• Aucun résultat trouvé

Les amateurs de littérature québécoise du XIXe siècle reconnaissent sans doute le nom de Louis Liénard de Beaujeu de Villemonde168, celui que Philippe Aubert de Gaspé décrit dans son roman Les Anciens Canadiens comme un « brave et vaillant officier canadien169 ». Toutes les sources qui traitent de la personnalité de Beaujeu, aussi rares soient-elles, évoquent une personnalité plutôt flamboyante. D’ailleurs, on le surnommera plus tard « le vieux lion170 ». Belliqueux, traditionaliste, et souvent endetté, Beaujeu est en quelque sorte le produit même du milieu qui l’a vu naître.

Il appartient à une lignée militaire ancienne, la tradition familiale voulant que son

ancêtre Humbert de Beaujeu d’Aigueperse ait accompagné Saint Louis en Égypte au XIIIe

siècle171. Son père, Louis de Beaujeu, arrive au Canada en 1697. Nommé capitaine en 1711, il devient major des troupes de la Nouvelle-France et puis lieutenant du roi à Trois-

164 PASSERAT DE LA CHAPELLE, Passerat de La Chapelle..., p. 8.

165 ANOM, Colonies, D2C 59, F°45 et 54v. Liste des Officiers Civils et militaires en Canada et ANOM,

Colonies, D2C 58, F°53v. Collationné le 16 juin 1760.

166 PRO, War Office 34, Vol. 8, F°72v-75. État des Officiers et Soldats de la marine employés lors de la

Capitulation, soit à Montréal, aux trois Rivières et dans les différents postes d’en haut. Le 18 septembre 1760.

167 Ancestry.com, Drouin Early US records, Ste Anne du Détroit 1702-1780, image 94 de 238.

Remerciements à Gail Moreau-Desharnais de nous avoir fourni cet extrait.

168 Parfois écrit Villemomble dans les archives.

169 PhilippeAUBERT DE GASPÉ, Les Anciens Canadiens, Montréal, Boréal, 2002 (1863), p. 459.

170 J.M. LEMIEUX, L’île aux Grues et l’île aux Oies : les îles, les seigneurs, les habitants, les sites et monuments historiques, Montréal, Leméac, 1978, p. 90.

46

Rivières avant de prendre sa retraite en 1748, deux ans avant son décès172. De son union à Thérèse Migeon de Branssat (ou Bransac) en 1706 naissent une dizaine d’enfants. Louis naît le septième, soit le 16 septembre 1716 à Montréal et est baptisé le même jour173.

Sa famille est connue de Versailles. Avant son arrivée au Canada, le père de Louis avait été « chef du gobelet de la bouche du roi ». Sa mère aussi fera partie de la maison du Roi à compter de 1728, en tant que « remueuse » des enfants du souverain, tout comme l’avait été sa belle-mère174. Enfin, aux dernières années de l’Ancien Régime, un de ses deux frères cadets, aussi Louis de prénom, sera le confesseur ordinaire de Louis XVI et présent à l’exécution du monarque175.

Comme son père, Louis poursuit une carrière militaire et devient Enseigne en second dans les troupes de la Marine en 1732176. En 1738, il devient enseigne en pied, au sujet duquel le gouverneur Beauharnois écrit : « son père en fera un bon sujet177 ». En 1744, il atteint le grade de Lieutenant, souligné par le commentaire « bon officier et qui promet beaucoup178 ».

Déjà, la même personnalité forte contre laquelle se butera La Chapelle transparaît. Voici la seule lettre écrite de sa main que nous avons retrouvée, que nous jugeons digne d’être reproduite en entier. Elle démontre un Beaujeu âgé de 30 ans assez gaillard, belliqueux, et fier :

La Lettre de Mons. de Beaujeu de Vilmonde à M.r son père du 27 mars 1747.

Monsieur et tres honoré Père

Je profite avec un sensible plaisir de cette occasion pour vous faire en partie le détail du Combat que nous venons de faire à La Grande prée. Nous avons attaqués cinq cents cinquante Anglais. Nous étions deux Cent quatre Vingt en Tout. Nous en avons tué Cent Cinquante, blessé et fait cinquante six prisonniers. J’avois avec moi vint Canadiens. J’attaquai une maison ou il y avoit vingt cinq Anglois Tous armés

172 David A. ARMOUR, « Liénard de Beaujeu, Louis », dans Dictionnaire biographique du Canada, Volume III de 1741 à 1770,Québec, Presses de l’Université Laval, 1974, p. 434.

