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CHAPITRE 2 : Définition du coût social de l’épuisement et cadre méthodologique pour son

1. Approches existantes pour évaluer le coût de l’épuisement

1.3. Coût énergétique de l’exploitation

Le coût énergétique pour exploiter les métaux a été étudié par Cleveland dès 1991. Cleveland montrait alors que le coût de l’énergie utilisée pour l’exploitation de l’argent, de la bauxite et du fer augmentait aux États-Unis, alors que l’exploitation du cuivre, du plomb et du zinc avait un coût stable ou décroissant (Cleveland & Stern, 1998). L’étude de ces coûts énergétiques a été abandonnée plus tard par Cleveland, car jugés non représentatifs de la disponibilité de la ressource (influencée par d’autres facteurs de productivité).

Cependant ces coûts présentent plusieurs points d’intérêt. Tout d’abord, ils permettent d’approximer l’épuisement physique de la ressource plus directement que le coût d’opération, l’énergie utilisée pour extraire les métaux étant liée à la qualité de la ressource. Toutefois, le coût énergétique peut également dépendre de la technique d’extraction choisie et ne peut donc pas être complètement équivalent à la diminution de la qualité de la ressource. Ensuite, le coût énergétique est également lié à un coût environnemental, puisque l’énergie utilisée participe à l’émission de gaz à effet de serre et donc au changement climatique. Il faut tout de même noter que même si l’augmentation du coût énergétique peut être le reflet et/ou le révélateur de l’augmentation d’autres coûts environnementaux également liés à l’épuisement physique de la ressource (comme vu au chapitre 1), ces autres facteurs ne peuvent être réduits au coût énergétique. Comme le souligne Cleveland : « l’énergie utilisée pour extraire une ressource est reflétée par l’utilisation additionnelle de ressources renouvelables et de services écosystémiques, comme l’eau, l’air pur et les terres utilisées comme support de l’extraction. L’augmentation de l’utilisation d’énergie et d’intrants augmente également la génération de déchets, qui à son tour augmente l’utilisation du capital naturel sous des formes diverses […] la déplétion cumulative d’une ressource augmente la demande d’utilisation de capital naturel, car l’expansion [de la mine] détourne l’usage de plus grandes portions de terres vers l’extraction. Le changement de qualité de la ressource affecte tous ces coûts comme elle affecte le coût énergétique de l’extraction. […] Dans les mines métalliques de surface et de charbon la dégradation de la qualité des ressources augmente le taux de décapage et donc les déchets produits par unité de ressource produite » (Cleveland & Stern, 1998). Ainsi si le coût énergétique peut être un révélateur d’autres coûts environnementaux, cela n’en fait pas un indicateur intégré de l’ensemble des coûts associés à l’épuisement physique.

1.3.1. Diminution de la disponibilité future

Ce paragraphe regroupe les approches monétaires de l’épuisement utilisées dans les analyses de cycles de vie (N. Adibi et al., 2017; Gérand et al., 2018). L'analyse de cycle de vie (ACV) est une méthodologie éprouvée et largement utilisée, permettant la mesure d’impacts environnementaux clefs (émissions de gaz à effet de serre, phénomène d’acidification, etc.) le long du cycle de vie des produits. Les activités minières et de traitement font partie intégrante de la plupart des cycles de production, et l'application de l'ACV aux minéraux et aux métaux a ainsi gagné une importance conséquente dans le monde de la recherche (Yellishetty et al., 2009). Dans la dernière décennie, l'utilisation accrue de l'ACV dans le secteur minéral et des métaux a fait progresser les connaissances scientifiques à travers le développement de bases de données d'inventaires (Nuss and Eckelman, 2014, sec. references 25 à 38) utilisés pour l’ACV (Yellishetty et al., 2009). Cependant cette connaissance est beaucoup plus approfondie pour les « grands métaux industriels » (voir Tableau 6 du chapitre 1) que pour les « petits métaux ». De plus, la prise en compte de l’épuisement des ressources non renouvelables dans ces méthodologies fait toujours débat. Il s’agit ici de s’intéresser aux méthodes ayant une approche monétarisée de l’épuisement.

