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L’entrée en contact forcée avec le service public pénitentiaire

Chapitre 1 – La fonction coercitive du service public pénitentiaire

Section 1 : La privation de liberté, une sanction pénale légitime

A) L’entrée en contact forcée avec le service public pénitentiaire

108- Selon le ministère de la Culture et de la Communication,

« matériellement, l’écrou est le procès-verbal consigné sur un registre

constatant qu’un individu a été placé en détention dans un établissement pénitentiaire ». Dressé dès l’arrivée du détenu à l’établissement

pénitentiaire, il est ainsi « l’acte constitutif de l’incarcération »294,

291 S. TRAORE, L’usager du service public, L.G.D.J.., Paris, 2012, p. 31.

292 Gilles J. GUGLIELMI et Geneviève KOUBI rappellent que cette démarche peut être constituée par “un fait” ou “un acte d’investiture”. V. G. J. GUGLIELMI, G. KOUBI, Droit du service public, 2ème éd., Montchrestien, Paris, 2007, p. 691.

293V. notamment J. DU BOIS DE GAUDUSSON, L’usager du service public administratif, Thèse, Bordeaux, 1967, 351 p.

294 Circulaire DGP/SIAF/SDAACR/2012/014 du 8 juin 2012, Archives de l’administration pénitentiaire : communicabilité des registres d’écrou, des fiches pénales et des fiches

95 consacrant le transfert du détenu du service public de la justice au service public pénitentiaire. En outre, comme le signale l’administration pénitentiaire, cet acte « légalise » l’incarcération295. Conséquence du principe de la légalité des peines, posé par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’acte d’écrou permet de s’assurer que les personnes privées de liberté ne sont pas incarcérées arbitrairement296. Il garantit qu’elles font bien l’objet « d’un arrêt ou jugement de

condamnation, d’un mandat de dépôt ou d’arrêt, d’un mandat d’amener lorsque ce mandat doit être suivi d’incarcération provisoire ou d’un ordre d’arrestation établi conformément à la loi »297.

109- Quoique protecteur du détenu, l’acte d’écrou n’en est pas moins la

traduction juridique de l’obligation de celui-ci de se soumettre à la peine d’emprisonnement prononcée à son encontre et de ce fait au service public pénitentiaire (1). Caractérisant l’entrée en contact avec le service public pénitentiaire, bien que celle-ci soit forcée, il conditionnera alors l’application d’un statut particulier à la personne détenue (2).

1. L’écrou, acte de soumission du détenu au service public pénitentiaire

110- Les informations contenues dans l’acte d’écrou, mais surtout la

manière dont elles sont utilisées, tendent à démontrer le caractère involontaire de la relation née entre le détenu et le service public pénitentiaire, voire même la suspicion existant de la part de ce dernier à d’écrou. V. notamment l’annexe à cette circulaire. V. également en ce sens l’article724 alinéa 2 du CPP : « Un acte d’écrou est dressé pour toute personne qui est conduite dans un établissement pénitentiaire ou qui s’y présente librement ».

295 Direction de l’administration pénitentiaire, Droits et devoirs de la personne détenue, Ministère de la justice, Paris, 2009, p. 4.

296 Précisons qu’en application des articles 432-6 du CP et 725 du CPP, la responsabilité personnelle des agents de l’administration pénitentiaire peut être engagée en cas de détention arbitraire.

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l’égard de la personne incarcérée. Ainsi, l’acte d’écrou comporte non seulement « les écritures exigées pour l’incarcération et la libération », mais également de nombreuses indications « pour prévenir les fraudes, fixer

l’identité du détenu et faire connaître les modifications subies par la situation pénale ou administrative de ceux-ci pendant leur détention ou au moment de leur mise en liberté »298. L’administration vérifie de cette façon non seulement l’authenticité et la légalité de l’acte juridique ordonnant la détention, le caractère exécutoire de la peine, mais aussi l’identité de la personne299.

111- C’est d’ailleurs lors du contrôle de l’identité de la personne déférée

qu’apparaît de manière évidente la soumission du détenu au service public et la méfiance qui existe à son égard. En effet, lors de l’entrée en détention,

« le greffe des établissements pénitentiaires recommande par exemple aux personnels des greffes de rechercher systématiquement s’il existe dans l’établissement un homonyme » et, « en pareil cas, il prescrit de le mentionner sur la fiche pénale ainsi que sur tous les documents adressés au service de la détention ». De même, il prescrit de rechercher si le détenu

possède un ou plusieurs alias et d’ajouter sur l’acte d’écrou la mention “se

disant X”300. Le but est de prévenir tout risque de confusion pouvant être utilisé par les détenus notamment à fin d’évasion ou pour obtenir des avantages, ce qui démontre de manière évidente le caractère forcé de la relation instaurée, et la méfiance de l’administration à l’égard des détenus. Cette suspicion se rencontre également lorsque la peine est exécutée de manière volontaire, c’est-à-dire lorsque la personne condamnée se rend d’elle-même dans l’établissement pour être incarcérée. L’identité de la personne est d’ailleurs contrôlée plus méticuleusement, l’administration

298 Article D. 150 du CPP. L’annexe à la circulaire DGP/SIAF/SDAACR/2012/014 du 8 juin 2012 susmentionnée précise par ailleurs que la fiche d’écrou contient des renseignements relatifs à la catégorie pénale et au titre de détention, ainsi qu’à l’écrou, mais aussi des informations sur la personne détenue. Il s’agit non seulement d’informations relatives à l’identité de la personne détenue, mais aussi son signalement avec des mentions telles que la taille, la corpulence, la race ou encore l’existence de signes particuliers.

