• Aucun résultat trouvé

La discipline, obligation principale du détenu

Conclusion du Chapitre 1

Section 2 – Le détenu, utilisateur soumis à des prescriptions

B) La discipline, obligation principale du détenu

188- Éric PECHILLON écrit que « les détenus sont astreints, du fait de leur

situation de soumission à l’égard de l’autorité pénitentiaire, à une obligation principale de discipline »628. En raison des impératifs de sécurité et pour prévenir aussi bien les troubles extérieurs à la prison que ceux pouvant se développer en son sein, la discipline est donc devenue l’outil de gestion de la vie carcérale le plus utilisé car évalué comme le plus efficace (1). Afin que celui-ci le soit réellement, il nécessite de laisser au chef d’établissement des « moyens adaptés à la logique de maintien de la

discipline intérieure »629, et donc de lui laisser une marge de manœuvre conséquente (2).

625 Ibid., pp. 108-109.

626 Ibid., pp. 102-103.

627 Ibid., pp. 108-109.

628 E. PECHILLON, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, op. cit., p. 212.

184

1. Un outil de gestion de la vie carcérale

189- La nécessité de la discipline en prison. Bien qu’imposée aux détenus,

« la discipline représente plus qu’un droit organisationnel, elle constitue en

fait un instrument d’action, réputé accepté par les membres et usagers de l’institution »630. Elle permet un fonctionnement équilibré de l’institution, puisque « grâce à elle les excès de quelques-uns sont sanctionnés pour

permettre la préservation de la tranquillité des autres »631. Particulièrement forte en prison, car les détenus doivent obéissance aux agents ayant autorité dans l’établissement, la discipline remplit de nombreux objectifs. Elle permet « la sauvegarde de l’ordre pénitentiaire [en] visant plus

généralement à garantir l’ordre public », elle est « vitale à ce service public et, par répercussion, à la société qu’il protège »632. Facteur de la cohésion dans la prison, de la paix intérieure, elle sert à maintenir des relations pacifiques entre les détenus, comme entre les détenus et les surveillants. Prévenant les risques de rébellion, d’évasion, elle assure également la garde efficace des personnes écrouées pour protéger la société. En outre, elle oblige à intérioriser les règles de vie en société et donc « [suscite] chez les

personnes incarcérées le sens des responsabilités, les amenant à une réflexion sur les comportements et une confrontation aux urgences de la vie en collectivité »633. Elle prépare leur réintégration future à la société libre en les normalisant. Pour remplir ces fonctions, il est nécessaire que l’administration pénitentiaire « bénéficie d’une sorte de privilège de justice

630 E. PECHILLON, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, op. cit., p. 328.

631 P. BARBELETTE, La situation du détenu face aux sanctions disciplinaires, Mémoire de DEA, Université ParisII Panthéon-Assas, dir. J. Morange, 2003, p. 4.

632 E. MASSAT, Servir et discipliner – Essai sur les relations des usagers aux services publics,op. cit., p. 147.

633 Circulaire GA3du 2 avril 1996 relative au régime disciplinaire des détenus, JUSE9640025C.

185

avec ses lois propres, ses délits spécifiques, ses formes particulières de sanctions, ses instances de jugement »634.

190- La mise en œuvre de la discipline en prison. Le régime disciplinaire

des personnes détenues a beaucoup évolué ces vingt dernières années, modifié successivement par le décret du 2 avril 1996635, la loi du 12 avril 2000636, la loi du 24 novembre 2009637 et le décret du 13 février 2019638. Aujourd’hui, l’article 726 du code de procédure pénale fixe les principes directeurs de la procédure disciplinaire, cadre précisé par un décret en Conseil d’État repris aux articles R. 57-7 et suivants du même code. Depuis 1996, pour éviter tout arbitraire, il existe une liste exhaustive des comportements sanctionnables : « les fautes disciplinaires sont classées

selon leur gravité »639 à l’aide d’une division tripartite : fautes de premier degré – principalement des actes de violences physiques ou de nature à compromettre la sécurité de l’établissement -640, fautes de deuxième degré – surtout des violences verbales et omissions pouvant engendrer des dangers pour la sécurité –641 et fautes de troisième degré – essentiellement des atteintes au règlement intérieur de l’établissement -642. Inspirée du droit

634 M. FOUCAULT, in: E. PECHILLON, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, op. cit., p. 328. Il ajoute d’ailleurs que « les disciplines établissent une infra-pénalité, elles quadrillent un espace que les lois laissent vide, elles qualifient et répriment un ensemble de conduites que leur relative indifférence faisait échapper aux grands systèmes de châtiment ».

