, de Ross2. On le voit, la tra-dition de l’inscription à deux ou à trois pour la communauté irlandaise a connu des périodes « fastes » et des moments de décrue. Cependant, à la fin du xviiie siècle, il existe un certain renouveau pour ce genre de pratique. En général, on remarque un très net ralentissement du voyage pour études des ressortissants irlandais à Montpellier au Siècle des lumières. Hilde de Rydder-Symoens3, qui a étudié la mobilité étu-diante, note qu’au cours du xviiie siècle le recrutement de la Faculté de Reims subit une sensible modification. En effet, jusqu’au milieu du Siècle des lumières, les étudiants en médecine étrangers y sont nom-breux et constituent 60 % des gradués. À la fin du siècle, ils représentent toujours une part importante du recrutement, mais leur nombre a baissé de moitié. Il est intéressant de remarquer que les étudiants origi-naires des îles britanniques constituent la quasi totalité de ce nombre. Or, en ce qui concerne cette population, le xviiie siècle a vu s’opérer des changements. Alors que jusqu’en 1750 les étudiants originaires des îles britanniques sont essentiellement Anglais et Écossais, à partir de cette date, ils sont majoritairement Irlandais. Il semble alors qu’il se soit pro-duit une modification dans les destinations des « routes de la science4 » pour les Irlandais. Ceux-ci auraient, a priori, abandonné Montpellier pour le centre de Reims, destination moins lointaine et surtout moins onéreuse pour les études. Jusqu’en 1750, les Irlandais à Montpellier sont au nombre de 44, ensuite dans la deuxième moitié du siècle, ils ne sont plus que 28, soit une baisse de près de la moitié. Ce tassement pro-gressif de l’effectif irlandais peut également avoir pour origine la créa-tion à Paris en 1743 de l’Académie Royale de Chirurgie : elle est au milieu du xviiie siècle particulièrement bien fréquentée par les Irlandais, car elle propose de nombreux exercices pratiques5. Dès lors, Montpellier devenait probablement moins attractive pour ces étudiants en médecine.

1. B.I.M.M., S 35, première inscription de Thomas E et d’André O’Fhry au trimestre d’août 1772.

2. B.I.M.M., S 40, première inscription de Thomas Brry et de Denis O’H au trimestre de mai 1777.

3. Hilde de Rir-Sys, « Mobility », A history of the University in Europe, vol. II,

Universities in early Modern Europe 1500-1800, Cambridge, de Ridder-Symoens éd., 1994, p. 437. 4. Analogie avec le titre de l’article d’Alexandre-Charles Gri intitulé « Les pélerins de la science », art. cité.

3- Les autres étrangers en équipes

On est frappé de constater que les Irlandais et les étudiants originai-res des Cantons Suisses ont été les seuls à se grouper en binômes et en trinômes, car pour les autres « nations » représentées à la Faculté de médecine de Montpellier aucune n’a constitué de tandem. Pour les étu-diants des Canton suisses, les équipes représentent 10 % de l’effectif total sur l’ensemble du xviiie siècle avec 8 binômes (total de 86 étudiants). Ces groupes sont pour sept d’entre eux concentrés dans la deuxième moitié du siècle et pour la première moitié, seuls les Genevois, Claude-François Gachet et Laurent Schueler prennent leur première inscrip-tion le 14 novembre 17431. Ensuite, au cours de la deuxième moitié du siècle, les équipes s’échelonnent entre 1759 et 17862.

4- Les réussites

L’analyse de la réussite universitaire des étudiants irlandais ne donne pas tout à fait les mêmes résultats que pour les régnicoles. En effet, sur les 72 jeunes gens, 17 ont opté pour des équipes soit 23,6 %. Seuls 59 % d’entre eux sortent diplômés de la Faculté de médecine de Montpellier ; 41 % ne terminent pas le cursus ; et environ 30 % des 17 jeunes gens qui ont constitué un « compagnonnage universitaire » abandonnent avant la troisième inscription. Les motivations du voyage d’études ne sont peut-être pas identiques pour les Irlandais et pour les jeunes gens origi-naires des autres « nations ». L’analyse des effectifs des autres Facultés supérieures de la ville de Montpellier, droit ou théologie, fournirait

1. B.I.M.M., S 28 f°616, première inscription de Claude-François Gh et Laurent Shr, originaires de Genève le 14 novembre 1743.

2. B.I.M.M., S 49 f°279, première inscription de Joseph Girr, originaire de Fribourg et de Jacques-Christophe Shrb, originaire de Genève au trimestre d’août 1759.

B.I.M.M., S 38, première inscription d’Abraham Jy et Pierre Viir, originaires de Genève au trimestre de novembre 1768.

B.I.M.M., S 40, première inscription d’André-Ignace Drs et de Blaise Thri, originaires de Fribourg au trimestre de novembre 1776.

B.I.M.M., S 52, première inscription de Henri Hr, originaire de Soleurs et de Jean-Joseph Hss, originaire de Zoug au trimestre de novembre 1786.

B.I.M.M., S 43, première inscription de Henri Pfr, originaire de Aarau et de Samuel Wyss de Brif, originaire de Berne au trimestre d’octobre 1780.

B.I.M.M., S 50, première inscription de Jean-Auguste H-Mz, originaire de Morsée et de Jean Shfbrr, originaire de Fribourg au trimestre de novembre 1784.

B.I.M.M., S 52, première inscription de Pierre-Placide Gfry, originaire d’Echallens, et de Jean-Jacques Vir, originaire de Genève au trimestre de novembre 1786.

peut-être l’explication de ce manque de persévérance dans la pour-suite des cursus pour les ressortissants de cette communauté. Alors que tout a été fait pour sécuriser les jeunes gens et leur faire aborder leur nouvelle ville et leur nouvelle vie dans des conditions optimales de camaraderie et de réussite, ces échecs interviennent au milieu du parcours des 12 inscriptions. Originaires, pour la plupart d’entre eux, de zones urbaines mais dans un « pays » essentiellement rural et pauvre, les familles n’ont peut-être pas pu soutenir l’effort financier sur la tota-lité du cursus montpelliérain. Seul, un dépouillement systématique de l’ensemble des matricules des Facultés françaises permettra de savoir si ces abandons ont été définitifs ou si ces jeunes gens ont préféré se faire recevoir docteurs dans des Facultés où les grades sont moins onéreux que dans la cité languedocienne, telles celles de Valence ou d’Avignon. Cette forme nouvelle de la peregrinatio academica, bien connue pour la période médiévale (où les jeunes gens manifestaient le désir de suivre les leçons de maîtres réputés), existe également pour le Siècle des lumières (où elle sert à se procurer le plus facilement un titre), mais, on ne peut la saisir qu’au travers de quelques éléments révélés par les sources uni-versitaires (comme nous le montrerons plus loin) mais, pour l’instant, l’absence de recherches prosopographiques exhaustives est un obstacle à la connaissance du phénomène.

Conclusion

Les équipes étudiantes en binômes ou en trinôme constituent un élé-ment non négligeable du paysage universitaire montpelliérain au cours du xviiie siècle. D’abord pratiquées par quelques étudiants étrangers, comme les Irlandais ou les Suisses, elles sont progressivement utili-sées par les régnicoles au cours du xviiie siècle, surtout par les jeunes gens originaires de diocèses lointains et probablement dictées par un choix parental visant à assurer une plus grande sécurité dans cette ville universitaire aux multiples dangers. L’augmentation de leur nombre au cours de cette période est à relier à l’accroissement significatif du nombre des effectifs.

LES ÉTUDES À LA FACULTÉ DE

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