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L’application de l’adage accessorium sequitur principale, une méthode contestable de qualification

Conclusion du Chapitre 1

Section 2 – Le détenu, utilisateur soumis à des prescriptions

B) L’application de l’adage accessorium sequitur principale, une méthode contestable de qualification

202- Les établissements pénitentiaires sont de vraies institutions soumettant

le détenu à des règles quotidiennes obligatoires à la suite des actes infractionnels qu’il a commis. La peine privative de liberté entraîne donc sa soumission aux nombreuses prescriptions de l’administration pénitentiaire. Pour cette raison, il est fréquemment assimilé à un assujetti au service public (1), même si aujourd’hui cette qualification est contestable (2).

1. La qualification classique du détenu en assujetti au service public

203- Une prestation délivrée par un service public a pour objet la

satisfaction d’un besoin individuel, même si la satisfaction des besoins d’intérêt général justifie l’existence de cette prestation. La prescription, elle, ne vise qu’à la satisfaction de l’intérêt général, elle ne procure aucun avantage à l’individu, mais le soumet au service public. Le but final légitimant l’action de l’administration demeure le même, mais la situation dans laquelle se trouve l’individu entré en relation avec elle est différente. Ainsi, « l’usager ne peut être qualifié comme tel que si le but essentiel du

service est de lui délivrer la prestation ». En outre, même « si l’individu perçoit une prestation, mais que le but fondamental du service n’est pas de lui délivrer ladite prestation, alors la qualification d’usager ne peut être

678 L’écolier est qualifié d’usager au sein de plusieurs textes qui lui sont applicables. V. par exemple : Art. L. 211-1du code de l’éducation définissant les missions du service public de l’éducation nationale.

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retenue »679. Nombre de services publics délivrant à la fois des prestations et des prescriptions, pour établir le statut de l’individu, la doctrine applique l’adage “accessorium sequitur principale”, à l’instar de Yann DURMARQUE. Cet auteur explique que « la qualité de l’individu doit toujours être

déterminée en fonction du but premier que se propose d’atteindre le service. Si l’objectif primordial du service est de délivrer la prestation, la qualification d’usager pourra être retenue quand bien même des prescriptions seraient par ailleurs imposées audit usager. En effet, dans pareille situation, lesdites prescriptions ne seraient que les accessoires de la prestation, élément principal. À l’inverse, si l’objet fondamental du service n’est pas de délivrer une prestation, mais de soumettre l’individu à une prescription, alors la qualité d’usager ne pourra qu’être déniée. Effectivement, dans cette hypothèse, c’est la prestation qui devient l’accessoire de la prescription, et dès lors, elle n’est plus apte à qualifier l’individu »680. Tout comme Jean DU BOIS DE GAUDUSSON681, il en conclut que le but premier du service public pénitentiaire consiste à assurer la sécurité de la société et non à « faire en sorte que l’individu incarcéré

bénéficie d’un quelconque avantage ». Même s’il admet que le détenu

bénéficie d’avantages « par le biais des repas, du logement,… », il affirme que « ces prestations ne sont que l’accessoire d’une mesure principale

qu’est la détention, laquelle ne peut en aucun cas être assimilée à une prestation ». La relation principale entre le détenu et le service public

pénitentiaire étant une relation de sujétion, il ne peut alors être qu’un assujetti au service public682. Mais, simplificatrice, cette application de l’adage accessorium sequitur principale ne s’avère pas pleinement convaincante puisqu’elle fait l’impasse sur nombre d’éléments importants à la détermination du statut du détenu.

679 Y. DURMARQUE, Contribution à une définition de la notion d’usager en droit administratif français, op. cit., p. 255.

680 Ibid., pp. 255-256.

681 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, L’usager du service public administratif, op. cit., p. 19.

682 Y. DURMARQUE, Contribution à une définition de la notion d’usager en droit administratif français, op. cit., pp. 257-258.

