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CHAPITRE 2 : Définition du coût social de l’épuisement et cadre méthodologique pour son

1. Approches existantes pour évaluer le coût de l’épuisement

1.2. Approches par le coût de production

Les approches s’intéressant à l’évolution des coûts de production au cours du temps sont résumées ici. Au-delà des raisons conceptuelles qui conduisent les économistes néoclassiques à considérer que le prix est un bon indicateur de la rareté d’une ressource, l’autre facteur expliquant cette démarche est la difficulté d’accès aux données de coûts de production. Les études sur les coûts de production réels sont peu nombreuses, car ces données restent majoritairement peu communiquées par les industriels (Halvorsen et Smith, 1984 in Fizaine, 2014). Cette problématique est loin d’être nouvelle puisque Jevons soulignait déjà l’importance de la question des coûts et l’indisponibilité des données réelles de coûts de production (William Stanley Jevons, 1866, p. 62). Ceci explique en partie pourquoi les économistes se sont rapidement dirigés vers l’indicateur de prix (Alicia Valero Delgado, 2008; Fizaine, 2014). Cependant, la capacité des mécanismes de fixation des prix à prendre en compte les caractéristiques « physiques concrètes » (Alicia Valero Delgado, 2008) de l’exploitation des ressources, ou tout simplement le postulat selon lequel les producteurs détiennent des informations complètes sur les dynamiques d’épuisement, ont été souvent mis en doute (A. Valero Delgado, 2008; W. Kapp, 1963; Norgaard, 1990; Seyhan, Weikard, & van Ierland, 2012).

1.2.1. Indicateur de coût unitaire

L’étude la plus connue tentant une approche de l’évolution des coûts est une étude de Barnett et Morse (H. J. Barnett & Morse, 1963). Cette étude basée sur l’analyse des coûts de production conclut qu'il n'y a pas de coûts supplémentaires liés à la déplétion pour les minéraux et les métaux (Barnett et Morse, 1963). Barnett et Morse ont développé un indicateur de coût unitaire d’après leur lecture

de l’approche de Ricardo (Barnett et Morse, 1963). Ils ont donc effectué des études sur l’évolution des coûts de production, en calculant le coût du travail et du capital utilisé pour produire la ressource à partir de données45 sur les États-Unis sur la période de 1870 à 1957 (Kendrick, 1961;

Potter & Christy, 1962). Ils en tirent la conclusion que l’influence de la déplétion n’est pas déterminante dans l’évolution des coûts de production des matières premières minérales, qui diminuent sous l’impulsion du progrès technique (H. Barnett & Morse, 1963). Ils ont été critiqués par des auteurs préférant le prix comme indicateur de richesse (Cleveland & Stern, 1998; Ozdemiroglu, 1993), car les coûts de production utilisés sont pris à un niveau très agrégé, mais également parce que leur proposition s’oppose à la conception néoclassique de l’épuisement, attachée à la question de la disponibilité des ressources par rapport à la demande. En effet, cette approche étudie l’épuisement du point de vue de l’offre (Fizaine, 2014). Plusieurs études ultérieures ont repris cette approche sur différentes périodes aux États-Unis (Johnson et al.,1980; Hall and Hall, 1984; Cleveland and Stern, 1993 in Cleveland & Stern, 1998) et ont toutes trouvées une diminution du coût de production pour les métaux et autres matières premières, excepté pour le pétrole dont le coût de production augmente à partir des années 1990.

1.2.2. Coût unitaire généralisé

Cette approche, mise au point par Cleveland et Stern (Cleveland & Stern, 1998) a pour but de mettre au point un indicateur qui permette de faire des prévisions sur la rareté future des ressources et d’arriver à mesurer les effets de la déplétion et de l’innovation sur les prix. Selon les auteurs, cet indicateur reflète une « rareté d’usage » par opposition à la « rareté d’échange » de l’approche par les prix. La rareté d’usage fait référence à la capacité d’une ressource à créer de la valeur d’usage, elle est calculée comme l’équilibre entre la productivité, la disponibilité de la ressource, et le niveau de technologie utilisé (Cleveland & Stern, 1998). Selon Cleveland et Stern, le coût unitaire de Barnett et Morse est un cas spécifique de leur coût unitaire généralisé. Le point de départ du calcul de ce coût unitaire généralisé est la fonction de production. Cleveland et Stern appliquent cette méthodologie à l’agriculture et en tire la conclusion que le coût diminue grâce au progrès technique qui augmente plus vite que la détérioration de trois facteurs : la dégradation des sols, l’efficacité des pesticides et la diminution des terres arables (Cleveland & Stern, 1998). L’idée que le progrès technologique permet de maintenir la disponibilité des ressources dans le cadre de la déplétion est donc maintenue.