173 Des fils survivants, il est le deuxième, après Daniel Hyacinthe.

174 ANOM, Colonies, C11A 50, F°537. Maurepas à Beauharnois et Dupuy. À Versailles, le 24 mai 1728, et

FRANÇOIS, Histoire des grandes familles…, p. 319.

175 Né le 2 janvier 1718 et mort à Paris en 1781. Une vérification du PRDH permet de constater que Daniel

François se trompe en présumant que ce Louis est l’aîné, mélangeant ce cadet avec le premier frère Beaujeu du même nom décédé à l’âge de trois ans en 1711. AUBERT DE GASPÉ, Les Anciens Canadiens, p. 460 et

FRANÇOIS, Histoire des grandes familles…, p. 320. 176 CASSEL, « Troupes de la marine... », p. 584.

177 ANOM, Colonies, C11A 67, F°192-194v. Beauharnois au ministre. À Québec, le 20 octobre 1737. 178 ANOM, Colonies, C11A 79, F°195-200v. Beauharnois au ministre. À Québec, le 20 octobre 1743.

47

jusqu’aux dents. Il y avoit un factionnaire à la porte où tout d’un coup j’avançai, je tué le factionnaire. J’entrai dans la Maison ils tirerent aussitôt trois ou quatre coups de fusil sur moi qui ne firent que passer dans mon capot, je tirai mon Coup de pistolets sur le capitaine que je tué, ensuite je donnai un coup de bourade au sergent dans le ventre et lui passai mon fusil au travers du Corps. Il tomba, les tripes lui sortoient du ventre, et je retirai mon fusil tout cassé. J’arrachai le fusil d’un autre Anglois qui me prit au Col par bonheur que j’étois le plus fort, et je le tué. J’en tué un autre d’un coup de casse-tête179; et dehors je tirai sur un Anglois qui fuyoit et je lui cassai un bras. Mons. de La Corne m’envoya chercher, je partis avec mon détachement pour venir le rejoindre. Comme Nous allions le rejoindre des Anglois tirèrent trois cent coups de fusil sur moi mais je gagnai la maison sans avoir rien attrapé. Nous Nous battîmes environ une heure Nous étions alors cinquante compris quatre officiers. Les Anglois firent une sortie sur Nous au nombre de trois cent qui approchèrent environ à vint cinq pas : Nous nous jettames derrière du jon et derriere une charrette. A la premiere Décharge que nous fîmes nous en jettames vingt. Nous Nous battîmes environ deux heures. Mon frere arriva avec M.r DesLigneris et quantité de Canadiens qui nous soulagèrent sur Le Moment. Aussitôt les Anglois demanderent La Suspension d’Armes; nous cessames. Ils demandèrent à Capituler. Je serois charmé d’être auprès de Vous pour La satisfaction de vous voir et de vous dire mon respect.

Monsieur Et très honoré Père

Votre très humble et très obéissant serviteur Beaujeu de Vilmonde

à Beaubassin Ce 27 Mars 1747180

Bien sûr, il faut lire ce récit avec précaution. On ne doute pas qu’il puisse s’y glisser quelques exagérations (comme le croustillant qualificatif « [d’]armés jusqu’aux dents »). Lors de cette bataille, Beaujeu combat non seulement aux côtés de son frère aîné, mais également du lieutenant Ignace-Philippe Aubert de Gaspé, grand-père de Philippe Aubert de Gaspé181. Il n’est donc pas surprenant de savoir que l’auteur mentionne l’officier dans ses écrits. D’ailleurs, il semblerait selon lui que Beaujeu garda à jamais un souvenir amer de la mort du sergent qu’il avait étripé. Dans les notes de son roman, Aubert de Gaspé écrit ces lignes :

M. de Beaujeu, racontait qu’il avait blessé à mort un soldat anglais à la prise de l’Acadie, et que ce malheureux lui dit en tombant :

« Me Roman Catholic !

179 Ou hache de guerre.

180 BAC, R6080-0-6-F (MG18-N13). Photocopie : Copie Louis Liénard de Beaujeu de Villemonde à son

père, Louis Liénard de Beaujeu. À Beaubassin, le 27 mars 1747.

