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La bâtardise, reconfiguration d’une violence morale

Etude lexico-sémantique des thèmes pivots représentants la violence

5.6. La bâtardise, reconfiguration d’une violence morale

La Bâtardise est lřune des thématiques majeures par laquelle apparait la violence dans le roman que nous avons choisi. Cette thématique transcrite dans le texte se présente sous deux angles : le premier angle perçoit la bâtardise comme statut identitaire de certains personnages.

La bâtardise devient une des clés de lecture majeures de ce roman foisonnant, divers et hétéroclite. Entre dénominations individuelles, héritage et transmission des biens, le lien familial était et semble être le seul moyen fondé pour acquérir de tels droits dans une société digne de ce nom. Etre enfant illégitime ne peut aboutir aux avantages sociétaux préétablis. Bien au contraire, le bâtard « fils de X » est la conséquence dřune transgression dřordre sociétal mais également religieux.

Si le mot est actuellement une « insulte par ricochet», en cela quřelle stigmatise le comportement dřun tiers dont doit rougir lřinsulté alors quřil/elle nřa aucune

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responsabilité ni même aucun rôle actif dans lřacte infamant dénoncé, mais aussi une insulte de solidarité, ne visant pas la blessure mais la connivence, la référence au statut de la naissance semble avoir plus ou moins disparu des usages Ŕ ce qui est tout à fait logique étant donné que bon nombre de parents ne passent plus par une union reconnue par la loi avant de procréer.

Alors que « bâtard » fait régulièrement la une des journaux à lřheure actuelle, quřil soit prononcé par des élèves de ZEP ou un ancien président de la République, le moins que lřon puisse dire est que son sens est vague et nous montrerons maintenant que ce flou remonte à ses origines.

Classant les différentes dénominations des enfants issus de relations extra-conjugales, Nyrop regroupe ces noms selon plusieurs pôles sémantiques : le lien à la mère ou au père, les références métaphoriques aux hybrides animaux, ou encore le lieu de la conception, soit hors du lit matrimonial. On trouve ainsi pour le français champis (conçu dans les champs) et bastard. Le terme viendrait de lřexpression « fils/fille de bast »

Apres avoir donné un aperçu du roman, Il est question de prendre en charge les éléments présents dans le discours et en faire des parallèles binaires.

Il nous a semblé important de relever le lexique se rapportant à cette thématique abordée de façon exagérée dans ce roman. A fin dřapporter un éclairage significatif sur le vocabulaire employé pour qualifier les bâtards et les typologies nous pouvons dresser à partir de ces termes.

Nous savons que dans la culture arabo musulmane où plus précisément, dans la culture algérienne, la sexualité nřest acceptée quřau sein dřune union matrimoniale et dans le but de procréer. Dans ce sens, les naissances extra Ŕ conjugales révèlent, aux yeux des citoyens algériens, un adultère. La femme enceinte célibataire entraine une forme de péché contre religieux.

Il sřagit dans le roman de Sansal dřune forme de refus non pas de lřenfant mais des enfants de la maison de Djedda. Ceci dit, ce refus est involontaire mais plutôt imposé par la maquerelle Djedda. Grand-mère comme son surnom lřindique si lřon traduisait

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le sens, maitre suprême des lieux mais également de la vie de tout être habitant la grande maison.

« C'est un bâtard. Il n'y a pas de bar-mitsva qui fasse d'un âne un cheval, Comment dire bordel, putain, maquerelle, bâtard, sans utiliser ces mots, ni aucun qui y ressemble et aucun qui les rappelle ?

Pour elle, cet enfant n'était rien, un bâtard, un accident de travail parmi d'autres comme se faire casser la mâchoire par un client aviné, elle ne pouvait leur donner une prostituée évadée pour maman et un statut de bâtards en guise d' identité. »

A travers la discontinuité du récit apparait la déconstruction de la linéarité du texte truffé de flashback, dřaller-retour entre présent, passé et futur. En effet, le cadre spatiotemporel réduit les espaces pour créer une confusion entre Paris et Alger. Lřhistoire est embrouillée dans le sens où le narrateur nous embarque dans un mouvement frénétique où des thèmes divers sont cités de façon aléatoire discontinu, et fragmenté ; le dispositif narratif chamboulé. Lřannulation du père dans une scène de recherche identitaire où lřenfant yazid nřa pas de père (il est orphelin) dans le roman le choix dřun nom pupille pour désigner les gamins

