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Le consentement du criminel à la peine : une utopie

Chapitre 1 – La fonction coercitive du service public pénitentiaire

Section 1 : La privation de liberté, une sanction pénale légitime

B) Le consentement du criminel à la peine : une utopie

102- Alors qu’ « en droit civil, la responsabilité se définit par l’obligation de

réparer le dommage que l’on a causé par sa faute et dans certains cas déterminés par la loi ; en droit pénal, [elle se traduit par] l’obligation de supporter le châtiment »270. S’il est utopique de croire que le criminel en tant qu’être psychologique consent à la peine prononcée par l’État lorsqu’il viole le Contrat social (1), il est admis dans la réalité juridique, pour ne pas porter atteinte à la liberté de l’individu, qu’il consent, au nom de l’intérêt général et pour préserver l’ordre social, à être condamné comme toute personne qui violerait les règles de la cité (2).

268 Ph. WOODLAND, Le procédé de la fiction dans la pensée juridique , op. cit., p. 376.

269 M. FOUCAULT, Surveiller et punir, op. cit., pp. 106-107.

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1. Le caractère invraisemblable du consentement du criminel à la peine

103- Le crime est « un fait humain, un acte commis par une personne qui,

pour certaines raisons, a choisi de commettre une infraction, sans être arrêté par la menace de la sanction »271. Bien loin d’être un acte automatique empreint de fatalité, même s’il peut être influencé par un contexte social, familial ou médical, il est donc « un fait humain où liberté

et volonté ont aussi leur part »272. Partant, si un individu choisit de commettre un crime, c’est qu’il espère en obtenir un bénéfice, en retirer un avantage, mais aussi qu’il espère échapper à la sanction. Tout se résume, comme l’ont démontré Cesare BECCARIA et Jérémy BENTHAM, a un calcul, parfois inconscient, des peines et des plaisirs273. L’homo criminalis agit en prenant en compte la recherche de son bonheur ; s’il commet un crime c’est donc pour obtenir un plaisir et non pour s’infliger une peine. De ce fait, seule la certitude d’une peine supérieure au plaisir attendu peut conduire l’individu à renoncer au crime. Le système pénal tel qu’il est construit tient compte de cet équilibre entre peine et plaisir, c’est donc l’espoir d’échapper à la sanction qui mènera à la réalisation de l’acte infractionnel274.

271 P. CONTE, P. MAITRE DU CHAMBON, Droit pénal général, op. cit., p. 3.

272 J. PRADEL, Droit pénal général, 20ème éd., op. cit., p. 43.

273 Cesare BECCARIA affirme ainsi que « le plaisir et la douleur sont les mobiles des êtres sensibles, et, parmi les motifs qui poussent parfois les hommes aux actions les plus sublimes, le législateur invisible a fixé la récompense et le châtiment ». V. C. BECCARIA, Des délits et des peines, op. cit., pp. 74-75. ; Et, selon Jérémy BENTHAM, « tout individu se gouverne, même à son insu, d’après un calcul bien ou mal fait de peines et de plaisirs. Préjuge-t-il que la peine sera la conséquence d’un acte qui lui plaît ? Cette idée agit avec une certaine force pour l’en détourner. La valeur totale de la peine lui paraît-elle plus grande que la valeur totale du plaisir ? La force répulsive sera la force majeure, l’acte n’aura pas lieu ». V. J. BENTHAM, Théorie des peines et des récompenses, Tome 2, op. cit.

274 Thomas HOBBES explique que « parmi les passions qui inclinent le plus fortement au crime, se trouvent la colère, l’avidité et tous les autres désirs empreints de quelques véhémences, mais jamais en l’absence d’espoir. Personne en effet ne commettrait un crime pour quelque bien que ce soit qu’il n’aurait aucun espoir d’obtenir ». V. T. HOBBES, Léviathan, Folio, Essais, Gallimard, Paris, 2000, 1024p.

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104- Il est manifeste que la réalité matérielle est bien éloignée de la réalité

juridique construite sur l’idée selon laquelle tout être social consent à être puni s’il porte une atteinte aux règles de la cité créées pour lui assurer sécurité et bonheur. D’ailleurs, lors du procès, le consentement du condamné à la peine n’est que peu sollicité. Si, certaines fois, il peut refuser les réquisitions de la juridiction de jugement telles que la libération conditionnelle275 ou le suivi d’un traitement médical276, souvent, la personne condamnée est absente au procès et les juges ne consacrent que peu de temps au prononcé de la peine et à sa motivation277. Néanmoins, la volonté individuelle étant l’un des socles de l’ordre juridique, il est indispensable d’agir comme si le criminel acceptait sa peine.