299 M. HERZOG-EVANS, Droit pénitentiaire, op. cit., p. 238.

97 cherchant si un tiers ne cherche pas à subir la peine prononcée à la place d’un autre, notamment un proche auquel il voudrait éviter l’incarcération comme cela a déjà pu se produire par le passé301.

112- Tous ces éléments invitent donc à penser la relation détenu - service

public pénitentiaire comme une relation d’assujettissement basée sur une obligation de se soumettre au service public et non sur une volonté d’y participer. L’acte d’écrou serait alors l’image de cette subordination. Pourtant, il embrasse des fonctions bien plus vastes et importantes en conditionnant l’obtention d’un statut spécifique aux personnes privées de liberté basé non plus uniquement sur l’entrée en relation avec le service public, mais sur la relation instaurée durant toute la période de détention.

2. L’écrou, acte conditionnant le statut de détenu

113- Attestant du transfert de la personne condamnée à une peine privative

de liberté du service public de la justice au service public pénitentiaire, l’acte d’écrou a suscité nombre de difficultés quant à sa classification juridique. Certes, le juge et l’Administration se sont prononcés sur le caractère administratif et non juridictionnel de cet acte, mais une classification plus précise demeure délicate en raison notamment des divisions de la doctrine sur cette question. Elle est pourtant nécessaire puisqu’elle montre le rôle majeur joué par l’acte d’écrou dans l’institution de la relation entre le détenu et le service public pénitentiaire.

114- Les documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions ne

sont pas soumis aux mêmes règles d’accès et aux mêmes règles contentieuses que les documents ou les actes administratifs. Interrogés de manière récurrente par les services d’archives publics sur le délai de communicabilité applicable aux registres d’écrou versés par les établissements pénitentiaires, les Archives publiques ont réalisé une étude approfondie de la question, dont les conclusions font l’objet d’une circulaire

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en date du 8 juin 2012302. Rappelant notamment que le Conseil d’État a jugé que la fiche pénale, document aux caractéristiques proches de l’acte d’écrou, est un acte détachable des procédures juridictionnelles auxquelles la personne détenue est partie et présente par conséquent le caractère d’un document administratif303, elles estiment qu’ « il convient donc de

considérer que les registres d’écrou, ainsi que les actuelles fiches d’écrou et les fiches pénales qui les remplacent, se rattachent à la catégorie des “documents administratifs qui contiennent des informations mettant en cause la vie privée” ». Dès lors, la nature administrative de l’acte d’écrou a

été tranchée et, il semblerait que cet acte soit un document administratif au sens de la loi du 17 juillet 1978304. Cependant, à notre sens, des questions persistent sur son identification, la frontière entre acte administratif et document administratif n’étant pas toujours claire. Certains actes, à l’image des circulaires et des directives, bien que qualifiés expressément de documents administratifs par la loi, sont également qualifiés d’actes administratifs par la doctrine, même si elle évoque alors une catégorie

302 Circulaire DGP/SIAF/SDAACR/2012/014 du 8 juin 2012, Archives de l’administration pénitentiaire : communicabilité des registres d’écrou, des fiches pénales et des fiches d’écrou.

303 CE, 20 avril 2005, req. n°265326, Garde des sceaux, Ministre de la justice c/ M. X ; Recueil des décisions du Conseil d'État - Lebon 2005 ; CE, 28 décembre 2017, n°394746 ; AJ Pénal 2018, p. 325, note M. HERZOG-EVANS.

304 Selon l’article 1erde la loi du 17 juillet 1978, modifié par la loi du 12 avril 2000, « sont considérés comme documents administratifs, au sens du présent titre, tous dossiers, rapports, études, comptes-rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives, avis, prévisions et décisions, qui émanent de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics ou des organismes de droit public ou privé chargés de la gestion d'un service public. Ces documents peuvent revêtir la forme d'écrits, d'enregistrements sonores ou visuels, de documents existant sur support informatique ou pouvant être obtenus par un traitement automatisé d'usage courant. ». V. Loi n°78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, JORF du 18 juillet 1978, p. 2851 ; Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, JORF du 13 avril 2000, p. 5646.

99 particulière d’actes administratifs, les actes administratifs non décisoires, catégorie qui n’emporte pas l’adhésion de tous les auteurs.

