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CHAPITRE 2 : Définition du coût social de l’épuisement et cadre méthodologique pour son

2. La notion d’externalité et le phénomène d’épuisement des ressources

2.1. La définition des externalités de Pigou à Stigler

Dans le cadre de la théorie économique néoclassique, les conséquences sociales et environnementales négatives des activités économiques, comme « la dégradation de l’environnement s’explique[nt] par l’absence de propriété privée et de prix, deux conditions essentielles à la création d’un marché » (Gadrey & Lalucq, 2015). C’est la théorie développée par Arthur Cecil Pigou, précurseur de l’économie du bien-être et de l’économie environnementale (Pigou, 1932). Pigou explique l’apparition de ces dommages comme « l’effet de l’action d’un agent économique sur un autre qui s’exerce hors marché » (Pigou, 1932), et il les qualifie d’“externalités“, dans la lignée des travaux esquissés par Alfred Marshall en 1890 sur l’économie externe. Dans la majeure partie du travail de Pigou, les externalités sont vues comme des divergences accidentelles entre les intérêts privés et sociaux qui empêchent le marché d’atteindre son équilibre optimum (Ramazzotti, Frigato, & Elsner, 2012, Chapitres 5, Sebastian Berger), bien qu’il ait plus tard souligné dans ses travaux, l’apparition de dysharmonies généralisées dans les systèmes de production et de distributions (Pigou, 1937). Pour réduire ces externalités, il préconise l’intervention de l’État via l’instauration de taxes qui permettraient d’intégrer les externalités au marché, objectif principal à atteindre. L’ENC se concentre donc sur les problèmes environnementaux qui ne sont « pas ‘’correctement intégrés’’ dans les décisions individuelles des agents [et …] échappent donc

partiellement au domaine du choix individuel » (Morales Belpaire, 2013). Cette branche de l’économie qui utilise les bases de l’économie néoclassique pour s’intéresser à l’apparition de problèmes environnementaux considérés comme des externalités est l’économie environnementale. L’économie environnementale s’établit presque 40 ans après les travaux de Pigou (Morales Belpaire, 2013). Comme le résume Morales Belpaire : l’« Économie environnementale se pose comme une branche de l’ENC. Elle en adopte les techniques et le langage. Elle considère l’allocation des marchés comme la solution la plus efficiente pour la société pourvu que les gains et les coûts environnementaux soient correctement intégrés aux décisions économiques des acteurs de ces marchés. […] On peut donc dire que l’Économie environnementale traite de problèmes qui sont publics mais ne devraient pas l’être » (Morales Belpaire, 2013).

Ronald Coase, économiste dont les travaux déboucheront dans les années 1970 à la création de la nouvelle économie institutionnelle (paragraphe 1.6. du chapitre 1), a consacré ses travaux à l’étude des coûts de transaction dans l’économie réelle, démontrant ainsi les limites du modèle de la concurrence parfaite (Coase, 1937, 1960). Dans son approche de la question des externalités, il s’est appuyé sur le cadre théorique développé par Pigou, mais a analysé les inconvénients des systèmes de taxation que ce dernier avait imaginés, en particulier le fait que les coûts sociaux devaient chez Pigou être éliminés à travers une action publique, « quel qu’en soit le coût ». L’article de Coase « The Problem of Social Cost » contient un appel à un examen plus minutieux de différentes politiques possibles et de leurs coûts respectifs face au problème des externalités : une action gouvernementale, visant à rééquilibrer le marché, et l’option de ne rien faire (Ramazzotti et al., 2012, Chapitres 5, Sebastian Berger). Coase reprend donc l’analyse de la gestion des externalités pour montrer que la réglementation publique n’est pas supérieure a priori aux négociations privées pour traiter les défaillances des marchés, puisque l’intervention publique génère aussi un coût réel (Glachant, 2002). Il faut donc comparer les coûts des deux solutions, privée et publique, sur une base d’égal réalisme (Glachant, 2002). Coase met en avant qu’il importe peu de déterminer le responsable de l’origine des coûts sociaux, et expose qu’il est plus efficace de déterminer qui accorde le plus de valeur à la ressource spoliée. Il propose ainsi, à la place du système de taxation de Pigou, un système d’attribution de droits de propriété par l’État qui vise à accorder le droit de propriété à l’agent accordant le plus de valeur à la ressource, et ce faisant, corriger plus efficacement les externalités par la négociation directe de compensations entre l’auteur de l’externalité et celui qui en subit les conséquences. La nouvelle économie institutionnelle s’est ensuite concentrée jusque dans les années 2000 sur l’étude des différentes formes d’organisation de l’activité économique : avec les travaux de Williamson, qui s’inspirent des travaux de Coase, pour établir une théorie des coûts de transaction selon laquelle le choix de la structure de gouvernance (marché, hiérarchie, hybride) est contraint par l’existence de coûts de transaction qu’il s’agit de minimiser (Chervier, Millet-Amrani, & Méral, 2016). Ces travaux ont cependant été mobilisés ces dernières années pour l’étude de la mise en place de dispositifs pour prendre en compte les externalités (Chervier et al., 2016).