L’approche qui prévaut est d’établir les coûts additionnels que la société future devra payer du fait de l'extraction présente. Il s’agit donc de voir comment la diminution de la qualité de la ressource, en l’occurrence la teneur, augmente les coûts de production.

1.3.2. ReCiPe (potentiel de surcoût)

La méthode d’ACV ReCIPe 2016 (Huijbregts et al., 2017) contient une méthode d’évaluation de la « rareté des ressources minérales ». Dans cette méthode, l’impact de l’épuisement est considéré comme le surcoût à payer pour les générations futures de l’extraction présente du fait de la baisse de la teneur. Elle évalue pour cela le surcoût en deux temps.

Tout d’abord, un facteur non monétaire, le surplus moyen de minerai à extraire dans le futur pour une unité de ressource extraite aujourd’hui. Ce facteur est établi grâce à des relations statistiques entre teneur et production cumulée pour 18 métaux et minéraux46 avec des données suffisantes. Ces

données sont issues principalement d’un article de 1993 de l’USGS passant en revue les tonnages et les teneurs de différents gisements (Donald A Singer, Mosier, & Menzie, 1993), en faisant l’hypothèse forte que les gisements seront et/ou ont été exploités strictement par ordre décroissant de teneur. Ce ne sont donc pas des données réelles de production qui sont utilisées, mais un modèle hypothétique à partir de données sur des gisements connus. De plus, l’hypothèse prise pour les rendements de l’exploitation de ces métaux n’est pas donnée dans la méthodologie47. Or ces

rendements varient considérablement d’un métal à l’autre (notamment les co-produits qui ont tendance à avoir de faibles rendements). La non-prise en compte des rendements laisse penser que le surplus moyen de minerai à extraire dans le futur pour une unité de ressource extraite aujourd’hui est sous-estimé. Les auteurs obtiennent le surplus moyen de minerai à extraire pour ces 18 métaux et font une régression par rapport au prix des métaux en 2013. La bonne corrélation de cette régression leur permet de faire l’hypothèse que le surplus moyen de minerai à extraire pour les autres métaux peut être déduit du prix en 2013 de ces métaux. Ceci demande à être vérifié pour les petits métaux, puisque dans les métaux étudiés, seulement 4 petits métaux et 2 métaux précieux ont été pris en compte. Enfin, pour le facteur monétaire (le surcoût moyen d’opération dans le futur pour une unité de ressource extraite aujourd’hui), un facteur unique est proposé pour tous les métaux. Cette simplification est faite sur la base d’une régression production cumulée-coût moyen d’opération. Or, là encore, le rendement du procédé utilisé a un impact sur les coûts d’opération par unité de métal produit, et parmi les métaux pour lesquels il n’y a pas de données, on trouve de nombreux sous-produits avec de mauvais rendements. De plus, d’après le BRGM48 (Gérand et al.,

2018), les sources de données utilisées pour les coûts sont surtout concentrées sur l’« Occident ». Pour résumer, cette méthodologie pour le calcul de l’épuisement a l’avantage de prendre en compte un phénomène d’épuisement « aussi proche que possible d’une réalité physique » (Gérand et al., 2018), mais pâtit du manques de données sur les petits métaux, dont l’utilisation est plus récente (années 1970), ce qui la rend délicate à utiliser pour cette catégorie. Cette méthodologie met en place un indicateur qui correspond à une partie de notre définition de l’épuisement qui est la diminution de la qualité de la ressource au fur et à mesure de l’exploitation. En revanche, par son absence de prise en compte des rendements utilisés, elle met de côté un phénomène qui a un grand rôle dans l’épuisement des ressources que sont les pertes de matière. De même, les différents taux de recyclage des métaux ne sont pas pris en compte. Enfin, la méthodologie ne prend pas en compte l’augmentation des impacts sociaux et environnementaux induite par la diminution de la qualité des ressources.

