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La garde des détenus, mission assumée du service public pénitentiaire

Conclusion du Chapitre 1

Chapitre 2 – Le détenu, objet du service public pénitentiaire

A) La garde des détenus, mission assumée du service public pénitentiaire

156- Selon la Direction de l’information légale et administrative « la

mission de sécurité de l’administration pénitentiaire consiste à assurer une sécurité optimale au sein des établissements pénitentiaires en prévenant les évasions, les mutineries, les agressions envers le personnel, mais aussi les suicides et les violences carcérales »478. Malgré une précision sur la protection des détenus eux-mêmes, il ressort de cette formulation une volonté première d’assurer la sécurité des administrés et des agents de l’administration veillant à cette sécurité. Ce rôle est suffisamment important pour que l’administration pénitentiaire ait vu son régime de responsabilité progressivement étendu en cas d’actes infractionnels commis à la suite d’

477 E. PECHILLON, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, op. cit., p. 526.

147 une évasion ou lors de l’exécution d’une mesure d’aménagement de peine (1). L’analyse de l’évolution du régime de responsabilité de l’administration démontre, en outre, une possibilité d’étendre la théorie de la responsabilité de plein droit du fait de la garde d’autrui au détenu. Si la jurisprudence préfère utiliser la théorie du risque à son égard, celui-ci peut pourtant être assimilé à un véritable “objet” dont l’administration pénitentiaire a la garde (2).

1. L’administration pénitentiaire responsable de la surveillance des détenus

157- Alors qu’en principe toute faute de service est de nature à engager la

responsabilité de l’administration, pour certaines activités particulièrement difficiles, à l’image de la mission de surveillance du service public pénitentiaire, le juge administratif a exigé la présence d’une faute lourde. Pure création jurisprudentielle, cette faute lourde n’est jamais qu’« une faute

qui est plus grave qu’une faute simple, définition qui, pour exacte qu’elle est, n’apporte rien »479. Ainsi, elle subordonne l’engagement de la responsabilité de l’administration à une faute manifeste d’une particulière gravité. « Réaliste », elle a pour principal intérêt de « tenir compte de la

difficulté de la tâche de l’administration pour ne la condamner qu’en cas d’une faute d’une gravité certaine »480 ; elle laisse « une marge d’action

libre, en franchise de responsabilité » à l’administration pour qu’elle puisse

réagir rapidement481. Classiquement utilisée en matière pénitentiaire482,

479 P.-L. FRIER, J. PETIT, Droit administratif, 12ème éd., Montchrestien, Paris, 2018, p. 556.

480 D. TRUCHET, Droit administratif, 3ème éd., PUF, Paris, 2010, p. 382.

481 R. CHAPUS, Droit administratif généra, Tome 1, 13ème éd., Montchrestien, Paris, 1999, p. 1252.

482 Pour la faute manifeste et d’une particulière gravité, V. CE, 4 janvier 1918, Mineurs Zulémaro, Rec. p. 9 ; CE, 4 janvier 1918, Duchesne, Rec. p. 10. Pour la faute lourde, V. : CE, 3 octobre 1958, Rakotoarinovy, Rec., p. 470. Précisons que le passage à l’exigence d’une faute lourde est le symbole d’un régime de responsabilité plus facile à engager que l’exigence antérieure d’une faute manifeste et d’une particulière gravité.

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« devant la préoccupation de protéger le plus pleinement possible les

intérêts des administrés »483, elle a partiellement disparu au profit de la faute simple484. Cela s’explique en partie par le développement du droit à la sécurité reconnu au profit de ceux-ci. Même si ce droit n’est pas « un droit

subjectif à proprement parler » et ne fait naître à l’égard de l’État, pour

l’instant, qu’une obligation de moyens485, la revendication sociétale du risque zéro en matière pénale conduit à un encadrement plus strict de l’activité de l’administration pénitentiaire. En conséquence, même si la responsabilité de l’administration pénitentiaire est toujours engagée pour faute lourde en cas d’évasion du détenu, c’est un régime de responsabilité sans faute, pour risque, qui s’applique lorsqu’un détenu bénéficie d’une mesure d’aménagement de peine.