635 Décret n°96-287 du 2 avril 1996 relatif au régime disciplinaire des détenus et modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale (troisième partie : Décrets), JORF du 5 avril 1996 p. 5260.

636 Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, JORF du 13 avril 2000 p. 5646.

637 Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, op. cit.

638 Décret n°2019-98 modifiant les dispositions réglementaires du code de procédure pénale relatives au régime disciplinaire des personnes détenues, JORF du 15 février 2019.

639 Article R. 57-7 du CPP.

640 Article R. 57-7-1 du CPP.

641 Article R. 57-7-2 du CPP.

186

pénal, cette division tripartite n’engendre pourtant pas les mêmes effets puisque les sanctions disciplinaires ne reprennent pas cette classification. Énumérées aux articles R. 57-7-33 et R. 57-7-34 du code de procédure pénale, elles se partagent seulement entre sanctions générales – applicables à toutes les fautes – et sanctions spéciales. La seule différence opérée en application de la division tripartite des fautes s’effectue lors du prononcé de la peine de confinement en cellule ordinaire ou de mise en cellule disciplinaire, où la durée est modulée en fonction de la classification de la faute643. Ceci reprend le principe affirmé à l’article R. 57-7-49 qui dispose que les sanctions doivent être « proportionnées à la gravité des faits et

adaptées à la personnalité de leur auteur ».

191- De même, contrairement au droit pénal, en cas de cumul de fautes, la

commission de discipline peut prononcer une sanction par faute, avec une limite tout de même puisque, si « les durées des sanctions prononcées se

cumulent entre elles », « leur durée cumulée ne peut excéder la limite du maximum prévu pour la faute la plus grave »644. En outre, ces sanctions peuvent être cumulées à des sanctions pénales si l’acte litigieux relève aussi des infractions prévues par le code pénal, ainsi qu’avoir un effet sur les décisions du juge de l’application des peines qui peut en tenir compte lors de l’examen du dossier du détenu et rejeter, ajourner ou retirer des mesures d’application de la peine telles une permission de sortir ou une réduction de peine.

192- En cas de faute disciplinaire, une procédure particulière doit être

suivie. Dans un premier temps, « un compte-rendu est établi dans les plus

brefs délais par l’agent présent lors de l’incident ou informé de ce dernier »645. Ensuite, un rapport est rédigé comportant « tout élément

d’information utile sur les circonstances des faits reprochés à la personne détenue et sur la personnalité de celle-ci »646, ainsi que la date, l’heure et le

643 Articles R. 57-7-41 et R. 57-7-47 du CPP.

644 Article R. 57-7-51 du CPP.

645 Article R. 57-7-13 du CPP.

187 lieu de l’incident ou encore l’existence de témoins éventuels647. Sauf s’il ne s’agit manifestement pas d’une faute disciplinaire, ce rapport est suivi d’une enquête permettant notamment de recueillir les observations du détenu et/ou des témoins. Si des poursuites sont engagées, en application du principe du contradictoire affirmé par la loi du 12 avril 2000, le détenu se voit remettre une convocation écrite à l’audience disciplinaire contenant « la date et

l’heure de sa comparution devant la commission de discipline ainsi que le délai dont [il] dispose pour préparer sa défense », délai ne pouvant être

inférieur à 24 heures. Il a accès au dossier de la procédure disciplinaire et « dispose de la faculté de se faire assister par l’avocat de son choix ou par

un avocat désigné par le bâtonnier de l’ordre des avocats et peut bénéficier à cet effet de l’aide juridique »648 sauf « en cas d’urgence ou de

circonstances exceptionnelles »649, ainsi que d’un interprète650. Le dossier est examiné par la commission de discipline présidée par le chef d’établissement ou son délégataire, assisté de deux assesseurs, l’un est membres du personnel de l’administration pénitentiaire, l’autre « est choisi

parmi des personnes extérieures à l’administration pénitentiaire qui manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires, habilitées à cette fin par le président du tribunal de grande instance territorialement compétent »651. La décision doit être prononcée en présence de la personne détenue et lui être notifiée par écrit sans délai, être motivée et présenter les voies de recours possibles652. En apparence, cette procédure respecte toutes les règles d’un procès pénal, mais, en réalité, en raison des impératifs justifiant une forte discipline dans les établissements pénitentiaires, le chef d’établissement

647 Circulaire du 9 juin 2011 relative au régime disciplinaire des personnes détenues majeures, NOR : JUSK1140024C, BOMJL n° 2011-06 du 30 juin 2011.

