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Pour autant, loin d’être inutile, cette fiction s’avère primordiale et

Chapitre 1 – La fonction coercitive du service public pénitentiaire

Section 1 : La privation de liberté, une sanction pénale légitime

A) Le consentement de l’administré au Contrat social, entre mythe et fiction

99- Pour autant, loin d’être inutile, cette fiction s’avère primordiale et

constitue d’ailleurs l’un des « piliers de l’édifice juridique tout entier »257. Elle fait partie de ces fictions qui permettent « d’éliminer, ou d’atténuer, des

réalités dont le droit […] ne pourrait s’accommoder »258, « de préserver la

cohérence du système juridique en vigueur » et « de défendre une certaine conception du droit »259. Explication de l’acceptation des lois par les administrés, le consentement de chacun au Contrat social est ainsi une

254V. E. SAVAUX, La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, Thèse, L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, Tome 264, Paris, 1997, pp. 240-241.

255 Selon cet auteur, « ce qu’a voulu mon élu peut peut-être (mais dans quelle mesure ?) tenir compte de l’idée qu’il se fait de ce que je souhaite, mais c’est lui qui veut, et non moi. L’expérience, en France du moins, le confirme : le citoyen, même électeur de la majorité, ne reconnaît pas, dans la loi, l’expression de sa volonté. Si même il s’estime lié par elle, ce n’est pas parce qu’il y voit l’effet d’une autolimitation qu’il s’impose librement, mais parce qu’il respecte l’autorité dont elle émane directement, ou parce qu’il appréhende la sanction ». V. J. RIVERO, « Fictions et présomptions en droit public français », in : Ch. PERELMAN, Les présomptions et les fictions en droit, op. cit., p. 104.

256 Ph. WOODLAND, Le procédé de la fiction dans la pensée juridique , op. cit., p. 310.

257 J. RIVERO, « Fictions et présomptions en droit public français », in : Ch. PERELMAN, Les présomptions et les fictions en droit, op. cit., p. 111

258Ibid., p. 112

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fiction juridique inévitable pour assurer la cohérence et la complétude du système juridique.

100- L’exigence d’une fiction juridique pour la cohérence et la complétude du système juridique. « Les notions apparemment limpides

sont parfois les plus obscures et les plus méconnues. À force d’évidence, elles sombrent dans l’opacité »260. Les propos d’Anne-Blandine CAIRE sur les présomptions trouvent un écho particulier lorsque nous parlons de la fiction juridique qu’est le Contrat social261. Malgré de nombreux travaux consacrés à la notion de fiction262 et l’utilisation quasi quotidienne de celle-ci, la définir continue d’être ardu. Chaque auteur utilisant un angle d’analyse différent a proposé une définition propre à ses travaux et jamais complètement similaire aux définitions précédentes. Néanmoins, des critères de définition s’avèrent acceptés par tous. La fiction est « un refus délibéré

de la réalité. Elle met consciemment à la base de la démarche du juriste, une affirmation dont il sait qu’elle ne correspond pas à la réalité »263. Elle « traduit un jugement porté non sur la règle elle-même, mais sur les

260 A.-B. CAIRE, Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l’homme, Thèse, Limoges, 2010, p. 14.

261 Elle ajoute d’ailleurs, quelques années plus tard, en évoquant les fictions, qu’ « il est des notions que le juriste a tellement l’habitude d’utiliser qu’elles constituent pour lui des points de repère, sans qu’il puisse vraiment expliquer pourquoi ». V. Anne-Blandine CAIRE

(dir.), Les fictions en droit – Les artifices du droit : les fictions, op. cit., p. 13.

262V. notamment : Ch. PERLEMAN, Les présomptions et les fictions en droit, op. cit. ; Ph. WOODLAND, Le procédé de la fiction dans la pensée juridique , op. cit. ; A.-M. LEROYER, Les fictions juridiques, Thèse, Paris-II, 1995, 619p ; G. WICKER, Les fictions juridiques – Contribution à l’analyse de l’acte juridique, op. cit. ; D. COSTA, Les fictions juridiques en droit administratif, op. cit. ; A.-B. CAIRE (dir.), Les fictions en droit – Les artifices du droit : les fictions, op. cit.