48

— Que ne l’avez-vous pas dit plus tôt, mon cher frère, répondit cet officier, je vous aurais pressé dans mes bras. »

« Mais, ajoutait-il, il était trop tard : ses entrailles traînaient sur la neige. » Et le vieux octogénaire s’attendrissait encore à ce souvenir.182

Dans son article pour le DBC, David Daniel Ruddy ne semble pas connaître la lettre originale de 1747; il ne cite que l’extrait ci-dessus. Bien entendu, à la lumière du témoignage direct de l’officier, nous ne pouvons que souligner la contradiction entre ce qu’écrit Aubert de Gaspé et la lettre écrite près d’un demi-siècle plus tôt, dans laquelle Beaujeu ne démontre aucun remords pour ses actes ni qu’il avait eu assez de temps pour discuter avec sa victime. Il ne nous reste qu’à nous demander si les deux versions différentes illustrent un Beaujeu âgé qui épure ses histoires par regrets honnêtes, s’il s’agit d’une habitude de longue date pour la modification d’événements de sorte à se donner le beau rôle selon ses interlocuteurs, ou bien si c’est Aubert de Gaspé qui se permet de modifier l’histoire à son goût?

Beaujeu continue son ascension dans les rangs des troupes de la Marine. Au début des années 1750, il est commandant à Kaministiquia et Michipicoton183. Pendant que Beaujeu commande ces postes, le gouverneur La Jonquière écrit à son sujet qu’il « est parvenu à rétablir la tranquillité parmi les Indiens de son poste et à les empêcher d'aller en guerre contre les Sioux […]184 ». En 1751, Beaujeu est promu Capitaine et enfin, en 1759, fait chevalier de l’Ordre Militaire et Royal de Saint-Louis, comme son père185. Arnaud Balvay écrit :

On peut supposer que les Canadiens ne considèrent pas leur séjour dans les « postes éloignés » comme une aventure ou une expérience. Pour eux, il ne s’agit que d’une période dans leur carrière d’officier né au Canada. En effet, bon nombre d’entre eux se rendent dans les forts du Pays d’en Haut dans le but de s’enrichir ou dans l’espoir d’obtenir par la suite des postes au sein de la colonie laurentienne.186

Effectivement, Beaujeu ne connaît pas que des avancés au sein de l’armée et de la société, mais acquiert également des propriétés. Beaujeu (identifié à ce moment comme capitaine

182 AUBERT DE GASPÉ, Les Anciens Canadiens, pp. 459-460. 183 Aujourd’hui Thunder Bay et Michipicoten en Ontario.

184 Le gouverneur néglige d’éclaircir dans sa lettre s’il s’agit spécifiquement des sauvages de Kamisitiquia, de

Michipicoton, ou des deux. ANOM, Colonies, C11A 97, F°69-73v. De La Jonquière au ministre. À Québec, le

17 septembre 1751.

185 ANOM, Colonies, D2C 59, F°24. Liste des Officiers Civils et militaires en Canada et ANOM, Colonies,

C11A 120, F°188-189v. Beauharnois au ministre. À Québec, le 28 septembre 1726. 186 BALVAY, L’Épée et la Plume..., p. 117.

49 d’infanterie à Montréal pour le service du Roi) achète en 1754 de Joseph Maillou [Mailloux] et Damoiselle Louise Duchouquet, son épouse, une maison de pierre « Sittué En la haute ville dud. québec Rüe S.t Louis, Contenant quarante pieds de front […], Sur Cent vint trois pieds de profondeur […]187 ». Tout semble indiquer que sa femme y demeure tandis qu’il est occupé dans le Pays d’en Haut. L’année suivante, il se fait également concéder une seigneurie sur les rives du lac Champlain, « quatre Lieües de front, sur quatre Lieües de proffondeur, avec les Iles et les Islots qui Se trouveront audevant du d. Terrim188 ». Toutefois, la guerre l’empêchera d’occuper sa terre et de la développer, tout comme la plupart des autres seigneurs de la région, d’ailleurs.

Beaujeu observe la mort non seulement sur les champs de bataille, mais également dans son propre foyer. Marié une première fois le 18 juillet 1747 à Québec avec Louise Charlotte Cugnet, cette dernière meurt quelques jours après la naissance de leur fille unique, Julie-Louise. Baptisée le 22 août 1748 et mariée à Beauport le 12 août 1765 à Antoine Juchereau Duchesnay, Julie-Louise décèdera à son tour en 1773 âgée seulement de 24 ans, quelques jours après avoir accouché d’un enfant qui ne survivra pas à ses premières heures189. Beaujeu se marie une deuxième fois à Québec le 22 février 1753190 avec Marie Geneviève Lemoine de Longueuil Soulanges191. C’est un mariage qui resserre les liens entre Beaujeu et l’élite puisque cette dernière est la fille de Paul-Joseph Le Moine, Chevalier de Longueuil, lieutenant du Roy de Québec192. Le nouveau couple aura dix enfants, dont au moins quatre décédés à, ou peu après, la naissance193. Toutefois, une mort en particulier le marque aussi bien sur le plan professionnel que personnel : celle de son frère aîné, Daniel-Hyacinthe, en 1755194. La mort du « Héros de Monongahela », comme on le surnommera, prive Beaujeu de son frère mais en même temps lui confère les droits et

187 BAnQ-Q, E1, S4, SS4, D174, P1, Fonds Intendants, Papiers terriers de la Compagnie des Indes

occidentales et du Domaine du roi, Déclarations des censitaires du roi.