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2. Le caractère critiquable de la qualification du détenu comme assujetti au service public

204- Tout d’abord, il est parfois difficile de dissocier les prescriptions des

prestations. Il arrive « que certaines prestations [soient] principalement

délivrées par le biais de méthode contraignantes », c’est le cas de la

vaccination obligatoire, des soins dispensés sans consentement ou encore de l’enseignement aux écoliers. De plus, certaines activités « revêtent la double

qualification de prescription et de prestation, ce qui ne fait que renforcer le flou entourant la définition de cette dernière »683. Si Charles EINSENMAN

l’explique en indiquant que « la prescription imposée aux uns peut être en

même temps le prestation servie aux autres »684, il arrive aussi qu’un même acte ait ces deux effets à l’égard d’un unique destinataire. Par exemple, si la mission de sécurité de l’administration pénitentiaire est une prestation au bénéfice des administrés et une prescription à l’encontre du détenu, cette prescription recouvre une réalité plus complexe. Elle est également une prestation au bénéfice du détenu, puisque s’il est soumis à l’administration pénitentiaire, il bénéficie de repas, d’activités, c’est-à-dire d’actes indispensables à la vie quotidienne, mais surtout il apprend ou réapprend les règles de vie en société afin de préparer son insertion ou sa réinsertion dans la société. Ce rôle de l’enfermement s’approche alors plus de la notion de prestation que de celle de prescription.

205- Ensuite, comme l’écrit Éric MASSAT, définir l’usager du service public « sur la base de l’adage accessorium sequitur principale en soutenant,

initialement, que l’indispensable est une prestation avantageuse relève d’un simple postulat »685. Il rejoint ainsi les propos d’Éric PECHILLON qui

683 Ibid., p. 231.

684 Ch. EINSENMAN, cité par Y. DURMARQUE, Contribution à une définition de la notion d’usager en droit administratif français, op. cit., pp. 250-251.

685 E. MASSAT, Servir et discipliner – Essai sur les relations des usagers aux services publics,op. cit., p. 27.

199 démontre que le critère de définition de l’usager du service public devrait plutôt être celui de l’« usage », et que le détenu « en position de soumission

importante vis-à-vis de l’autorité administrative », utilise le service public

pénitentiaire et devrait donc être qualifié d’usager686. Il justifie cette qualification en montrant que « l’idée de prestations fournies par le service

public pénitentiaire ne remet pas en cause l’importance de la mission de sécurité, elle complète simplement le contenu du droit applicable ». Il ajoute

d’ailleurs que « jamais le droit public n’a permis de développer de façon

unidimensionnelle les prérogatives d’une personne chargée de mener à bien une mission d’intérêt général sans prévoir un quelconque cahier des charges ». S’inscrivant dans cette optique, progressivement, le service

public pénitentiaire « accepte de contrebalancer ses pouvoirs de contrainte

par une obligation à l’égard de la population pénale de plus en plus substantielle »687. Le détenu, bien qu’enfermé et discipliné, bénéficie de garanties pour sa vie quotidienne et sa réintégration future dans la société, il connaît alors autant de prestations que de prescriptions, mais en tout état de cause, il “use” du service public pénitentiaire.

206- Enfin, même en admettant l’applicabilité de l’adage accessorium

sequitur principale, il est difficile de définir avec certitude quel est

l’élément principal à retenir pour qualifier la peine privative de liberté. L’article 130-1 du code pénal, reprenant les principes affirmés par les lois de 1987 et de 2009, dispose que la peine a pour mission « d’assurer la

protection de la société », mais aussi « de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Il alloue alors à la peine une double fonction

« sanctionner l’auteur de l’infraction » et « favoriser son amendement, son

insertion ou sa réinsertion ». Bien que la sanction, assimilable à une

prescription, soit mentionnée en premier, le code pénal n’effectue aucune hiérarchisation entre les fonctions de la peine. La réinsertion, assimilable à une prestation, a donc le même poids que la prescription. L’application de l’adage accessorium sequitur principale s’avère alors délicate, et refuser au

686 E. PECHILLON, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, op. cit., pp. 227-228.