263 J. RIVERO, « Fictions et présomptions en droit public français », in : Ch. PERELMAN, Les présomptions et les fictions en droit, op. cit., p. 102, V. aussi en ce sens: G. WICKER, Les fictions juridiques – Contribution à l’analyse de l’acte juridique, op. cit., p. 14. Il rappelle que la fiction juridique est « définie comme une altération conceptuelle » qui « manifeste une insuffisance de la construction juridique élaborée à partir d’un ensemble de concepts dont elle compromet la cohérence logique ». ; Ph. WOODLAND, Le procédé de la fiction dans la pensée juridique , op. cit., p. 597. Il mentionne « le caractère anormal, contraire à la nature, attribué à la règle ou à l’institution en cause ».

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rapports qu’elle entretient avec l’ensemble des autres règles. Il s’agit d’apprécier, non sa conformité à la réalité naturelle, mais sa compatibilité avec la réalité juridique »264. Si sa non-conformité à la réalité naturelle est acceptée et comblée par le procédé juridique, c’est selon Delphine COSTA, car la fiction juridique a pour particularité d’être légitime. Elle « traduit

l’attachement d’une collectivité à un ensemble de valeurs dominantes que, par convention, elle charge [le système juridique] de défendre »265. Mais surtout, elle permet d’assurer la cohérence du système juridique et maintenir l’ordre social instauré266.

101- Tout comme la Grundnorm de Hans KELSEN est un postulat indémontrable nécessaire à la cohérence de la théorie positiviste267, la Volonté générale une construction de la pensée nécessaire à la théorie de la représentation, le Contrat social est une fiction juridique nécessaire pour expliquer le consentement des administrés aux règles établies par l’État et maintenir la cohésion sociale instaurée. Cependant, comme l’explique Philippe WOODLAND, « parler de fiction de volonté ne signifie pas la remise

en cause de la règle ainsi qualifiée au regard du droit positif », mais

264 G. WICKER, Les fictions juridiques – Contribution à l’analyse de l’acte juridique, op. cit., p. 11. V. aussi en ce sens: D. COSTA, Les fictions juridiques en droit administratif, op. cit., p. 115. Elle souligne que la fiction est « un procédé qui révèle et résout une inadéquation entre deux éléments, dont l’un au moins relève de la réalité juridique » ; Ph. WOODLAND, Le procédé de la fiction dans la pensée juridique , op. cit., p. 597. Il évoque « un procédé qui consiste à écarter sous prétexte de fiction l’obstacle qui résulte d’une contradiction entre le droit positif et le fondement qui lui est assigné ».

265 D. COSTA, Les fictions juridiques en droit administratif, op. cit., p. 54. Elle ajoute d’ailleurs que « la fiction juridique intervient alors dans le cadre de la défense de ces valeurs dominantes : sa fausseté est conventionnellement admise parce que la fiction juridique exprime, en même temps, une vérité juridique conforme à ces valeurs ».

266 François ROUVIERE a ainsi écrit que « les fictions seraient utiles pour préserver l’ordre social » et Delphine COSTA qu’ « en leur qualité de procédés de technique juridique, les fictions permettent l’adaptation des catégories, la révélation des antinomies et le comblement des lacunes juridiques ». V. F. ROUVIERE, « Critique des fonctions et de la nature des fictions », in : Anne-Blandine Caire (dir.), Les fictions en droit – Les artifices du droit : les fictions, op. cit ., p. 83 ; D. COSTA, Les fictions juridiques en droit administratif, op. cit., p. 18.

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simplement que « cette règle ne s’insère pas “naturellement” c’est-à-dire

selon les habitudes de pensée admises, dans la représentation du droit que retiennent les juristes pour eux-mêmes »268. En conséquence, bien que controuvé, le consentement de chaque individu au Contrat social est intégré à la réalité juridique obligeant chacun à respecter les prescriptions étatiques sous peine d’être puni. D’après Michel FOUCAULT, « le criminel apparaît

alors comme un être juridiquement paradoxal. Il a rompu le pacte, il est donc l’ennemi de la société tout entière, mais il participe à la punition qui s’exerce sur lui. Le moindre crime attaque toute la société, et toute la société - y compris le criminel - est présente dans la moindre punition »269. Ayant consenti au Contrat social, le criminel consentirait alors à la peine prononcée à son encontre suite à un acte infractionnel.