158- La responsabilité pour faute en cas d’évasion486. « L’administration

pénitentiaire doit chercher à rendre impossible, sinon extrêmement difficile,

483 Ibidem.

484 Les juges du fond ont ainsi reconnu une responsabilité pour faute simple en cas d’opération ne comportant pas de difficulté particulière (V. en ce sens, sur le tri du courrier des détenus : TA. Versailles, 10 octobre 1997, Mouesca c/ Ministre de la justice, req. n°955528) ou en cas de mauvais fonctionnement de l’établissement pénitentiaire (V. en ce sens, sur la non restitution de ses affaires à un détenu ayant fait l’objet d’un transfert vers une nouvelle maison d’arrêt : CAA Lyon, 3 décembre 1996, req. n°86LY0035, Theis 3). Cette évolution a, par la suite, été confirmée par le Conseil d’État (V. en ce sens, sur le suicide des détenus : CE, 23 mai 2003, req. n°244663, Chabba ; CE, 9 juillet 2007, req. n°281205, Delorme c/ Ministre de la justice ; CE, 28 décembre 2017, req. n°400560 ; AJ pénal 2018, p. 163, obs. J.-P. CERE). Pour aller plus loin : Partie 2 – Titre 1 – Chapitre 2 – Section 2 – Paragraphe 2 – A. L’engagement de la responsabilité de l’administration pénitentiaire facilité (546)

485 S. HENNETTE-VAUCHEZ, D. ROMAN, Droits de l’Homme et libertés fondamentales, 1ère éd., op. cit., p. 371. V. en ce sens : CE, réf., 20 juillet 2001, Commune de Mandelieu-la-Napoule, req. n°236196. Le juge administratif estime que la méconnaissance de l’obligation d’assurer la sécurité publique ne constitue pas en elle-même une atteinte grave à une liberté fondamentale.

486 V. sur ce point : P. BEAU, « Evasion », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, octobre 2014 ; J.-P. CERE, « Prison – Organisation générale », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, janvier 2016.

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toute tentative d’évasion. Car une évasion non seulement peut être dangereuse dans sa réalisation pour ceux qui l’ont fomentée, pour les surveillants et les tiers, mais aussi attentatoire aux décisions de justice et à l’état du droit » souligne Hervé ARBOUSSET487. De ce fait, le personnel pénitentiaire peut engager sa responsabilité en cas d’évasion, tout comme le chef d’établissement. Le premier peut être condamné pour avoir « même par

abstention volontaire » facilité ou préparé l’évasion d’un détenu488, et voir sa responsabilité engagée devant ses supérieurs hiérarchiques s’il n’a pas appliqué le règlement intérieur de manière rigoureuse. En effet, « la sécurité

intérieure des établissements pénitentiaires » lui incombe489 et, il est « responsable des tâches qui lui sont confiées », s’exposant en cas de faute commise dans l’exercice de ses fonctions à « une sanction disciplinaire sans

préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale »490. Le second, puisqu’il « doit veiller à une stricte application des instructions

relatives au maintien de l’ordre et de la sécurité dans l’établissement pénitentiaire qu’il dirige […] est disciplinairement responsable des incidents ou des évasions imputables à sa négligence ou à l’inobservation des règlements, indépendamment des procédures disciplinaires susceptibles d’être engagées contre d’autres membres du personnel »491. L’objectif principal et commun à tous les membres de l’administration pénitentiaire est donc de lutter contre les éventuelles évasions. Pour réaliser cette tâche, de

487 H. ARBOUSSET, « Évasion de détenu(s) et droit administratif », JCPG, n°19, 6 mai 2009, doct. 141.

488 L’article 434-33 alinéa 1 du Code pénal dispose qu’ « Est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende le fait, par toute personne chargée de sa surveillance, de faciliter ou préparer, même par abstention volontaire, l’évasion d’un détenu ». L’alinéa 3 ajoute que « si le concours apporté consiste en la fourniture ou l’usage d’une arme ou d’une substance explosive, incendiaire ou toxique, l’infraction est punie de quinze ans de réclusion criminelle et de 225 000 € d’amende ».

489 Art. D. 266 du CPP.

490 Articles 28 et 29 de Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, JORF du 14 juillet 1983, p. 2174.

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nombreux moyens sont mis en œuvre, à l’image des fouilles492, des mesures d’isolement493, des rotations de sécurité494 ou encore des mesures de sécurité spécifiques instaurées lors de l’extraction des détenus ou de leurs séjours dans des établissements hospitaliers495. Malgré cela, il existe des failles dans le système de sécurité et plusieurs évasions ont lieu chaque année496. En raison de la difficulté de la mission incombant à l’administration pénitentiaire, le juge administratif estime alors qu’une faute lourde, une défaillance grave dans la surveillance du détenu, ainsi qu’un lien entre cette défaillance du service public pénitentiaire et le dommage subi par le tiers, doivent être démontrés pour que la responsabilité de l’administration soit engagée497. Ce régime, plus dur que celui de la faute simple, a toutefois été allégé puisque, jusqu’en 1985, le juge administratif demandait la présence d’« une faute manifeste et d’une particulière gravité »498. Selon Hervé ARBOUSSET, cet assouplissement pourrait, en raison de « l’évolution des