La Bâtardise est lřune des thématiques majeures par laquelle apparait la violence dans ce roman. Cette thématique transcrite dans le texte se présente sous deux angles : le premier par le lexique utilisé à la page 101 comme injure parmi tant dřautres expressions employées contre les pupilles - enfants du phalanstère- de Djedda ; « on

nous appellerait : bâtard, juif, harki, chien, chitane, pied cassé, hizbfrança, pédé, mécréant, étranger, blanc-bec, graine de malheur, et c’en serait fini de nous », ou

encore comme mots ancré dans le glossaire des vulgarités à la page 222: « Comment

dire « bordel », « putain », « maquerelle », « bâtard », sans utiliser ces mots ». Le deuxième angle perçoit la bâtardise comme statut identitaire de certains personnages.

La bâtardise selon la définition du dictionnaire, vient du mot « bâtard » qui est lui-même un enfant né de la conjonction illicite de deux personnes, qui pouvaient contracter mariage ensemble au temps qu'il a été conçu.

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A ce sujet, et dans un contexte de doute, la question de lřidentité inquiète Yazid. Les faits qui se sont produits dans son plus jeune âge le hantent. Ce passé refoulé nřest il pas motivé par des raisons sombres et périlleuses ?

Yazid « Je ne peux le jurer aujourdřhui mais je crois quřà cet instant je sentais bien que les choses ne seraient jamais faciles pour moi et quřil me faudrait un jour entreprendre de découvrir pourquoi jřavais été séparé de ma mère, pourquoi celle-ci avait quitté le village et notre maison, pourquoi toutes ces années on avait fait silence autour de moi, et pourquoi moi-même je mřétais tant accroché au silence. Ce que je savais, cřest que le monde dřoù je venais nřétait pas comme les autres. » 176

Effectivement, en cherchant réponse à ses questions sur son identité, sur ses origines « qui j’étais ? D’où je venais ? à la page 69, lui qui pensait être lřhéritier du trône des Kadri, découvre dans la douleur et la honte quřil nřest autre quřun « bâtard ».

Ce contraste perçu entre bâtardise et origines, revient en permanence dans le roman. Le personnage de Yazid, nřest pas le seul « bâtard » dont le père serait « des inconnus

de passage dans une maison interdite » 177

La bâtardise touche aussi dřautres personnages. La mère biologique de Yazid, qui elle aussi était « Enfant du néant et de la tromperie », ce qui fait dřelle une « bâtarde » qui nřa engendré que des « bâtards » à savoir Yazid et Daoud, car Farroudja « n’a jamais

été mariée » , et comme le précise Claude-Joseph de Ferrière

« Le mariage est la seule voie légitime de la propagation du genre humain, on distingue la condition des bâtards de celles des enfants légitimes; et même on ne donne le nom d'enfant aux bâtards qu'en y ajoutant quelque épithète, comme d'enfants naturels, ou autres. »178

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Sansal, Rue Darwin, p.41

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Sansal, Rue Darwin, 2011.p.69

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Cřest ainsi que Farroudja « n’a jamais eu d’enfants, ni en titre ni en grade, jamais n’a

eu d’homme dans sa vie, ni officiel ni en clandestin, n’a même jamais eu de parents, un père, une mère, des frères, des sœurs. » 179

Farroudja nřavait pas vingt ans et aucune ambition, elle jura. Pour elle, cet enfant nřétait rien, un bâtard, un accident de travail parmi d’autres » (idem. p.240). Dans la même optique de bâtardise, Daoud sřinscrit dřemblée dans cette section. Fils dřune bâtarde au nom de Farroudja, frère de sang de Yazid, lui aussi est né dřun père inconnu, lřun parmi tant dř « inconnus de passage ».

Sansal prend en charge à travers le personnage de Yazid une parole dénonciatrice dřordre social. Il compose une image réaliste de la société algérienne post coloniale n de nombreuses indications nous amène à constater lřétat déplorable dans lequel lřalgérien mène un combat au quotidien pour survivre face à la situation sociopolitique qui laisse à désirer.