188 BAnQ-Q, E3, S3, P447, Fonds Intendants, Registre d’intendance Concession de la seigneurie du sieur

Estèbe à Louis Liénard de Beaujeu, le 20 juillet 1755.

189 PRDH.

190 Ibid. Daniel François se trompe de date, situant le mariage en 1752. FRANÇOIS, Histoire des grandes familles…, p. 328.

191 Ses parents sont Paul-Joseph Lemoine de Longueil et Marie Geneviève de Joybert de Marson. Elle

décèdera à Montréal en 1802. FRANÇOIS, Histoire des grandes familles…, p. 328.

192 BAnQ-Q, CE301, S1, Registre paroissial de Notre-Dame-de-Québec (6 novembre 1752 au 13 février

1757), Mariage du S.r Louis Liénard De Beaujeu Ecuyer S.r De Villemonde, 22 février 1753. 193 PRDH.

194 Né le 9 août 1711 et baptisé le même jour, Daniel-Hyacinthe Liénard de Beaujeu se marie le 4 mars 1737 à

50

les honneurs en tant que le nouvel aîné de la famille. D’ailleurs, Vaudreuil écrit ces remarques à son sujet en 1758 lors d’une proposition pour la croix de Saint-Louis195 :

ce cap.ne a toujours bien servi, […] et a marqué beaucoup de zèle dans tous les détachements qu’il a commandé sur le lac S.t Sacrement. il est maintenant commandant au poste de Michillimakinac, les sauvages m’ayant témoigné le désir de l’avoir en mémoire de feu son frère qui fut tué dans le combat qu’il livra à l’armée du g.al Bradock en 1755196.

Effectivement, dès 1753, il est présent au fort Michilimackinac comme commandant (tout comme son père qui y était jusqu’en 1722). Il n’y reste que quelques mois avant d’être appointé commandant du fort de la Presqu’île197.

Qu’il s’agisse des négociations de paix entre nations au poste de Michipicoton ou bien des voyages diplomatiques que Beaujeu entreprendra au Pays des Illinois suivant le traité de Paris, ses bonnes relations avec les Sauvages font de lui un officier important. Les circonstances obligent, d’ailleurs : il est souvent à la tête de contingents importants d’Indiens. Par exemple, en juillet 1756, le chevalier de Lévis lui confie la mission d’« intercepter quelques convois et y faire des prisonniers » entre les forts Lydius et George, près du lac George (New York). Beaujeu est à la tête de 220 hommes, un groupe composé de 120 sauvages et 100 Canadiens. Malgré quelques commentaires désobligeants de la part de ses supérieurs au sujet de la discipline des alliés sauvages, la mission est un succès, le détachement revenant avec six prisonniers et une chevelure198. Aucune perte ne semble enregistrée chez les hommes de Beaujeu. Comme l’écrit Arnaud Balvay : « [pour l’officier canadien], une victoire n’en est une que si l’ennemi a subi de lourdes pertes sans en avoir infligé parmi [sa] troupe. Cette attitude est évidemment empruntée aux mœurs amérindiennes, ce qui fait penser aux officiers français que les Canadiens ne sont que des sauvages qui pratiquent la ―guerre à la Sauvage‖ 199». Ses supérieurs français, pourtant, semblent amplement satisfaits sans porter un tel jugement sur lui.

195 Daniel François se trompe d’année en affirmant qu’il reçut la décoration en 1754. FRANÇOIS, Histoire des grandes familles…, p. 327.

196 ANOM, Colonies, D2C 48, F°315v. Troupes servant en Canada 1758.

197 Erie, Pennsylvanie. David DanielRUDDY, « Liénard de Beaujeu de Villemonde, Louis (baptisé Louis-

Joseph) », dans Dictionnaire biographique du Canada, Volume V de 1801 à 1820, Québec, Presses de l’Université Laval, 1983, p. 548.