648 Article R. 57-7-16 du CPP.

649 V. article 24 de la loi du 12 avril 2000, op. cit.

650 Article R. 27-7-25 du CPP.

651 Article R. 57-7-8 du CPP.

188

dispose d’un large pouvoir d’appréciation sur le prononcé et l’exécution des sanctions disciplinaires.

2. Un pouvoir exorbitant aux mains du chef d’établissement

193- Bien que la commission de discipline soit composée du chef

d’établissement et de deux assesseurs, ces derniers n’ont qu’une voix consultative, les sanctions sont donc prononcées par le seul chef d’établissement653. En amont, déjà, c’est à lui que revient la charge « d’apprécie[r] au vu du rapport et après s’être fait communiquer, le cas

échéant, tout élément d’information complémentaire, l’opportunité de poursuivre la procédure »654. Il qualifie alors les faits en prévision du passage en commission de discipline. Il peut même les requalifier par la suite tant qu’un délai suffisant est laissé au détenu pour préparer sa défense. Puis, si la liste des fautes disciplinaires est exhaustive comme évoqué précédemment, elle laisse tout de même une large marge d’appréciation au chef d’établissement, de nombreuses dispositions étant rédigées avec des termes flous ou prévoyants expressément une telle latitude655. L’exemple le plus frappant est tiré de l’article R. 57-7-3 4° du code de procédure pénale définissant comme faute le fait « de ne pas respecter les dispositions du

règlement intérieur de l’établissement ou les instructions particulières arrêtées par le chef d’établissement ». Le règlement étant rédigé par le chef

d’établissement – même s’il s’inspire aujourd’hui d’un modèle type – et

653 Article R. 57-7-7 du CPP ; CE, 12 décembre 2018, req. n°421294, E. MAUPIN, « Conseiller n’est pas décider », AJDA, 2018, p. 2473.

654 Article R. 57-7-15 du CPP.

655 Ce qui est d’ailleurs contraire au principe légaliste comme le rappelle Martine HERZOG -EVANS. V. en ce sens M. HERZOG-EVANS, « La réforme du régime disciplinaire dans les établissements pénitentiaires, un plagiat incomplet du droit pénal », Revue pénitentiaire et de droit pénal, 1997, p. 9 ; CC, 20 janvier 1981, 80-127 DC, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, JORF du 22 janvier 1981, p. 308 ; D. 1982 p. 441, note A. DEKEUWER ; D. 1981, p. 101, J. PRADEL.

189 celui-ci pouvant ajouter des notes à l’attention de la population pénale pour le compléter, il décide ainsi quels sont les actes qu’il juge incompatibles avec le bon fonctionnement de l’institution et qu’il souhaite sanctionner. De plus, il a ensuite la possibilité de choisir la sanction qu’il estime la plus appropriée puisque les sanctions générales sont communes à toutes les fautes disciplinaires. Il peut même utiliser le passage devant la commission comme une simple mise en garde à l’égard du détenu et ne prononcer aucune sanction. L’autorité disciplinaire « établit ainsi assez librement que

la faute est imputable à l’usager, si son comportement est volontairement incompatible avec les exigences institutionnelles, si son acte s’avère suffisamment répréhensible pour justifier une sanction »656.

194- En outre, le chef d’établissement a la possibilité d’aménager

l’exécution de la sanction prononcée. En effet, « le président de la

commission de discipline peut accorder le bénéfice du sursis pour tout ou partie de l’exécution de la sanction disciplinaire soit lors du prononcé de celle-ci, soit au cours de son exécution »657. De même, il peut « dispenser la

personne détenue de tout ou partie de son exécution soit en raison de la bonne conduite de l’intéressé, soit à l’occasion d’une fête légale ou d’un événement national, soit pour suivre une formation ou pour passer un examen, et pour lui permettre de suivre un traitement médical » ou encore

« en suspendre ou en fractionner l’exécution »658. Il dispose une fois encore d’un large pouvoir d’appréciation et donc d’un moyen de contrainte conséquent sur les détenus.