techniques de surveillance des lieux de détention », toujours plus pointues,

et de « la nécessité d’assurer la réparation des préjudices causés à des

personnes extérieures au monde pénitentiaire et qui se sont trouvées malheureusement sur le chemin des détenus en cavale », se poursuivre vers

la consécration d’un régime de responsabilité pour faute simple voire sans

492 Pour les fouilles de cellules, Art. D. 269 et s. du CPP ; pour les fouilles générales ou sectorielles des locaux, Art. D. 276 du CPP ; pour les fouilles corporelles, Art. R. 57-7-79 et s. du CPP.

493 V. Art. 726-1 et R. 57-7-62 du CPP.

494 Pour les transferts, Art. 717-1-1 et D. 301 du CPP. En pratique, lorsque certains détenus sont classés DPS, l’administration effectue des transferts réguliers, pratique condamnée par le juge administratif lorsqu’elle est trop fréquente. V. en ce sens : CE, Ass., 14 décembre 2007, req. n°306432, M. Payet ; RFDA 2008 p. 104, concl. C. LANDAIS.

495 Art. R.57-7-84, D. 57, D. 292 et s., D. 315 et s. du CPP. Pour l’utilisation d’entraves, Art. 803, D. 283 et s. du CPP.

496 Il y en a eu 15 en 2017 ainsi que 56 tentatives. V. Direction de l’administration pénitentiaire, Chiffres clés de l’administration pénitentiaire, 1er janvier 2018, 17 p.

497 V. en ce sens : CE, 10 mai 1985, req. n°48517, Mme E. Ramade et autres ; JCP 1986.II.20603 note GROZALON ; CE, 27 mars 1985, req. n°48517, Henri ; JCP 1986.II.20550, note GROZALON.

151 faute499. Ceci permettrait de prendre plus en compte les intérêts des administrés, argument qui est à l’origine du passage du régime de la responsabilité pour faute lourde à celui pour faute simple pour de nombreux services publics. D’autant que, cela a été évoqué, ces mêmes administrés revendiquent aujourd’hui un droit à la sécurité et une prise en charge plus sévère des condamnés pour courir le moins de risques possibles. C’est d’ailleurs sur le fondement du risque que le juge administratif a accepté d’appliquer un régime de responsabilité sans faute en cas de dommages causés aux tiers par des détenus non rentrés à la fin de leur permission de sortie, et donc assimilables à des évadés.

159- La responsabilité sans faute en cas de mesures d’aménagement de l’exécution des peines. Alors que la faute de surveillance était exigée pour

engager la responsabilité de l’administration du fait des personnes détenues, le juge administratif a opéré un revirement de jurisprudence progressif, commençant par apprécier les dommages causés par les mineurs délinquants placés en établissements d’éducation surveillée. Tirant les conséquences de l’ordonnance de 1945500 qui « a entendu mettre en œuvre, en ce domaine,

des méthodes nouvelles de rééducation caractérisées par la substitution au régime antérieur d’incarcération d’un système plus libéral d’internat surveillé », il estime qu’un risque spécial est créé pour les tiers, « lesquels ne bénéficient plus des garanties qui résultaient pour eux des règles de discipline anciennement en vigueur ». De ce fait, « la responsabilité du service public en raison des dommages causés aux tiers […] ne saurait être subordonnée à la preuve d’une faute commise par l’administration, mais découle des conditions mêmes dans lesquelles fonctionne le service »501. Le risque est ainsi caractérisé par l’octroi d’une certaine liberté à des personnes jugées dangereuses en raison des actes qu’elles ont commis. Il s’agit donc

499 H. ARBOUSSET, « Évasion de détenu(s) et droit administratif », op. cit.

500 Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, JORF du 4 février 1945, p. 530.

501 CE, Sect., 3 février 1956, Thouzellier, Rec. p. 49, D. 1956 p. 596, note AUBY. Pour la jurisprudence antérieure fondée sur la faute de surveillance V. CE, 19 novembre 1955, Delle Hoffmann, Rec. p. 554.