Lors de son interview et en répondant à la question Cřest pratiquement une enquête, une quête dřidentité parce que dans les racines, il va peut-être comprendre qui il est ? Boualem Sansal atteste que

« La quête dřidentité de manière secondaire. Cřest très difficile de vivre avec une vie tronquée. Il y a huit années de ma vie qui ont été tronquées. Et jřai participé à cette opération dřoccultation parce que, évidemment, cřest difficile pour un enfant, pour un jeune homme de dire, jřai vécu dans telles ou telles conditions avec ses copains qui eux ont vécu, apparemment, dans des vies normales. On veut être normal comme les autres et donc on affabule. On ne fait pas seulement quřocculter, on invente. Et puis les mensonges se mélangent et à un moment donné, on ne sait plus où on en est. Mais on vit, le temps passe et arrive un jour le temps de la rupture où toutes ces choses-là se convergent vers une explosion. »

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Bâtardise/origines : le cas de Yazid

Dans le cadre de la quête identitaire, nous pouvons y inscrire le personnage principal pour lequel cette démarche a été marquante quant à son avancement dans lřœuvre. Il sřagit bel et bien de la recherche des origines entreprise par Yazid.

Lřhistoire du roman tourne au tour de la quête des origines. Lřexpression leitmotiv « Va, retourne à la Rue Darwin » a déclenché chez le personnage principale lřenvie de retracer son passé refoulé pour connaitre la vérité sur lui-même. Lui qui ne savait rien de sa filiation

« Après tant de vicissitudes et dřéchos frelatés, je me demande où jřen suis : dans le réel ou le virtuel ? Enfant de la guerre ne sait de quoi il est fait, de grandes vérités fondatrices ou de perfides et lamentables complots. Je nřignore pas seulement mes origines, qui est mon père et qui est ma mère, qui sont mes frères et mes sœurs, mais aussi quel monde est ma terre et quelle véritable histoire a nourri mon esprit. Là aussi, il faut tout reprendre. » 180

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Figure n° 10 Schéma binaire 1 bâtardise / origines

Dans lřœuvre de Sansal, la bâtardise sřoppose aux origines, plus spécialement à la lignée de la tribu des Kadri. Prenons le cas du narrateur- personnage principal : Yazid, fils de Kader Kadri, petit-fils de Djedda, dont la filiale est connue et respectée, découvre que son père nřest pas celui que tout le monde croyait quřil lřétait (y compris Yaz).

Ce schéma binaire est représentatif de la situation dans la quelle Yazid se croyait être de le fils confirmé de Kader dřun coté et de lřautre la vérité qui apparait. Et qui nous informe sur le statut illégitime du personnage. Entre autres, il est le fils dřun inconnu. Né dřune liaison dřun soir.

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Mère biologique /mère adoptive : (Yazid)

Figure n°11 Schéma binaire le statut maternel

Le schéma binaire n°2, met en évidence le statut maternel des deux femmes, à savoir Karima et Farroudja. Ce parallèle entre les deux mères dont lřune est biologique, et lřautre est adoptive, engendre une confusion au profit du personnage Ŕ narrateur Yazid.

Cřest en menant ses recherches, que Yazid revoit Farroudja. Cette dernière

Cřest sur un autre axe binaire que vérité et mensonges sřopposent. Les notions de vérité et de mensonge sont cités dans les incipits de la première et deuxième parties dans la thématique de la violence et qui concerne le personnage principal Yazid : A travers secrets, vérité, mensonges, la mémoire est explorée, « Mais il y a autant de

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Figure n°12 Schéma binaire vérité/mensonge

« Va, retourne à la rue Darwin » est la phrase clé du roman de Sansal qui pousse le personnage narrateur Yazid -sous lřécho de sa sonorité- à entreprendre une quête identitaire, à la recherche de son passé, dans une des ruelles de Belcourt. Lui qui croyait être le descendant des Kadri, fils de Kader Kadri et Karima, petit-fils de Djedda, constate quřil nřest que « l’enfant du néant et de la tromperie ».

Il découvre que son père nřétait pas Kader Kadri, mais plutôt un inconnu de passage dans le phalanstère, et que sa mère Karima nřétait que sa mère adoptive. Une fois lřenfant né, Djedda lřenleva à Farroudja, sa mère biologique, qui ne pouvait « leur (à lui et Daoud) donner une prostituée évadée pour maman et un statut de bâtards en

guise d’identité » 181

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Il dira à ce propos : « Moi-même qui ai beaucoup cherché je suis dans l’incapacité

de dire ma part Kabyle, ma part turque, ma part judéo-berbère, ma part arabe, mon côté français. » 182

Dans un autre texte, il évoque ironiquementlřantinomie du concept de lřidentité: « Les

identités ne s’additionnent pas, elles se dominent, et se détruisent. » 183

Pour Sansal la littératureconstitue un espace de liberté quřil ne peut acquérir ailleurs. Elle offre dès lorsà la réalité un nouvel espace de reconstitution, dřarrangement et de parole.