198 LÉVIS, Lettres du chevalier de Lévis…, pp. 33-34 et p. 43. 199 BALVAY, L’Épée et la Plume..., p. 159.

51 Beaujeu revient à Michilimackinac en permanence en 1757200. Fondé vers 1715201, le fort Michilimackinac devint rapidement le plus important poste de traite des Grands Lacs, contrôlant le détroit entre les lacs Michigan et Huron. Par le fait même, il devient également le centre d’approvisionnement de plusieurs postes dépendants. Pendant la guerre de Sept Ans, la région procure des centaines de guerriers amérindiens et métis, habituellement dirigés par Langlade qui est lui-même un métis outaouais202. En tant que commandant de Michilimackinac, Beaujeu touche des soldes supplémentaires. Dans le but de couvrir les coûts d’entretien du poste, chaque négociant doit payer entre 500 et 600 livres au commandant du poste où il se trouve. À Détroit, par exemple, le montant de ces frais peut totaliser 10 000 livres. Bien qu’en théorie cet argent doit être investi dans le fort et ses opérations, la plupart des commandants l’investissent plutôt dans la traite. Comme le souligne Cassel : « Their eagerness to serve had little to do with military zeal and

everything to do with the money they did not have203. » Beaujeu ne fait pas exception. Mais cela ne veut pas dire pour autant que les commandants soient fins comptables : malgré ses profits, Beaujeu passera sa vie criblé de dettes. Comme nous le rappelle Eccles, l’argent de la traite est dépensé à recréer la vie de noblesse dans les bois204.

À son arrivée à Michilimackinac en 1761, Alexander Henry écrira que l’opinion populaire au sujet du fort Michilimackinac est qu’il est « l’endroit le plus heureux au monde pour y faire le commerce205 ». Raison de plus pour que Beaujeu trouve douloureux de l’abandonner à la fin du Régime français…

200 Il remplace Louis Herbin qui y commanda entre 1754 et 1757. Timothee J. Kent, Rendezvous at the Straits. Fur Trade and Military Activities at Fort de Buade and Fort Michilimackinac, 1669-1781, Tome 1 et

2, Ossineke, Michigan, Silver Fox Enterprises, 2004, p. 379.

201 Remplaçant du fait l’ancien fort Buade situé sur la rive nord du détroit.

202 Ceux-ci sont surtout utilisés au début du conflit. Montcalm décide de limiter leur participation à la guerre

après l’incident du pillage au fort William-Henry. Effectivement, Langlade et ses alliés outaouais sont redoutés pour leurs tactiques de terrorisme sur le front de l’Ohio qui incluent des actes de cannibalisme. Ils seront néanmoins parmi ceux qui défendront l’armée française lors de sa retraite des Plaines d’Abraham en 1759. Ibid., p. 389 et ANDERSON, Crucible of War, p. 751.

203 CASSEL, « Troupes de la marine... », pp. 156-164.

204 Par exemple, il s’offre les services d’un domestique, même au fond des bois. W. J. ECCLES, « The Social,

Economic, and Political Significance of the Military Establishment in New France », The Canadian

Historical Review, Vol. LII, No. 1 (mars 1971), p. 14 et BAnQ-M, CN601, S202, Greffe de Gervais Hodiesne

(1740-1764), Engagement en qualité de domestique de François Arnault, de Lobtinière, à Louis de Beaujeu, […] à Michilimackinac, 2 juin 1757.

53

C

HAPITRE

III

L

A DÉBANDADE

Comme l’a révélé le chapitre précédent, ces deux acteurs principaux sont issus de deux milieux sociaux différents. La Chapelle est membre de la noblesse provinciale et profite de son arrivée au Canada pour s’avancer dans les rangs de l’armée. Beaujeu, quant à lui, appartient à l’élite militaire et nobiliaire canadienne et est impliqué dans le commerce des fourrures; en conséquence, sa participation à la guerre comprend des enjeux plus personnels. C’est à la lumière de ceci que nous comprendrons mieux leur décision de fuir le Canada au lieu de se soumettre aux Britanniques. Néanmoins, comme nous le verrons, ce sont davantage les circonstances plutôt que leurs ambitions personnelles qui catalysent leur choix de se replier en Louisiane. Ce chapitre porte donc sur le déplacement de ces deux acteurs menant ultimement, dans le prochain chapitre, à leur rencontre dans la région de la rivière des Illinois.

Puisque le trajet de La Chapelle est bien documenté dans son rapport que nous reproduisons dans l’Annexe A, nous le résumerons en première partie pour ne s’attarder