195- Ce pouvoir s’est longtemps trouvé conforté par l’absence de causes

d’irresponsabilité en matière disciplinaire telles que prévues dans le code pénal659 et l’absence d’un contrôle juridictionnel adapté. Une évolution est

656 E. MASSAT, Servir et discipliner – Essai sur les relations des usagers aux services publics,op. cit., p. 68.

657 Article R. 57-7-54 du CPP.

658 Article R. 57-7-60 du CPP.

659 Le Code pénal prévoit aux articles 122-1 et suivants plusieurs causes d’irresponsabilité telles que les troubles psychiques, la contrainte, l’erreur de droit, le commandement de la

190

toutefois observable puisque le juge semble aujourd’hui reconnaître de plus en plus l’existence de causes d’irresponsabilité même s’il le fait souvent de manière détournée et sans le mentionner de manière expresse660. Mais surtout, alors qu’il utilisait de manière fréquente la théorie des mesures d’ordre intérieur lorsqu’il était saisi d’un recours à l’encontre d’une sanction disciplinaire, il accepte aujourd’hui d’en effectuer le contrôle reconnaissant qu’un tel acte fait grief aux détenus661. Il justifiait cette pratique par « le

souci d’éviter de susciter un contentieux qui risquerait d’entraîner des troubles importants dans les services publics où le maintien de la discipline est particulièrement nécessaire ». Il mettait ainsi en place un régime

d’exception pour « les établissements communautaires […] qui ne délivrent

leurs prestations qu’à des usagers pris en groupe et pour lesquels l’ordre, la tenue et la discipline ont une place particulière » 662.

196- L’évolution mentionnée démontre par conséquent un glissement des

régimes applicables dans ces services publics particuliers vers un régime classique de gestion du service public. L’existence de nombreuses prescriptions, comprenant de nombreuses règles de discipline, ne permettrait

loi ou de l’autorité légitime, la permission de la loi, la légitime défense, l’état de nécessité ou encore la minorité.

660 V. sur cette question : M. HERZOG-EVANS, Droit pénitentiaire, op. cit., p. 585 et s.

661 Il a ainsi accepté un recours à l’encontre de la sanction de placement en cellule disciplinaire, et ce, quelle que soit sa durée (CE, Ass., 17 février 1995, req. n°97754, Marie; JCP G, 1995, p. 22426, M. LACOMBE, F. BERNARD ; D. 1995, p. 74 ; Gaz. Pal. , 31 mai 1995 , 151/152 ; Gaz. Pal. , 7 juin 1996 , 159/160 , jurisprudence , p. 27 , M. FRYDMAN, S. PETIT ; Gaz. Pal. , 30 août 1995 , 242/243 , jurisprudence , p. 10 , OTEKPO ; Gaz. Pal. , 29 novembre 1995 , 333/334 , panorama , p. 6 ; D. 1995 , p. 74 ; D. 1995, p. 381, N. BELLOUBET FRIER.), des sanctions de confinement en cellule ordinaire (CAA, Lyon, 9 octobre 2008, req. n° 06LY00287); de cellule disciplinaire avec sursis (CAA, Marseille, 11 février 2011, req . n° 09MA01739); de déclassement disciplinaire (CAA, Nancy, 18 février 2010, req. n° 09NC01260); ou encore d'un simple avertissement (CE, 21 mai 2014, req. n° 359672). V. Partie 2 – Titre 1 – Chapitre 2 – Section 1 – Paragraphe 2. Le contrôle du juge administratif sur les sanctions disciplinaires (492)

662 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, L’usager du service public administratif, op. cit., pp. 266-267.

191 alors plus à elle seule de refuser la qualité d’usager du service public au détenu entré en relation avec le service public pénitentiaire.

§2 : La prescription, critère insuffisant pour refuser la qualité d’usager du service public

197- Tandis que le législateur et le juge administratif encadrent petit à petit

le pouvoir de l’administration pénitentiaire, le détenu s’apparente de plus en plus à un usager du service public. La soumission à la discipline, même si elle s’avère encore particulièrement forte dans le milieu carcéral, ne fait plus du service public pénitentiaire une exception puisque tous les services publics connaissent un système identique pour assurer leur fonctionnement (A). En outre, si la sécurité, génératrice de fortes prescriptions à l’encontre du détenu, a longtemps été le critère de référence pour le qualifier d’assujetti au service public en application de l’adage accessorium sequitur principale, cela est aujourd’hui contestable. Le détenu bénéficie aussi de prestations, et faire une hiérarchie entre les prescriptions auxquelles il est assujetti et les prestations dont il bénéficie apparaît difficile (B).

A) La soumission à la discipline, un critère inopérant pour