2. La création d’une fiction juridique pour préserver l’ordre social

105- L’expérience démontre que, lorsqu’une personne est condamnée à la

suite d’une infraction, elle ne consent pas toujours à la peine. Pour légitimer la sanction, la réalité juridique a donc usé de subterfuges. Tout d’abord, a été instaurée l’adage “nemo censetur ignorare legem”, selon lequel chaque administré est censé connaître les règles juridiques auxquelles il doit se conformer. Ainsi, toute violation de la loi ne peut être présumée que délibérée et consciente. Si « les adages ne sont souvent considérés que

comme l’expression du bon sens ou de la vertu, des préceptes issus de la pratique, élevée au rang de coutume », qu’ils « ne sont pas en tant que tels du droit positif »278, ils ont parfois inspiré la règle de droit. L’adage est alors

275 Article D. 531 du CPP.

276 Article D. 364 du CPP traitant plus spécifiquement des cas de grève de la faim en détention.

277 S. GABORIAU, « Quand la peine est à la peine – Libres propos sur le sens de la peine », in : Politique(s) criminelle(s), Mélanges en l’honneur de Christine Lazerges, op. cit., p. 589.

278 P. FRYDMAN, « Les adages en droit public », RFDA, 2014, p. 1. Pascal DEUMIER et Xavier MAGNON expriment cette même idée en expliquant que si « l’adage extrait la règle de contingence liée à son inscription dans un système déterminé pour se parer des traits de

91 « l’une des clés, qui permet d’accéder aux normes, un chemin intellectuel

exprimant, entre autres, des règles, non pour les appliquer à partir de leur énoncé comme norme régissant le litige, mais dessinant les voies par lesquelles construire la solution que le juge veut et doit donner »279. Il peut être « [un support] à l’application effective des règles de droit » et trouver « à s’appliquer lorsque le droit au repos, le droit immobile formulé de

manière abstraite et générale, se transforme en droit en action tel qu’il est mis en œuvre par celui qui est chargé d’en assurer l’application »280. Comme l’explique Charles-André DUBREUIL, c’est le cas de l’adage “nemo

censetur ignorare legem” qui « exclut que la méconnaissance d’une règle puisse excuser son non-respect » et s’appliquant « dans la mesure où tout est fait pour que “personne ne puisse ignorer la loi” »281. Indispensable au fonctionnement d’un système juridique opérationnel, cet adage s’est progressivement transformé en véritable présomption. Cette requalification « repose sur une nécessité pratique »282. Comme l’observe Anne-Blandine CAIRE, « si chacun pouvait invoquer son ignorance de la loi pour échapper

à son application, il n’y aurait plus ni réparation, ni sanction possibles ; le droit perdrait sa force obligatoire et n’aurait qu’une portée morale »283. Une présomption simple se révélant insuffisante, cette règle a alors été qualifiée de présomption irréfragable ; elle n’admet pas la preuve contraire et s’applique en toutes circonstances. Certains auteurs l’ont même assimilée

l’immuable », il n’est « pas source du droit en tant que tel », mais « n’est doté d’une force juridique que lorsqu’il emprunte aux autres sources du droit ». V. P. DEUMIER et X. MAGNON, « Les adages en droit public – Propos introductifs », RFDA, 2014, p. 3.

Pour en savoir plus sur les adages, V. : Colloque organisé le 11 octobre 2013, à la cour administrative d'appel de Paris, par H.HOEPFFNER, L.JANICOT, A.ROBLOT-TROIZIER, RFDA, 2014, pp. 1-35, 201-223.

279 T. TUOT, « L’adage dans la jurisprudence : norme ou outil ? », RFDA, 2014, p. 11.

280 C.-A. DUBREUIL, « Les adages et la rigueur du droit administratif », RFDA, 2014, p. 23.

281Ibidem..

282 J. CARBONNIER, Droit civil, PUF, Thémis, Paris, 1955, p. 85.

283 A.-B. CAIRE, « Fictions et présomptions », in A.-B. CAIRE (dir.), Les fictions en droit – Les artifices du droit : les fictions, op. cit, p. 128.

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à une véritable fiction juridique284, la frontière entre les deux étant poreuse. Alors que la présomption est « une supposition fondée sur des lignes de

vraisemblance ou encore sur une anticipation de ce qui n’est pas prouvé »285, donc « fondée sur la probabilité de certains faits »286, la fiction porte « sur un fait dont la fausseté est certaine et ne peut être

contrariée »287. Néanmoins, l’une comme l’autre ont les mêmes conséquences juridiques, elles sont tenues pour vraies288. Dans notre cas, la règle est à la lisière des deux notions. Déjà, en 1974, Jean RIVERO remarque qu’en raison du nombre de lois adoptées « la présomption, ici, a si peu de

chances de rejoindre la vérité, qu’elle se situe à la limite de la fiction »289. Avec l’inflation législative des dernières décennies, ceci est plus vrai encore. Si le principe établi a pu être originellement une présomption, il ne peut qu’être, aujourd’hui une « transprésomption » ou une « métaprésomption »,

284 V. sur ce point : S. GOLTZBERG, « De quoi la fiction indique-t-elle l’absence ? », in A.-B. CAIRE (dir.), Les fictions en droit – Les artifices du droit : les fictions, Précit.,p. 113-115. Il critique d’ailleurs la ligne de partage entre présomption et fiction, estimant celle-ci certes pédagogique, mais parfois peu utile.