46 Aluminium, antimoine, chrome, cobalt, cuivre, or, fer, plomb, lithium, manganèse, molybdène, nickel, niobium, phosphore, argent, étain, uranium et zinc.

47 La lecture de l’annexe de la méthodologie porte à croire que les auteurs font l’hypothèse d’un rendement de 100%.

1.3.3. EcoIndicator 99

La méthode d’ACV EcoIndicator comporte un facteur « ressources » qui traite des ressources minérales et fossiles. Ce facteur est pris en compte à travers le coût du surplus énergétique de l’exploitation des métaux. Ce surplus est dû à la baisse de la teneur du fait de l'extraction présente. Cette caractérisation de l’épuisement est reprise dans d’autres méthodes comme Impact 2002+ (Jolliet et al., 2003). La méthode part du principe que la demande d'énergie augmente lorsqu’une ressource doit être extraite de gisements de qualité inférieure. C’est donc le même principe utilisé que dans le coût énergétique de l’exploitation. Cependant, ce qui est pris en compte ici n’est pas l’augmentation du coût énergétique totale, mais l’augmentation marginale pour chaque unité de ressource supplémentaire extraite. La méthode raisonne à technologie constante et projette la consommation énergétique de l’exploitation dans le futur jusqu’à un point choisi arbitrairement, 1990 dans la méthode EcoIndicator 99 (Klinglmair, Sala, & Brandão, 2014). L’énergie utilisée est calculée par type de mine considérée. Il s’agit ensuite de monétiser l'énergie supplémentaire nécessaire à l'extraction des ressources. D’après le BRGM, les données utilisées pour ce facteur de caractérisation du coût de l’épuisement datent des années 1960-1980 et sont prises de modèles géostatistiques dont la validité n’a pas été établie (Gérand et al., 2018).

Cette approche de l’épuisement, comme le coût énergétique de l’exploitation vu précédemment, est donc une première approche des coûts environnementaux de l’extraction, puisqu’elle peut être reliée à l’émission de gaz à effet de serre. De plus, le lien est ici fait explicitement entre la diminution de la teneur et l’augmentation du coût énergétique. Cependant, cette méthode n’aborde pas le lien entre diminution de la qualité de la ressource et augmentation des coûts sociaux et environnementaux. De plus, les pertes de matières, comme la capacité des métaux à être recyclés, ne sont pas pris en compte.

Il a donc été vu que les approches qui évaluent le coût de l’épuisement à travers la diminution de la disponibilité future étaient celles qui s’approchaient le plus de la définition de l’épuisement établie au chapitre 1. En effet, elles prennent en compte la diminution de la qualité des ressources à travers la teneur, ce qui constitue une des caractéristiques de l’épuisement. Cependant, ni les pertes, ni le recyclage, ni l’augmentation des coûts sociaux et environnementaux ne sont pris en compte dans ces approches. Ce ne sont donc pas des approches intégrées de l’épuisement. Enfin, l’idée d’un coût énergétique marginal peut être une source d’inspiration pour la mise en place d’un coût marginal environnemental et social lié à la déplétion de la ressource. En fonction du métal étudié, il faudra évaluer si une approche similaire peut être utilisée, car cette approche demande une connaissance solide de la corrélation entre la teneur et l’augmentation des coûts sociaux et environnementaux, et une capacité à projeter dans le futur le lien entre ces variables. Or, comme cela a été souligné ci- avant, les données détaillées sur les exploitations sont rares (N. Adibi et al., 2017; Gérand et al., 2018), particulièrement pour les petits métaux dont l’exploitation est récente. En l’absence de données suffisantes pour pouvoir établir des relations sur des bases statistiques, une solution à privilégier serait de proposer des scénarii d’exploitation future, appuyés sur les connaissances géologiques, les types d’exploitation les plus probables, les rendements les plus courants, etc. Cependant, une approche par scénario a le désavantage (par rapport au coût du surplus énergétique marginal) de ne pas rendre possible l’établissement d’un coût marginal moyen calculé sur du très long terme, mais seulement l’augmentation des coûts à venir à moyen terme.