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d’un « risque-danger », « le danger n’étant pas contenu dans la seule

considération du mineur dit dangereux, mais dans le cumul de cette dangerosité avec une méthode particulière de rééducation librement choisie par l’État dans le cadre légal de l’ordonnance du 2 février 1945 »502. La Haute juridiction a ensuite étendu cette solution aux actions en responsabilité dirigées contre l’administration à raison des dommages causés aux tiers par des détenus bénéficiaires de mesures d’aménagement de l’exécution de leur peine. Elle explique à l’aide d’un raisonnement similaire, que « les mesures de libération conditionnelle, de permissions de sortir et

de semi-liberté constituent des modalités d’exécution des peines qui ont été instituées à des fins d’intérêt général et qui créent, lorsqu’elles sont utilisées, un risque spécial pour les tiers, susceptible d’engager, même en l’absence de faute, la responsabilité de l’État »503. Comme le suggère le commissaire du gouvernement Christian VIGOUROUX, « le juge ou la garde

des Sceaux doit tenter d’être la balance de ce risque immédiat et le risque ultérieur à libérer en fin de peine sans aucune surveillance un détenu qui a désappris la liberté ».

160- Ainsi, si ces mesures accordées par le juge d’application des peines

doivent être contestées devant le juge judiciaire504, les actions en

502 B. CAMGUILHEM, Recherche sur les fondements de la responsabilité sans faute en droit administratif, Dalloz, Nouvelles bibliothèque de thèses, Paris, 2014, p. 259.

503 CE, 29 avril 1987, req. n°61015, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice c/ Banque populaire de la région économique de Strasbourg, Rec. p. 58 ; AJDA 1987, p.454, chron. G. AZIBERT et R. DE BOISDEFFRE ; D. 1988 p. 60, obs. F. MODERNE et BON ; RFDA 1987 p. 831, concl. C. VIGOUROUX. Étendant la jurisprudence relative aux permissions de sortie : CE, 2 décembre 1981, req. n°25861, Garde des sceaux, Ministre de la Justice c/ Mme Henry. Confirmée notamment par CAA, Nantes, 3ème ch., 10 avril 1997, n°95NT00108, AJDA 1997 p. 911.

504 Pour l’affirmation du principe : TC, 22 février 1960, Fargeau d’Epied, Rec. p. 855. Pour la réduction de peine : CE, Sect., 9 novembre 1990, req. n°101168, Theron ; D. 1991 p. 17 ; Gaz. Pal. 22 février 1991 p. 3; Gaz. Pal. 21 juin 1991 p. 52 ; CE, 18 mars 1998, , req. n°191360 Druelle ; D 1998 p. 117 ; CE, 23 novembre 2005, req. n°284912, Monné. Pour la libération conditionnelle : CE, Sect., 4 novembre 1944, req. n°157435, Korber ; JCP G 1994 p. 341 ; D. 1994 p. 262, Gaz. Pal. 28 juillet 1995 pp.209-210. Pour la permission de sortir : CE, 9 février 2001, req. n°215405, Malbeau.

153 responsabilité contre l’État du fait de leur exécution relèvent bien du juge administratif puisqu’elles ne modifient ni la nature, ni les limites de la peine. Elles ne sont que de simples modalités du traitement pénitentiaire505. Et, elles relèvent d’un régime de responsabilité sans faute puisqu’elles font courir un risque spécial aux tiers, un risque-danger506, « un risque

exceptionnel, créé par l’autorité de la puissance publique », par

« l’assouplissement des modalités d’exécution des peines qui laisse aux

détenus une certaine liberté lui permettant plus facilement, le cas échéant, de commettre certaines méfaits »507. Seul un lien direct entre le fonctionnement du service public c’est-à-dire la mise en œuvre de la mesure d’aménagement de peine et le dommage causé doit donc être prouvé par la victime. Le juge oblige ainsi le législateur à tirer les conséquences des choix opérés en matière d’exécution des sentences pénales, puisque « le

fondement de la responsabilité ne réside pas dans les décisions du juge d’application des peines, mais dans l’existence d’un régime voulu par le législateur dont il est soutenu qu’il peut causer aux tiers un risque spécial ».