285 A.-B. CAIRE, Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l’homme, op. cit., p. 9.

286 G. WICKER, Les fictions juridiques – Contribution à l’analyse de l’acte juridique, op. cit., p. 12.

287 D. COSTA, Les fictions juridiques en droit administratif, op. cit., pp. 43-44.

288 V. en ce sens : D. COSTA, Les fictions juridiques en droit administratif, op. cit., p. 48 : « L’identité entre la fiction juridique et la présomption irréfragable tient à ce que l’une et l’autre sont tenues pour la vérité juridique. Malgré des opinions divergentes, le rapprochement peut être opéré entre ces deux procédés, sachant que fiction juridique comme présomption irréfragable sont des règles de fond et non des règles de forme ». V. aussi : G. WICKER, Les fictions juridiques – Contribution à l’analyse de l’acte juridique, op. cit., p. 12 : « En matière de présomptions irréfragables, la notion ne joue plus le rôle d’un instrument de preuve, mais dégénère en règle de fonctionnement. Et parce que cette règle exclut la preuve contraire de l’existence du fait inconnu inféré du fait connu, elle conduit à attacher l’effet produit au seul fait connu. Autrement dit, la présomption irréfragable réalise une réduction du nombre de conditions déterminant l’application d’une solution donnée, ce qui implique qu’elle donne naissance à une fiction ».

289 J. RIVERO, « Fictions et présomptions en droit public français », in : Ch. PERELMAN, Les présomptions et les fictions en droit, op. cit., p. 103.

93 c’est-à-dire une « présomption ayant dépassé [son] statut initial de vérité

présomptive pour atteindre celui de vérité fictive »290.

106- Ensuite, cette règle a été utilisée pour justifier le consentement à la

peine du criminel. Par le biais des techniques juridiques analysées précédemment, il est admis que, comme chaque individu, le criminel a accepté le Contrat social et donc de respecter les lois adoptées pour maintenir l’ordre public. Aussi, il consent à être poursuivi pour toute violation de ces règles et sanctionné si cela s’avère justifié et nécessaire. Par ailleurs, en application de l’adage susmentionné, il ne peut utiliser sa méconnaissance des règles pour justifier sa conduite, puisqu’il est établi qu’il est censé connaître toutes les règles qu’il doit respecter. Bien qu’espérant obtenir un bénéfice du crime et échapper à la sanction, le criminel ne peut alors, que consentir à la peine. Si ce consentement s’avère utopique dans la réalité pratique, il devient alors logique dans la réalité juridique. Il s’agit une nouvelle fois d’une fiction juridique, permettant de légitimer le pouvoir de contrainte de l’État, et de rendre cohérente l’organisation du système répressif. Toutefois, des lacunes dans l’articulation du système pénal semblent subsister. Tandis que la fiction du consentement est utilisée pour légitimer le prononcé de la peine privative de liberté, lorsque l’on se place sous l’angle de son exécution, celle-ci disparaît. Le détenu est assimilé à un assujetti au service public, entré en relation avec le service public pénitentiaire uniquement par le biais de la contrainte et à l’encontre de sa volonté.

§2 : Le caractère contraint de la relation détenu – service public pénitentiaire

107- À l’instar de nombreux auteurs, Seydou TRAORE explique que « la

seule existence d’une activité de service public, bien que nécessaire, ne [peut] suffire à octroyer ipso facto la qualité d’usager dudit service », ce

290 A.-B. CAIRE, « Fictions et présomptions », in A.-B. CAIRE (dir.), Les fictions en droit – Les artifices du droit : les fictions, op. cit., p. 133.

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n’est que « “l’entrée en relation juridique” (ou “l’entrée en rapport”,

“l’entrée en contact”, “relation de service” selon les formulations privilégiées par les auteurs), [qui] déclenche le processus de reconnaissance de l’existence de la qualité d’usager ». Il ajoute que ce processus de mise en

relation nécessite « une démarche de l’administré concerné, l’entrée en

contact avec le service et la fourniture d’une prestation »291. Pourtant libre sur la forme292, cette démarche initiale est souvent jugée inexistante de la part du détenu entrant en relation avec le service public pénitentiaire. N’étant que rarement volontaire à l’exécution de la peine privative de liberté prononcée à son encontre, il a donc souvent été qualifié d’assujetti au service public plutôt que d’usager du service public293. Toutefois, pour le qualifier ainsi, les auteurs soutenant cette théorie ont insisté également sur la soumission du détenu au service public pénitentiaire et le caractère principalement prescriptif de la relation engendrée. L’ajout de ces éléments est loin d’être inutile, puisqu’il est rapidement apparu que le caractère forcé de l’entrée en relation entre le détenu et le service public pénitentiaire (A) ne suffit pas pour refuser à celui-ci la qualité d’usager du service public (B).