Dans les deux cas, l’évaluation du coût de l’épuisement consiste à établir quelle est la part du coût d’opération des activités de production de matières premières qui est attribuable à l’épuisement des ressources et si cette augmentation des coûts à une conséquence sur la diminution de la disponibilité de la ressource. Là encore, l’épuisement est défini comme un problème de disponibilité de la ressource : ce qui est évalué est la possibilité d’une pénurie économique. Cependant, cette approche est légèrement plus proche de la définition de l’épuisement qui a été établie au chapitre 1, puisqu’il y a une tentative de mesurer l’augmentation des coûts d’opération liée à l’épuisement physique (soit la déplétion, ou la diminution de la qualité de la ressource primaire). Ainsi, dans le modèle de Cleveland et Stern, il y a bien une augmentation des coûts liés à la déplétion (dégradation des sols, diminution des terres arables et diminution de l’efficacité des pesticides), même si cette diminution du coût est contrecarrée par l’augmentation de la productivité liée au progrès

45 Les sources utilisées par Barnett & Morse sont des données empiriques tirées d’un autre rapport de RFF (Potter & Christy, 1962)(Potter & Christy, 1962). Excepté pour les données sur le capital non incluses dans l’ouvrage de Potter et Christy. De ce fait, les données sur le capital et le coefficient de pondération entre le capital et le travail sont prises d’un rapport sur les tendances de la productivité aux Etats-Unis (Kendrick, 1961). Les données sur le coût du travail sont exprimées en nombres de personnes employées, indicateur que Potter et Christy trouvent plus pertinent que le nombre d’heures travaillées, cette donnée étant d’après eux peu fiable et ayant tendance à diminuer avec l’augmentation des compétences.

technologique. Cette approche n’est donc pas en phase avec notre définition de l’épuisement puisque ni les pertes de matières le long de la chaîne de production, ni les coûts liés aux impacts sociaux et environnementaux augmentés par l’épuisement, ni l’impact du recyclage ne sont considérés.

Tableau 14 : Comparaison des différentes approches existantes pour prendre en compte les coûts de l’épuisement

Approche Principaux auteurs

Courant de pensée économique

Ce qui est calculé

Lien avec notre définition de l'épuisement

Prix

Coût de dépréciation, approche par les bénéfices nets ou rente hotellinienne (Net receipt approach or depreciation

approach)

Lyon, 1981; Sedjo and Lyon, 1990; Slade, 1982; Farzin,1992,1995 in Cleveland & Stern, 1998; Fisher, 1979; Hartwick, 1977;

Hotelling, 1931; Ozdemiroglu, 1993

ENC (Matérialistes) Rente

Pas de prise en compte des coûts

sociaux et environnementaux liés à la déplétion, ni des pertes de matières Coût d'usage

(User cost) Ahmad, El Serafy, & Lutz, 1989

Néokeynésiens (Fundistes)

Élément de la rente qui correspond au coût du capital à investir Coût d'opération Coût unitaire (Unit cost)

Barnett and Morse, 1963; Johnson et al.,1980; Hall and Hall, 1984; Cleveland

and Stern, 1993

Classique

Coût du capital et du travail nécessaire pour

produire la ressource

Coût unitaire généralisé

(Generalized Unit Cost) Cleveland and Stern, 1998 ENC (Matérialistes)

Coût de production à partir de la fonction de

production

Coût

énergétique Coût énergétique Cleveland, 1991

Coût énergétique de

l’exploitation Correspond à une partie de l'augmentation des

coûts induite par l'épuisement

Diminution de la disponibilité

future

ReCiPe : Potentiel de surcoût

(Surplus Cost Potential) Vieira et al., 2016 ; Goedkoop et al., 2009

Augmentation du coût d'opération marginal

EcoIndicator 99 Mark and Renilde, 2001; Goedkoop and Spriensma, 2001: Jolliet et al. 2003

Augmentation du coût énergétique marginal de