Il précise toutefois que ce risque doit demeurer exceptionnel pour pouvoir être qualifié comme tel, ce qui n’est pas le cas pour les mesures de réduction de peine qui « procèdent du choix délibéré que le temps d’exercice de la

peine se réduise au fur et à mesure de son exécution ». Il distingue donc à

nouveau de manière très claire entre les mesures constituant des modalités d’aménagement de l’exécution des peines, « exception[s] délibérée[s] à la

règle », et les modalités d’aménagement du temps d’exécution de la peine,

505 TC, 3 juillet 2000, req. n°3198, Garde des sceaux, Ministre de la Justice c/ Consorts Primau et Fosset.

506 Certains auteurs se sont interrogés sur un rattachement possible à un régime de responsabilité du fait des lois, puisque l’engagement de la responsabilité est lié à l’application de l’ordonnance du 2 février 1945. Toutefois, en l’absence de préjudice exceptionnel et s’agissant uniquement d’une indemnisation des effets normaux de la loi, un tel rattachement ne paraît pas adapté. V. en ce sens : B. CAMGUILHEM, Précit., pp. 261-262.

507 M. GUYOMAR, « La responsabilité du fait des personnes potentiellement dangereuses, Le cas du bénéficiaire d’une libération anticipée. Conclusions sous CE, 15 février 2006, Ministre de la Justice c/ Consorts A. », RFDA, 2006, p. 615. V. aussi : D. DEVILLERS, « L’État est responsable des dommages causés par un détenu au cours d’une permission de sortie d’un établissement pénitentiaire », AJDA, 1997, p. 837.

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telles les réductions de peine, qui relèvent du « droit commun de l’exécution

des peines »508.

161- Le régime de responsabilité instauré pour les mesures d’aménagement

de l’exécution des peines est très proche de celui de la responsabilité du fait d’autrui que connaît le code civil à l’article 1242509. Si la Cour de cassation s’est inspirée de la théorie du risque du droit administratif, elle s’est surtout fondée sur la surveillance exercée sur la personne commettant l’acte infractionnel en se détachant de l’analyse du comportement de la personne jugée responsable510. Cette notion de garde nouvellement théorisée par le juge judiciaire a été reprise par le juge administratif dans un second temps et, s’il refuse pour l’instant de l’utiliser pour fonder une responsabilité de plein droit de l’administration pénitentiaire du fait des détenus, une telle évolution est envisageable en raison de l’importante sujétion dont il est l’objet.

2. Le détenu, un “objet” sous la garde du service public pénitentiaire

162- En droit civil, l’article 1242 du code civil reconnaît explicitement la

possibilité de mettre en place une responsabilité du fait d’autrui. Si elle était initialement fondée sur la solidarité entre les membres d’une même communauté, elle traduit aujourd’hui la volonté du législateur de protéger les victimes contre l’insolvabilité de l’auteur du dommage. Pour cela, le droit civil s’est inspiré de la théorie du risque existant en droit administratif. Mais, si le risque peut être, en droit privé, le fait générateur de

508 M. GUYOMAR, « La responsabilité du fait des personnes potentiellement dangereuses, Le cas du bénéficiaire d’une libération anticipée. Conclusions sous CE, 15 février 2006, Ministre de la Justice c/ Consorts A. », op. cit.

509 Art. 1242 du Code civil : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. » (ancien article 1384 alinéa 1)

155 responsabilité, il ne peut pas être le fondement de la responsabilité, puisqu’il

« oblige à opérer une dissociation entre la personne et le siège du risque »,

or « l’identification d’un lien entre le fait générateur du dommage et le

responsable doit permettre de lui imputer la charge de la réparation, telle qu’en somme il soit amené à répondre des conséquences du risque généré »511. C’est en raison des faiblesses de l’application de la théorie du risque en droit privé que la Cour de cassation a préféré faire peser la présomption de responsabilité non plus sur le risque lié à la particularité des personnes dont l’institution à la charge, mais sur la garde de ces personnes, l’autorité exercée sur celles-ci512. Cela permet de rétablir un lien entre le fait générateur du dommage et la personne jugée responsable. Ainsi, en 1991, elle a affirmé que si une institution accepte « la charge d’organiser et de

contrôler, à titre permanent, le mode de vie » de personnes dont elle a la

garde, elle doit répondre de celles-ci513. La responsabilité du fait d’autrui est la contrepartie de l’autorité exercée par l’institution. Jérôme JULIEN

démontre alors que « cette garde d’autrui rappelle inévitablement la garde

de la chose et les pouvoirs d’usage et de contrôle », d’autant qu’ « à l’origine, la responsabilité du fait des choses était limitée aux seules choses dangereuses » tout comme « la responsabilité générale du fait d’autrui fut d’abord cantonnée aux hypothèses mettant en scène des personnes potentiellement dangereuses »514. Les rares exemples de responsabilité fondée sur la notion de garde en droit administratif illustrent de manière