Stigler en a tiré un principe, appelé « théorème de Coase » (Stigler, 1966, p. 120) : « the Coase theorem thus asserts that under perfect competition private and social costs will be equal », qui vise à démontrer la non nécessité de l’action de l’État. Stigler s’intéresse donc au cas où il n’y a pas de coût de transaction pour en conclure que, dans ce cas, le droit de propriété ou droit à polluer, tel que l’envisageait Coase, appartient automatiquement à celui ou celle qui accorde le plus de valeur au bien spolié. Le théorème de Coase tel que formulé par Stigler porte donc mal son nom puisqu’il s’intéresse uniquement au cas exceptionnel où il n’y a pas de coût de transaction, objet d’étude privilégié de Coase, revenant à l’hypothèse d’un marché parfait. Coase n’en a d’ailleurs pas reconnu la paternité (McCloskey, 1998). Stigler est un penseur important de l’école de Chicago et de la société du Mont Pèlerin qui s’est développée à partir de 1947 avec Hayek, Mises et Buchanan comme chefs de file. Quelques principes directeurs de cette école économique peuvent être dégagés : 1) Le marché peut toujours produire des solutions à des problèmes créés par le marché au départ ; 2) Le

marché surpasse toujours l’état dans sa capacité de traitement de l’information ; 3) Les entreprises ne peuvent pas causer de préjudices, ou dans une moindre mesure, elles ne peuvent pas en être tenues responsables si elles en causent (Ramazzotti et al., 2012, Chapitres 5, Sebastian Berger). Les courants de pensée de l’école de Chicago, se fondant sur les idées développées par G. Stigler, ont redéfinis les coûts sociaux de manière cruciale. Entre autres, cette redéfinition implique que « l’objectif de l’étude des coûts sociaux n’est plus l’élimination des pertes subie par la société dans son ensemble mais, au contraire, la recherche d’un maximum d'efficacité, c’est-à-dire, de la valeur maximale en termes d'utilité et de valeur d'échange ou de la croissance économique tout simplement. Les coûts sociaux ne sont plus alors considérés comme une menace fondamentale pour la société qui doit être éliminée quelle qu’en soit le coût, et l’argument est même avancé qu’ils ne peuvent pas être éliminés du tout » (Ramazzotti et al., 2012, Chapitres 5, Sebastian Berger). Cela a contribué à largement diffuser l’idée qu’il suffit de compenser les externalités quand elles surviennent pour que tout rentre dans l’ordre et a donné naissance aux stratégies de compensation qui permettent à des entreprises de s’acquitter de certaines externalités négatives en valorisant leurs externalités positives. La nouvelle économie des ressources (NER) évoquées au chapitre 1, ne cite pas directement les travaux de Stigler, mais a une interprétation similaire du théorème de Coase, qui amène ces auteurs à présenter la stricte « privatisation comme l'unique voie pour assurer une gestion durable des espèces et des milieux naturels » (Boisvert et al., 2012).