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Discours et écriture hétérogène

3.5. Fonctionnement de l’italique

Inventé en 1501 à Venise, par lřimprimeur Alde Manuce qui cherchait à : « reproduire l’écriture manuscrite cursive de son époque, c'est-à-dire l’écriture

rapide à main levée »118 lřitalique est toujours dřactualité. Il est utilisé selon Roger Laufer de manière non spécifique pour signifier des valeurs, concurremment avec la capitale et la graisse. Il précise encore le statut de ses valeurs qui sont tantôt

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Boualem SANSAL , Presses universitaires de Rennes, 2007. Conditions dřutilisation : http://www.openedition.org/6540

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« dynamiques et qui mettent en relief » et tantôt « hiérarchiques si une échelle de force relative et instituée dans un contexte ».

Parmi ses fonctions, lřitalique greffe au sens dénotatif du mot une « mise en

question connotative de son bien fondé à l’adresse du lecteur »119L'italique sert à incorporer la citation ou l'emprunt dans le texte principal, c'est un de ses usages codifiés ou même la fausse citation. Selon les dictionnaires, la première fonction de lřitalique est de faire ressortir des mots, dřattirer lřattention sur eux, de les distinguer du reste du texte. À défaut dřitalique, ou dans un texte manuscrit, on souligne normalement tout ce qui devrait être en italique. Dans un certain nombre dřemplois, on peut utiliser les guillemets au lieu de lřitalique, ou encore le caractère gras.120

Notre objectif dans cette rubrique, est de tenter dřexpliquer lřutilisation de lřitalique par lřécrivain. Lřinterprétation que lřon pourrait accorder à la présence de passages qui apparaissent dans le roman écrits en italique est assez complexe. Pour y apporter un éclairage à cette stratégie dřécriture avec laquelle procède Sansal, nous proposons de nous arrêter sur quelques passages.

Bien quřoblique, lřitalique a pour effet de déstabiliser une lecture linéaire à travers une fêlure dans lřénoncé. Raison pour laquelle Laufer rappelle son statut de « marque dřénonciation » dans le texte. A son sens, lřitalique connoterait lřironie et marquerait par la même occasion une dimension intertextuelle.

Pour Dubois, "Dans toute l'histoire du code typographique, ce caractère penché est

doué d'une étrange valeur, jamais définie explicitement, mais allant toujours dans le sens de la singularité, de la souplesse et de la personnalisation".121

Dans Rue Darwin, lřécriture en italique apparait à première vue dans la dédicace «

A ma défunte mère, à mes frères et sœurs de par le monde. » Celle-ci, étant propre à

lřauteur dans une dimension paratextuelle, revoie aux propos de lřauteur.

Lřouverture de la première partie mais également celle de la deuxième se font à travers des incipits rédigés en italique que nous reprenons dans le tableau suivant.

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Roger Laufer, Du ponctuel au scriptural (signes dřénoncé et marque dřénonciation), Langue Française, n°45 : la ponctuation, 1980, p.82

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Cf. https://www.btb.termiumplus.gc.ca/redac-chap?lang=fra&lettr=chapsect5&info0=5

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Incipit première partie Incipit deuxième partie

Tout est certain dans la vie, le bien, le mal, Dieu, la

mort, le temps, et tout le reste, sauf la Vérité. Mais qu’est ce

que la Vérité ? La chose au monde dont on ne doute

pas, dont on ne douterait pas un instant si on la savait.

Hum... Ce serait donc une chose qui s’accomplit en nous

et nous accomplit en même temps ? Elle serait alors plusforte que Dieu, la mort, le bien, le mal, le temps et le

reste ?... Mais devenant certitude, est-elle toujours la

Vérité ? N’est-elle pas alors qu’un mythe, un message

indéchiffré indéchiffrable, le souvenir de quelque monde

d’une vie antérieure, une voix de l’au-delà ? C’est de cela que nous allons parler, c’est notre histoire,

nous la savons sans la savoir. (p.15)

L’incipit de la deuxième partie : La vérité est dans le mouvement et dans la possibilité de l’erreur. Ce qui bouge est vrai, il prend appui sur un existant, crée sa prochaine marche, et ainsi, miracle,

il avance d’un pas et la vie gagne en consistance et en hypothèses. Ce qui ne bouge pas est

fallacieux, c’est une illusion, une douleur même pas vraie, une ruine vouée à la désagrégation et à l’oubli. (p.215)

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Pourquoi cela mon Dieu ? p.24 .Cette question apparait comme une intervention de

lřauteur.La fin de la fidélité serait-elle venue ?Mon Dieu.. mon Dieu ! p.28

Ou qu’un autre appel s’était déclenché dans ma tête….un rendez vous fixé de très longue date. P29

Le temps de déterrer les morts et de les regarder en face était bien arrivé p.33

Les mots en anglais employés par Mounia

Samira she’s called, we attended the same school, her husband isTunisman (p.131)

Shame on me, it’s horrible, I don’t believe it, I even couldn’t remember her name... my God

Il est temps alors que le mensonge redevienne la vérité….P.70

C’est ce que je me suis toujours dit…. Un paravent pour ne pas voir plus loin ….cacher, toujours cacher…. (P. 154).

Quel était ce sentiment qui me paralysait …la joie, l’amour, la honte, la peur ? …oui la peur. (P.156) ….

Maman, pourquoi cela, pourquoi ?...(164). Puis dans la même page

quelques lignes plus bas Pourquoi, maman... pourquoi... pourquoi ?... tu t’es

tue

et tu m’as forcé à me taire... Nous

Quand donc irai-je au bout des choses ?..la vérité est pourtant simple …quand on veut bien la dire. (P174)

Ruser est une étape sur le chemin de la vérité…il y a une zone grise entre le mensonge et la vérité…la douleur sera d’autant plus grande que l’on aura différé le saut…mon Dieu que tout est difficile …(p198)

…Ave Matricia, morituri te salutant ! » p.206

Mon Dieu, comme on sait se mentir et comme on sait renouveler ses mensonges avec les saisons…. P.209

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Dřautres exemples dřun registre différents figurent sur le texte de Sansal en italique. Il sřagit des mots écrits en latin mais qui évoque une autre langue. Comme

Muslimsou des mots tirés de lřarabe, de lřarabe dialectal (algérien) exemple Ya chieikh! ( p207).

Après avoir regroupé les écritures en italique, nous pouvons faire le constat que son utilisation nřest présente que dans la 1ère

partie du roman, elle sřarrête au commencement de la 2ème, plus exactement, à son incipit. Ce sont des plaintes, des questionnements, sřadressant à Dieu, et à lui-même. Catherine Ballestero apporte à ce sujet que : « Par ses usages conventionnels, déterminés et répertoriés dans le code typographique, par ses usages stylistiques et expressifs, l'italique se prête à des significations dřordre ontologique dans sa conception de lřétude de « lřêtre en tant quřêtre » mais qui ne font sens que dans une relation d'opposition »122

Ce qui est le cas du caractère général de la rédaction du texte « Rue Darwin ».

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Catherine Ballestero, dans lřItalique,

Chapitre 4

Stratégies énonciatives et scripturales