115- Par exemple, Gilles LEBRETON estime que « l’acte administratif

unilatéral est nécessairement une décision » et que « la notion d’acte administratif unilatéral non décisoire n’a pas de sens »305, et René CHAPUS

que des mesures « déclarant ce qu’est l’état du droit ou ce qu’est une

situation de fait » ne seraient pas des décisions puisqu’« elles n’édictent aucune norme »306. Selon cette vision de l’acte administratif unilatéral, pour être qualifié comme tel, un acte doit donc affecter significativement l’ordonnancement juridique. L’acte d’écrou ne pourrait alors être qualifié d’acte administratif. Mais, très réductrice, une telle définition ne correspond qu’à la vision contentieuse de l’acte administratif unilatéral, qui serait alors « l’acte d’une autorité administrative qui peut être attaqué, en excès de

pouvoir notamment, devant le juge administratif »307. Pourtant, le refus du juge administratif de connaître de certains actes peut reposer sur « de pures

considérations contentieuses » sans exclure tout caractère normateur à l’acte

contesté308. Bertrand SEILLER établit en ce sens que si l’acte récognitif n’est pas aisément qualifiable de norme, souvent non contestable devant le juge administratif, il est pourtant bel et bien un acte administratif unilatéral normateur impactant sur l’ordonnancement juridique. Selon lui, « l’émission

d’un tel acte […] permet d’attester l’existence [d’un fait ou d’une situation] afin que puissent être tirées les conséquences juridiques qui y sont attachées ». Si cet acte se borne « à entériner quelque chose qui préexiste »

et « semble relever de la description et de la prescription », il a ainsi tout de même un rôle juridique essentiel. En effet, « en adoptant un tel acte,

l’autorité administrative manifeste sa volonté que des effets de droit soient attachés à la situation considérée. Tant que l’acte récognitif n’a pas été

305 G. LEBRETON, Droit administratif général, 9ème édition, Dalloz, Paris, 2017, p. 221.

306 R. CHAPUS,Droit administratif général, Tome 1, 15ème édition, Montchrestien, Paris, 2001, p. 503.

307 P.-L. FRIER, J. PETIT, Droit administratif, 12ème édition, L.G.D.J., Issy-les-Moulineaux, 2018, p. 311.

308 B. SEILLER, « Acte administratif – Identification », Dalloz, Répertoire de contentieux administratif, octobre 2015, p. 8

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émis, il est interdit de tirer les conséquences qu’attache l’ordonnancement juridique à la reconnaissance du fait ou de la situation en cause. Et, inversement, une telle reconnaissance impose de tirer les conséquences que lui attache le droit en vigueur »309. Cette définition de l’acte récognitif fait écho à la classification proposée par Léon DUGUIT entre les actes-règles et les actes-conditions. Si l’acte-règle est réalisé « avec l’intention qu’il se

produise une modification dans les règles de droit », l’acte-condition a pour

objet de rendre applicable à un individu une norme juridique qui ne lui était pas antérieurement applicable. À la suite de cet acte, « naît pour un individu

un statut qu’il n’avait pas auparavant »310.

116- En raison de ces caractéristiques, l’acte d’écrou est sans aucun doute

un acte administratif unilatéral et peut être qualifié d’acte récognitif ou d’acte-condition. Obligatoire pour le greffe pénitentiaire, il transpose uniquement des informations sur l’identité d’un individu et les actes juridictionnels ayant conduit à l’emprisonnement de ce dernier. Pourtant, loin d’être seulement informatif, il entraîne l’application de règles spécifiques à la personne nouvellement incarcérée, telles que certains articles du code de procédure pénale, le règlement de l’établissement pénitentiaire, etc. L’acte d’écrou engendre donc un nouveau statut pour la personne détenue, statut qui s’impose à elle, sa volonté n’étant pas requise lors de l’incarcération311. Par conséquent, le caractère volontaire ou involontaire de la relation nouvellement insaturée ne change rien aux règles applicables à la suite de la rédaction de l’acte d’écrou. Pourtant, de nombreux auteurs ont utilisé ce critère pour refuser que ce nouveau statut

309 Ibid., pp. 2-3.

310 L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, Tome premier, La règle de droit – Le problème de l’État, 2ème édition, Librairie Fontemoing et Cie, Paris, 1921, pp. 221-222.

311 Même si, pour sa part, Éric PECHILLON estime qu’un contrôle approfondi de la légalité de l’acte d’écrou doit être opéré en cas de litige, il arrive à une conclusion similaire : l’acte d’écrou n’est pas « une formalité neutre », « elle influence directement la situation juridique du détenu » ; « cet acte de transmission entre autorités transforme le droit du détenu et le fait passer du statut normal de citoyen libre, à celui beaucoup plus restrictif, d’usager incarcéré ». V. E. PECHILLON, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, L.G.D.J., 1998, pp. 182-183, p. 282.

101 soit celui d’un usager du service public. Mais, la volonté se montrant nullement indispensable à la reconnaissance du statut d’usager du service public, se fonder sur le caractère involontaire de la relation instaurée entre détenu et service public pénitentiaire se révèle inopérant.

B) L’absence de volonté, un critère inopérant pour refuser la